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& le grand veneur au roi. Voyez le nouveau traité de la vénerie, Paris 1750. p. 27.

Rut : ils raient[1] d’une voix forte, le col & la gorge leur enflent, ils se tourmentent, ils traversent en plein jour les guérets & les plaines, ils donnent de la tête contre les arbres & les sépées, enfin ils paroissent transportés, furieux, & courent de pays en pays, jusqu’à ce qu’ils ayent trouvé des bêtes, qu’il ne suffit pas de rencontrer, mais qu’il faut encore poursuivre, contraindre, assujettir : car elles évitent d’abord, elles fuient, & ne les attendent qu’après avoir été long-tems fatiguées de leurs poursuites. C’est aussi par les plus vieilles que commence le rut, les jeunes biches n’entrent en chaleur que plus tard, & lorsque deux cerfs se trouvent auprès de la même, il faut encore combattre avant que de jouir ; s’ils sont d’égale force, ils se menacent, ils grattent la terre, ils raient d’un cri terrible, & se précipitant l’un sur l’autre, ils se battent à outrance, & se donnent des coups d’andouillers[2] si forts que souvent ils se blessent à mort ; le combat ne finit que par la défaite ou la fuite de l’un des deux, & alors le vainqueur ne perd pas un instant pour jouir de sa victoire & de ses desirs, à moins qu’un autre ne survienne encore, auquel cas il part pour l’attaquer & le faire fuir comme le premier. Les plus vieux cerfs sont toujours les maîtres, parce qu’ils sont plus fiers & plus hardis que les jeunes qui n’osent approcher d’eux ni de la bête, & qu’ils sont obligés d’attendre qu’ils l’aient quittée pour l’avoir à leur tour ; quelquefois cependant ils sautent sur la biche pendant que les vieux combattent, & après avoir joui fort à la hâte, ils fuient promptement. Les biches préférent les vieux cerfs, non parce qu’ils sont plus courageux, mais parce qu’ils sont beaucoup plus ardens & plus chauds que les jeunes ; ils sont aussi plus inconstans ; ils ont souvent plusieurs bêtes à la fois ; & lorsqu’ils n’en ont qu’une, ils ne s’y attachent pas, ils ne la gardent que quelques jours, après quoi ils s’en séparent & vont en chercher une autre auprès de laquelle ils demeurent encore moins, & passent ainsi successivement à plusieurs, jusqu’à ce qu’ils soient tout-à-fait épuisés.

Cette fureur amoureuse ne dure que trois semaines ; pendant ce tems ils ne mangent que très-peu, ne dorment ni ne reposent, nuit & jour ils sont sur pié, & ne font que marcher, courir, combattre & jouir ; aussi sortent-ils de-là si défaits, si fatigués, si maigres, qu’il leur faut du tems pour se remettre & reprendre des forces : ils se retirent ordinairement alors sur les bords des forêts, le long des meilleurs gagnages où ils peuvent trouver une nourriture abondante, & ils y demeurent jusqu’à ce qu’ils soient rétablis. Le rut pour les vieux cerfs commence au premier Septembre, & finit vers le vingt ; pour les cerfs dix cors, & dix cors jeunement, il commence vers le dix Septembre, & finit dans les premiers jours d’Octobre ; pour les jeunes cerfs c’est depuis le vingt Septembre jusqu’au quinze Octobre ; & sur la fin de ce même mois il n’y a plus que les daguets qui soient en rut, parce qu’ils y sont entrés les derniers de tous : les plus jeunes biches sont de même les dernieres en chaleur. Le rut est donc entierement fini au commencement de Novembre, & les cerfs dans ce tems de foiblesse sont faciles à forcer. Dans les années abondantes en glands, ils se rétablissent en peu de tems par la bonne nourriture, & l’on remarque souvent un second rut à la fin d’Octobre, mais qui dure beaucoup moins que le premier.

Les biches portent huit mois & quelques jours ; elles ne produisent ordinairement qu’un faon[3],

très-rarement deux ; elles mettent bas au mois de Mai & au commencement de Juin, elles ont grand soin de dérober leur faon à la poursuite des chiens, elles se présentent & se font chasser elles-mêmes pour les éloigner, après quoi elles viennent le rejoindre. Toutes les biches ne sont pas fécondes, il y en a qu’on appelle brehaignes, qui ne portent jamais ; ces biches sont plus grasses & prennent beaucoup plus de venaison que les autres, aussi sont elles les premieres en chaleur. On prétend aussi qu’il se trouve quelquefois des biches qui ont un bois comme le cerf, & cela n’est pas absolument contre toute vraissemblance.

Dans le nouveau traité de vénerie, 1750. ch. xiv. des têtes bisarres, pag. 40. il est dit qu’au château de Malherbe, on y voyoit la figure d’une biche qui portoit un bois qui avoit huit andouillers, qui fut prise par les chiens du roi Charles IX. Depuis on a apporté cette tête à sa majesté Louis XV. à Fontainebleau.

M. de Ligniville, grand veneur de Lorraine, qui a écrit sur la chasse, dont le manuscrit est à la bibliotheque du roi, rapporte qu’étant en Angleterre, le roi Jacques I. lui fit voir dans son park de Pilbok une biche qui avoit son faon, & qui portoit une perche fort longue, & une petite, qu’il y avoit long-tems qu’elle y étoit connue.

Le faon ne porte ce nom que jusqu’à six mois environ, alors les bosses commencent à paroître, & il prend le nom de herre jusqu’à ce que ces bosses alongées en dagues lui fassent prendre le nom de daguet. Il ne quitte pas sa mere dans les premiers tems, quoiqu’il prenne un assez long accroissement, il la suit pendant tout l’été ; en hiver les biches, les herres, les daguets, & les jeunes cerfs se rassemblent en hardes, & forment des troupes d’autant plus nombreuses que la saison est plus rigoureuse. Au printems ils se divisent, les biches se recelent pour mettre bas, & dans ce tems il n’y a que les daguets & les jeunes cerfs qui aillent ensemble. En général, les cerfs sont portés à demeurer les uns avec les autres, à marcher de compagnie, & ce n’est que la crainte ou la nécessité qui les disperse ou les sépare.

Le cerf est en état d’engendrer à l’âge de dix-huit mois, car on voit des daguets, c’est-à-dire des cerfs nés au printems de l’année précédente, couvrir des biches en automne, & l’on doit présumer que ces accouplemens sont prolifiques ; ce qui pourroit peut-être en faire douter, c’est qu’ils n’ont encore pris alors qu’environ la moitié ou les deux tiers de leur accroissement ; que les cerfs croissent & grossissent jusqu’à l’âge de huit ans, & que leur tête va toujours en augmentant tous les ans jusqu’au même âge ; mais il faut observer que le faon qui vient de naître se fortifie en peu de tems, que son accroissement est prompt dans la premiere année, & ne se ralentit pas dans la seconde ; qu’il y a déja surabondance de nourriture, puisqu’il pousse des dagues, & c’est-là le signe le plus certain de la puissance d’engendrer ; mais ceux qui ont un tems marqué pour le rut, ou pour le frai, semblent faire une exception à cette loi. Les poissons fraient & produisent avant que d’avoir pris le quart, ou même la huitieme partie de leur accroissement : & dans les animaux quadrupedes ceux qui, comme le cerf, l’élan, le dain, le renne, le chevreuil, &c. ont un rut bien marqué, engendrent aussi plutôt que les autres animaux.

Il y a tant de rapport entre la nutrition, la production du bois, le rut & la génération dans ces animaux, qu’il est nécessaire, pour en bien concevoir les effets particuliers, de se rappeller ici ce que nous avons établi de plus général & de plus certain au sujet de la génération : elle dépend en entier de la surabondance de la nourriture : tant que l’animal croît,

  1. Raire, crier.
  2. Andouillers, cornichons du bois de cerf.
  3. Faon, c’est le petit cerf qui vient de naître.