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ensemble, en les tenant proprement dans leur tonneau, & changeant leur paille tous les jours. Quand ils commenceront à marcher, il faut avoir un gros filet lassé à mailles de presse, & attaché avec un cercle au bout du tonneau, pour les empêcher de sortir, de peur qu’on ne leur marche sur le corps, & leur donner à manger souvent & assez dans leur tonneau. Ceux qui naissent en été, doivent être mis en lieu frais où les autres chiens n’aillent pas ; on doit mettre sous eux quelques clayes ou ais avec de la paille par-dessus qu’il faut changer souvent, de crainte que la fraîcheur de la terre ne leur fasse du mal. Il faut les placer dans un endroit obscur pour qu’ils ne soient pas tourmentés des mouches ; on doit aussi les frotter deux fois la semaine au moins avec un mêlange d’huile de noix & de saffran en poudre, ce qui fait mourir toutes sortes de vers, fortifie la peau & les nerfs des chiens, & empêche que les mouches, puces & punaises ne les tourmentent. On peut aussi frotter la lice de même, en y ajoutant du suc de cresson sauvage, de peur qu’elle ne porte des puces à ses petits : quand ceux-ci auront trois semaines, il leur faut ôter un nœud ou deux de la queue avec une pelle rouge sur une planche. Quand ils commenceront à boire & à manger, il leur faut donner du bon lait pur tout chaud, soit de vache, de chevre ou de brebis. On ne doit les mettre aux villages qu’à deux mois pour plusieurs raisons, dont la premiere est que plus ils tettent, plus ils tiennent de la complexion & du naturel de la mere ; & ceux qui seront nourris par leur mere propre, seront toujours meilleurs. L’autre raison est que, si vous les séparez avant deux mois, ils seront frileux, étant accoutumés à être échauffés par la mere.

Les anciens ont prétendu qu’on connoissoit les meilleurs chiens en les voyant tetter ; que ceux qui tettent le plus près du cœur sont les plus vigoureux, parce que le sang est en cet endroit plus vif & plus délicat. D’autres ont dit les reconnoître dessous la gorge, à un certain signe du poil, en forme de poireau ; les bons en ont un nombre impair, les mauvais un nombre pair ; il y en a qui ont regardé deux ergotures aux jambes de derriere, comme un mauvais signe, une ou point comme une bonne marque. D’autres veulent que les chiens qui ont le palais noir soient bons ; que ceux qui l’ont rouge soient mauvais, & que s’ils ont les naseaux ouverts, cela prouve qu’ils sont de haut nez. Un auteur assure que pour connoître les meilleurs chiens d’une portée, il faut les ôter de dessous leur mere, & les éloigner de leur lit ; & que ceux qu’elle reprendra les premiers pour les y reporter, seront assûrement les meilleurs. Quoi qu’il en soit, ceux qui ont les oreilles longues, larges & épaisses, le poil de dessous le ventre gros & rude sont les meilleurs ; Fouilloux assure l’avoir éprouvé.

Quand les petits chiens auront été nourris deux mois sous la mere, qu’on verra qu’ils mangeront bien, il les faut envoyer au village, en quelque lieu qui soit près des eaux, & loin des garennes. S’ils manquoient d’eau, quand ils viendroient en force, ils pourroient être sujets à la rage, parce que leur sang seroit sec & ardent ; & s’ils étoient près des garennes, ils pourroient se rompre & s’éfiler après les lapins.

On doit les nourrir aux champs de laitage, de pain, & de toutes sortes de potages, cette nourriture leur est beaucoup meilleure que celle des boucheries, d’autant plus qu’ils ne sont point enfermés, & qu’ils sortent quand ils veulent, qu’ils apprennent le train de la chasse, mangent de l’herbe à leur volonté, s’accoutument au froid, à la pluie, en courant après les animaux privés nourris parmi eux. Au contraire, si on les nourrissoit aux boucheries, le sang & la chair

les échaufferoient tellement, que quand ils seroient grands dès les deux ou trois premieres courses qu’ils feroient à la pluie, ils se morfondroient, deviendroient plutôt galeux, seroient sujets à la rage, & à courir après les animaux privés pour en manger le sang, sans apprendre ni à quêter, ni à chasser en aucune maniere.

On doit retirer les petits chiens du village à dix mois, & les faire nourrir au chenil tous ensemble, afin qu’ils se connoissent & s’entendent. Il y a une grande différence entre une meute de chiens nourris ensemble & de même âge, & une de chiens amassés ; après que vous les aurez retirés au chenil, il leur faut pendre des billots de bois au col, pour leur apprendre à aller aux couples.

Le pain qu’on leur donne, doit être un tiers d’orge, un tiers de seigle, & un tiers de froment ; ce mélange les entretient frais & gras, & les garantit de plusieurs maladies. Le seigle seul les relâcheroit trop, le froment seul les constiperoit ; en hiver on leur donnera des carnages, principalement à ceux qui sont maigres & qui courent le cerf, mais non à ceux qui courent le lievre. Les meilleures chairs & celles qui les remettroient le plutôt sont celles de cheval, d’âne, de mulet. On peut mêler quelquefois un peu de souffre dans leur potage pour les échauffer.

Voici ce que dit à ce sujet Charles IX. c. xiv. & xv. après que les petits chiens ont tetté deux mois, il les faut tirer de dessous la mere, & les mettre dans un endroit où ils soient bien nourris de pain de gruau, lait & autres choses semblables, sans qu’ils en aient faute ; on doit les laisser en liberté dans la maison d’un laboureur ; & afin qu’ils s’accoutument au chaud & s’endurcissent les piés, il faut que le laboureur qui les a en garde, les mene avec lui quand il va aux champs : jusqu’à l’âge de six mois ils ne pensent qu’à jouer ; mais quand ils entrent au septieme, on ne doit point les perdre de vue, de peur qu’ils ne chassent les lapins, les lievres, & autres animaux sauvages, ce qui ne peut leur servir de rien ; mais au-contraire ils s’effilent, n’étant point encore assez formés.

Quand le laboureur les a nourris jusqu’à huit mois, comme il est dit ci-dessus, il faut qu’il les change de façon de vivre, & qu’il leur donne du pain tout sec, le meilleur qu’il peut trouver. Depuis cet âge jusqu’au bout de l’an qu’ils doivent demeurer chez lui, il est besoin qu’il leur attache des bâtons au col pour les apprendre à aller au couple, & qu’il les mene parmi le monde & les animaux, afin qu’ils ne soient point hagards quand ils entrent au chenil.

Dès que les chiens ont un an accompli, il est nécessaire de les tirer d’avec le laboureur, & s’il y a quelque gentilhomme qui ait une meute de chiens pour lievres, on doit les lui donner, & laisser pour quatre mois, car il n’y a rien qui leur fasse sitôt le nez bon que de chasser avec de bons chiens ; ils apprennent à requêter, & d’autant que le sentiment d’un lievre n’est si grand que celui du cerf, & qu’il ruse plus souvent, cela leur fait le sentiment meilleur, plus délié & plus subtil ; il faut que le gentilhomme les fasse chasser avec sa meute deux fois la semaine, qu’il les tienne sujets & obéissans, & pour ce faire, qu’il ait quelques valets de chiens à pié avec la gaule, qui les fassent tirer où ils entendent sonner. Il faut aussi ne jamais sonner à faute, c’est-à-dire, que la bête ne soit passée, ou que ce ne soit pour faire curée, car cela leur feroit perdre toute créance.

Tandis que le chien est chez le gentilhomme, on doit le nourrir de pain sec, & le bien traiter de la main, ce qui lui profite autant que toute autre nourriture : l’endroit où on le tient doit être souvent re-