Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/932

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouvellé de paille fraîche, & tenu proprement. Après qu’il aura demeuré quatre mois chez le gentilhomme, il l’en faut tirer & le mettre au chenil. Il n’appartient à nul de nommer chenil le lieu où l’on met les chiens, qu’à celui qui a meute royale de chiens, qui peut prendre le cerf en tout tems sans autre aide que de ses chiens.

Salnove, ch. xvj. dit à-peu-près la même chose sur les lices & les jeunes chiens ; seulement il ajoute qu’il faut mettre peu de paille les deux ou trois premiers jours après la délivrance de la lice, de peur que le trop ne fît étouffer les petits, & qu’on doit les changer tous les jours de paille pour les garantir des puces & de la galle ; que s’ils en étoient atteints, il faudroit les frotter d’huile de noix & de lait chaud. Quand la lice est en travail, on doit lui donner du potage, du lait, & même des œufs frais ; s’il étoit long, lui faire avaler seulement les jaunes, retirer le premier chien de dessous elle, & ainsi des autres, de crainte qu’elle ne les étouffe pendant son travail. Pour la premiere portée, il faut demeurer près de la lice deux ou trois jours, afin d’empêcher qu’elle ne tue ses petits par imprudence ou par malice, ou qu’elle ne les mange ; car si elle prenoit cette mauvaise habitude, il seroit ensuite mal-aisé de l’en empêcher ; si cela arrivoit, il faudroit la faire couper pour s’en servir à la chasse.

Pour les petits que vous mettez sous la matine, il faut observer ce qui est dit dans Charles IX. avoir un état bien en regle de la couverture, du nom du pere & de la mere, du jour de leur naissance, du nombre des mâles, & de celui des femelles, afin que la race s’en connoisse à l’avenir, & aussi pour savoir quand il les faudra retirer de dessous la mere pour les sevrer, le tems qu’il les faudra faire nourrir chez le laboureur, quand il faudra les en retirer pour les mettre au chenil ; & quand on voudra en tirer race, vous en sachiez l’âge, ainsi que pour les faire couvrir à-propos, & qu’ils ne soient pour cela ni trop jeunes, ni trop vieux, ce qui ne doit être qu’à deux ans pour les mâles, plutôt cela les affoibliroit ; & passé quatre ans ils feroient des chiens sans force & sans vigueur ; il faut donner aux petits chiens pendant cinq à six jours du lait sortant du pis de la vache, ou bien le faire chauffer, afin de leur empêcher les tranchées qui ne manqueroient pas de venir sans cette précaution, ce qui pourroit les faire maigrir. Lorsque vos petits auront un mois, vous leur donnerez deux fois le jour du lait, ou une fois seulement, avec un peu de mie de pain ; si les meres en ont assez d’ailleurs pour les tenir en bon état : sinon, vous les sevrerez à six semaines, après quoi il faudra les tenir encore un mois au-moins chez vous, pour les accoutumer à manger du potage de lait que vous leur donnerez, pour les rendre plus forts, avant que de les faire nourrir chez le laboureur.

Evérer ou énerver les chiens. Pour faire cette opération, il faut un rasoir ou un bistouri bien tranchant, un poinçon fort aigu, ou une petite branche de bois en forme de fosset. On fait prendre le chien ou la chienne (car cette opération leur est commune) avec une couple, on lui ouvre la gueule, dans laquelle on passe un mouchoir qu’on tient des deux côtés pour la maintenir ouverte ; on prend la langue avec la main qui doit être envelopée d’un mouchoir, pour que la langue ne glisse point pendant l’opération, on la renverse pour voir & sentir un petit nerf long comme la moitié du petit doigt, & gros comme un ferret d’aiguillette, formé comme un ver, ayant les deux bouts pointus. C’est ce corps qui pique le chien lorsqu’il est ému par le sang qui bout dans ses veines lors de l’accès de la rage, de-sorte qu’il croit qu’il sera soulagé toutes les fois qu’il appuyera ce nerf ou ver for-

tement contre quelque chose en la mordant. Ce nerf

grossit en proportion de l’âge & de l’accès de la rage. Après avoir fait tirer la langue du chien, il la faut tendre le long de ce nerf seulement, pour y passer par-dessous le bout du poinçon, & l’ayant pris, vous l’enleverez en même tems avec assez de facilité, parce qu’il n’a aucune adhérence, après quoi vous laisserez aller le chien, qui se guérira de sa salive. On fait cette opération à l’âge de trois ou quatre mois ; elle prévient tout accident dans les meutes & les chenils, puisque les chiens auxquels on l’a faite, s’ils deviennent enragés, ne mordent jamais, & meurent de la rage, comme d’une autre maladie, cela peut aussi détourner le mal, ou du-moins le rendre plus facile à guerir. Salnove, c. xvij.

Phœbus faisoit éverer ses chiens courans.

Gaston de Foix dit qu’il faut ôter un ver que le chien a sous la langue, lui donner après du pain avec de la poudre de chélidoine, mêlés dans de la vieille graisse, ajoutant que cela est contre la rage quand un chien a été mordu. S’il y a plaie, il veut qu’on y applique de la feuille de rhue, du sel, de la graisse de porc, le tout mêlé avec du miel. Claude Gaucher Damartinoy, aumônier de Charles IX. auteur d’un poëme intitulé, les plaisirs des champs, dans le chapitre de la chasse, dit qu’il faut faire éverer les chiens quand ils ont atteint quinze mois. Fouilloux sans rien dire de positif sur cela rapporte seulement que plusieurs ont prétendu que ce ver que les chiens ont sous la langue est la cause qui les fait devenir enragés, ce qu’il nie, quoiqu’on dise que le chien éverré est moins sujet à cette maladie. Quoi qu’il en soit, il ne rejette, ni n’approuve cette opération. Nous avons vu ce que pense Salnove à ce sujet. M. de la Briffardiere dans son nouveau traité de vénerie, p. 371, à l’occasion de la rage, dit que c’est une sage précaution d’énerver les chiens à qui il n’en arrive jamais aucun inconvénient. Elle est si utile, qu’on ne devroit jamais la négliger ; car jamais les chiens énervés ne courent, ni ne mordent quand ils sont enragés. On prétend même que les jeunes chiens en viennent mieux, & se tiennent plus gras.

On ne devroit donc jamais mettre des chiens dans des meutes, qu’ils n’eussent été auparavant éverrés. La meute du roi a été gouvernée par un veneur nommé la Quête, pendant quarante ans, & il n’est arrivé pendant ce tems aucun accident de rage dans la meute de sa majesté, parce qu’il n’y entroit aucun chien qu’il ne fît éverrer.

Depuis lui on a négligé cette opération, aussi voilà cinq fois que les deux meutes du cerf de S. M. ont été attaquées de la rage. Je me suis trouvé à un voyage de Saint-Leger en 1764, de service pour celui qui a la conduite de l’équipage. J’ai fait énerver toute la meute, qui étoit composée de 82 chiens & 11 limiers, avec l’approbation du commandant ; le tems nous apprendra quel en sera le résultat, & autant qu’il y aura des chiens à qui on n’aura pas fait l’opération, je la leur ferai faire, elle n’est suivie d’aucun fâcheux accident ; le chien énervé le matin, mange à l’ordinaire du pain le soir. On a toujours dit éverrer, quoique ce soit un nerf & non un ver que le chien a sous la langue. M. de la Briffardiere nomme l’opération énerver, & ce doit être sa vraie dénomination.

Après l’opération, continue Salnove, vous mettrez vos chiens chez des laboureurs, qui seront en pays de froment & non de seigle, dont la nourriture ne vaut rien pour de jeunes chiens, parce qu’elle passe trop promptement, & ne nourrit pas assez, pour leur faire le rable large, & toutes les autres parties à-proportion, comme il faut que les chiens courans les aient pour être forts ; il ne faut pas non plus