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la fin de chaque automne, ceux qui avoient le mieux rempli leurs devoirs, elle leur imposoit des noms convenables à leurs inclinations. Xenophon dans son livre de venatione, s’est appliqué à donner la signification de beaucoup de ces noms de chiens, tels qu’on les leur donnoit de son tems. Quiconque entendroit bien le vieux langage gaulois, verroit que ceux de miraud, de briffaud, & autres semblables que portent présentement nos chiens de chasse, n’ont signifié autre chose que l’arrêteur, le pilleur, &c. toutes qualités propres à ces chiens. On donne à Pollux la gloire d’avoir le premier dressé des chiens à la chasse, & d’avoir appris la science du connoisseur. Castor a été le premier qui ait dressé des chevaux pour courre le cerf. Persée passoit chez les Grecs pour le plus ancien chasseur de l’antiquité, mais Castor & Pollux lui ont disputé à bon droit cet honneur. Hercule combattit le furieux lion de la forêt de Nemée : on sait l’histoire d’Adonis & de Méléagre. Orcon a ajusté les meutes : Hippolite inventa les filets. Les Grecs disoient que les chiens mal dressés font haïr & abhorrer la vénerie à ceux qui l’aiment le plus. Alexandre le grand s’exerçoit à la chasse dans les intervalles de ses travaux militaires ; il avoit un vieux chien en qui il avoit une si grande confiance, qu’il le faisoit porter à la chasse ; à un défaut ou embarras on le mettoit à terre, & alors il faisoit des coups de maître, après quoi il étoit soigneusement reporté au logis, & bien traité. Albert le grand rapporte qu’Alexandre chargea Aristote d’écrire sur la chasse, & que pour fournir à la dépense de cette étude, il lui envoya huit cent talens, c’est-à-dire, un million quatre cent vingt mille livres, & qu’il lui donna un grand nombre de chasseurs & de pêcheurs pour travailler sous ses ordres, & lui apporter de tous côtés de quoi faire ses observations. Cyrus aimoit beaucoup la chasse, tous les jeunes seigneurs de sa cour s’y exerçoient continuellement avec lui ; il y menoit lui-même ses soldats en tems de paix, pour les former ou les entretenir aux exercices de la guerre, les rendre prompts à cheval, adroits, agiles, vigoureux ; il enjoignoit aux gouverneurs des provinces de mener souvent à la chasse les jeunes seigneurs de leurs gouvernemens ; il fit remplir les charges les plus honorables de la monarchie de Babylone par ses veneurs ; il faisoit faire des parcs pour dresser ses chiens, les anciens les avoient inventés pour ce sujet & pour ajuster les meutes. Avant le regne d’Artaxerxe, il n’appartenoit qu’au maître de tuer ou d’affoiblir ce qu’on chassoit ; ce prince permit à ceux qui chassoient avec lui de frapper & tuer s’ils pouvoient les premiers ce qu’on poursuivoit ; il paroît cependant que ce roi alloit moins à la campagne pour chasser que pour respirer un bon air, puisque le jeune Cyrus, pour engager les Lacédémoniens à se liguer avec lui contre son frere, alléguoit entr’autres raisons qu’il n’étoit pas chasseur. Xenophon grand philosophe & grand général, après sa belle retraite des dix mille, se retira à Sillonte où il fit bâtir une chapelle à Diane, s’amusant à la chasse avec ses fils & ses amis ; ce fut aussi là qu’il composa ses ouvrages, principalement ce qu’il a écrit sur la vénerie, dont il faisoit beaucoup de cas & de grands éloges ; il pensoit que cet exercice fait les meilleurs soldats, qu’il n’y a ni art ni métier qui ait plus de ressemblance & de proportion avec la guerre, que la chasse ; qu’elle accoutume les hommes au froid, au chaud, aux fatigues ; qu’elle échauffe le courage, éleve l’ame, rend le corps vigoureux, les membres plus souples & plus agiles, les sens plus fins ; qu’elle éloigne la vieillesse, & que le plaisir qu’elle procure fait souvent oublier les plus grands besoins. La chasse, dit M. Rousseau, Emile, t. III. p. 228, endurcit le cœur aussi bien que

le corps. « On a fait Diane ennemie de l’amour, & l’allégorie est très-juste, les langueurs de l’amour ne naissent que dans un doux repos, un violent exercice étouffe les sentimens tendres : dans les bois, dans les lieux champêtres, l’amant, le chasseur sont si diversement affectés, que sur les mêmes objets, ils portent des images toutes différentes ; les ombrages frais, les bocages, les doux asyles du premier, ne sont pour l’autre que des viandis, des forts, des remises ; où l’un n’entend que rossignols, que ramages, l’autre se figure les cors & les cris des chiens ; l’un n’imagine que dryades & nymphes, l’autre que piqueurs, meutes & chevaux. » Lycurgue & Agesilas portoient singulierement leur attention à ce que leurs veneurs fussent bien traités à leur retour de chasse. Les Spartiates aimoient les parties de chasse, & ceux qui ne pouvoient y aller, prêtoient leurs chiens & leurs chevaux à ceux qui n’en avoient point. Les veneurs de l’antiquité étoient ordinairement fort dévots ; ils tenoient que les dieux ont pris plaisir à voir les hommes s’adonner à un exercice aussi innocent que l’est la vénerie ; ils consacroient les premices de leurs chasses & de leurs prises à leur chaste Diane.

Les Romains nés guerriers firent de la chasse une affaire importante : elle fut l’école de tous leurs grands hommes ; chez ce peuple chacun pouvoit chasser soit dans son fonds, soit dans celui d’autrui. L. Emilius donna au jeune Scipion un équipage de chasse semblable à ceux des rois de Macédoine ; après la défaite de Persée, Scipion passa à chasser tout le tems que les troupes resterent dans ce royaume. Tout l’amusement de la jeunesse romaine, dit Pline dans son panégyrique à Trajan, & l’école où se formoient tous les grands capitaines, étoit la chasse : on peut dire au moins que le courage fit les chasseurs, & l’ambition les guerriers. Les Grecs & les Romains ont toujours regardé la venerie comme la source de la santé & de la gloire, le plaisir des dieux, des rois & des héros. Jules César faisant l’éloge des peuples du Nord, dit qu’ils sont habiles & attentifs à la guerre & à la chasse ; il donna lui-même à Rome de très beaux spectacles de chasse pendant cinq jours. Pompée, après avoir subjugué les afriquains, exerça la vénerie parmi eux. Les Romains usoient d’un piege assez singulier ; ils plaçoient des miroirs sur les routes que tenoient ordinairement les animaux dangereux, & pendant qu’un d’entr’eux s’amusoit à considérer son semblable qu’il croyoit voir dans le miroir, les chasseurs cachés derriere ou sur les arbres des environs, le tiroient à leur aise. Le sépulcre des Nasons découvert près de Rome, & qui se trouve représenté dans les antiquités des Grævius fournit un exemple de cette ruse de chasse, laquelle est confirmée par un passage de Claudien.

La chasse, selon Pline, a donné naissance aux états monarchiques. Dans les premiers tems, dit cet historien, les hommes ne possédoient rien en propre, ils vivoient sans crainte & sans envie, n’ayant d’autres ennemis que les bêtes sauvages ; leur seule occupation étoit de les chasser ; de sorte que celui qui avoit le plus d’adresse & de force, se rendoit le chef des chasseurs de sa contrée, & les commandoit dans les assemblées qu’ils tenoient pour faire un plus grand abatis de ces bêtes ; mais dans la suite ces troupes de chasseurs vinrent à se disputer les lieux les plus abondans en gibier, ils se battirent, & les vaincus demeurerent soumis aux vainqueurs : c’est ainsi que se formerent les dominations. Les premiers rois & les premiers conquérans furent donc des chasseurs. La collection de Philippe d’Inville présente une infinité de témoignages de l’antiquité, en faveur de la chasse, & les éloges qu’en ont fait Platon, Xenophon, Polybe, Pollux, Cicéron, Virgile, Ho-