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férentes. Plusieurs même en changent selon les saisons. Un bon veneur doit être instruit de tous ces faits ; s’il va au bois pour le cerf, il doit savoir que depuis le mois de Décembre jusque vers celui d’Avril ces animaux se retirent en hordes dans le fond des forêts, dans les futaies où ils trouvent du gland, ou qui sont voisines des jeunes taillis : que pendant le printems & la meilleure partie de l’été ils cherchent les buissons tranquilles & à portée des bons gagnages : que dans le tems du rut ils sont presque toujours sur pié, & n’ont point de rembuchement assuré. Il en est de même des autres animaux. La différence des saisons les porte à changer de retraite. Les loups, par exemple, qui pour l’ordinaire habitent les bois les plus fourrés & les plus épais, n’y rentrent guere pendant l’été lorsque les seigles & les blés sont assez hauts pour les couvrir. Dans cette saison les plaines deviennent bois pour eux.

Il ne suffit pas au veneur d’être instruit des connoissances relatives aux animaux qu’il veut détourner ; il faut qu’il soit muni d’un bon limier qui ait le nez fin & bien exercé, qui ne laisse point aller les vieilles voies, & qui ne s’emporte point jusqu’à crier sur celles qui sont fraîches. De la sûreté du chien dépend souvent le succès de la quête du veneur. Le limier en mettant le nez à terre, & en tirant sur le trait auquel il est attaché, indique la voie récente de l’animal pour lequel il a été dressé. Le veneur est averti par-là de porter les yeux à terre, & de chercher à revoir la voie de la bête dont son chien se rabat. Lorsque la terre est molle, & qu’elle reçoit parfaitement l’image du pié de l’animal, le jugement n’est pas difficile à porter ; mais lorsque la terre est seche, il y faut beaucoup plus d’attention, de travail & de connoissances. Par exemple, si c’est pour un cerf qu’on est au bois, le veneur doit observer les portées, prendre le contrepié pour lever des fumées, tâcher de connoître les allures, en un mot réunir, autant qu’il peut, tous les différens signes par lesquels on peut s’assurer de l’âge de l’animal. En général il est toujours très-utile de prendre le contrepié des bêtes qu’on a détournées ; on apprend par-là toute l’histoire de leur nuit : cette histoire donne quelque connoissance de leur caractere particulier, & indique une partie des ruses dont on pourra avoir à se défier pendant la chasse. On sent combien toutes ces précautions demandent d’expérience & de travail. Le veneur malhabile ou négligent est souvent trompé par l’animal rusé qu’il a devant lui. Il en est qui sans être actuellement inquiétés, ne rentrent au bois qu’en cherchant par des feintes à dérober le lieu de leur retraite ; ils font une douzaine de pas dans le bois, & reviennent ensuite sur leurs voies pour aller se rembucher ailleurs : c’est ce qu’on appelle faux rembuchement. Si le veneur n’a donc pas l’attention d’examiner si son animal ne sort pas après avoir paru rentrer, il court risque de faire un faux rapport, & de se décréditer si l’on faisoit souvent buisson creux sur sa parole. Lorsque le veneur est bien assuré que la bête qu’il suit, est rentrée dans le bois sans en être sortie, lorsqu’il a bien pris toutes les connoissances dont nous avons parlé, relativement à son âge, &c. il n’a plus qu’à en prendre les devants, pour savoir l’enceinte où elle s’est arrêtée. Si son chien lui en remontre, & qu’il la trouve passée, il doit répéter la même manœuvre jusqu’à ce qu’il soit assuré qu’elle ne passe plus. Mais en général il est plus sûr de prendre d’abord les grands devants ; il est même presque toujours dangereux de trop racourcir l’enceinte ; le veneur peut alors se nuire à lui-même, inquiéter la bête en lui donnant vent du trait, & la faire partir ; ce danger existe sur-tout par rapport aux animaux vivant de rapine, comme le loup ; la finesse de leurs sens & leur inquiétude naturelle les rendent très difficiles à détourner.

Lorsque les veneurs sont rassemblés, & qu’ils ont fait leur rapport, on choisit entre les différens animaux détournés celui qu’on veut attaquer. On dispose les relais d’après la présomption qu’on peut avoir des refuites que fera la bête ; le veneur qui doit laisser courre, conduit la troupe & la meute à ses brisées. Les brisées sont des branches qu’il a jettées le matin pour se reconnoître, sur la voie de l’animal qu’il a suivi avec son limier. Lorsqu’on est bien sûr que cet animal est seul dans l’enceinte, on peut y faire entrer sans chaleur les chiens de meute qui le rapprochent & vont le lancer. Mais en général il est plus sûr de faire lancer à trait de limier par le veneur qui a détourné. Lorsqu’on a vu la bête, & qu’elle n’est point accompagnée, on met les chiens de meute sur la voie ; & quand elle est ainsi attaquée, c’est la chasse proprement dite. La charge des veneurs est alors de suivre leurs chiens, & de les appuyer sans trop les échauffer : de les redresser promptement lorsqu’ils se fourvoient : de connoître ceux des chiens qui méritent créance : piquer à ceux-là, & y rallier les autres : de ne donner les relais que dans les momens où l’animal n’étant point accompagné, les chiens peuvent avoir le tems de goûter la voie avant d’être exposés à rencontrer du change : d’éviter par la maniere de découpler ces chiens de relais, les inconvéniens que pourroit occasionner la fougue de ceux qui sont trop ardens : de reprendre, autant qu’il est possible, les chiens qui s’écartent de la meute : les ramener sur la voie, & rendre par-là la mort de l’animal plus assurée, plus bruyante & plus solemnelle. Voyez Meute.

Chaque animal, lorsqu’il est chassé, a des ruses communes à son espece, & en outre il peut en avoir de particulieres qui doivent être l’objet de l’attention du veneur. Ainsi son métier demande autant d’intelligence que de routine ; & en général un bon corps, un esprit actif, beaucoup de facilité à supporter le travail ; mais sur-tout un goût décidé pour la chasse qui supplée presque à tout le reste, & qui est le vrai génie de la chasse. Article de M. Leroi.

Eloge historique de la chasse. Dans tous les tems les hommes se sont exercés à la chasse, & l’ont aimée : les plus forts & les plus robustes en ont fait choix : on en trouve des exemples dans les siecles les plus reculés. Dans la Génese il est dit que Nemrod arriere-petit-fils de Noë fut un violent chasseur, c’est-à-dire, le plus hardi, le plus adroit, & le plus infatigable dans cet exercice. Ismaël fils d’Abraham & d’Agar, son esclave, s’établit dans le désert où il devint un adroit chasseur. Esaü ne fut pas moins habile dans cet art. Les enfans d’Israël chassoient dans le désert. Samson brûla les blés des Philistins par le secours des renards qu’il prenoit, & en leur attachant des flambeaux ardens à la queue, & les laissant courir à travers les champs. David chassoit les bêtes qui attaquoient les troupeaux de son pere. Dans le Pseaume 41, il est parlé du cerf altéré qui soupire avec ardeur après les eaux du torrent. L’écriture sainte qui nous transmet l’histoire réelle du genre humain, s’accorde avec la fable pour constater l’ancienneté de la chasse. C’est une occupation divinisée dans la théologie payenne. Diane étoit la déesse des chasseurs ; on l’invoquoit en partant pour la chasse, & au retour, on lui sacrifioit l’arc, les fleches & le carquois ; Apollon partageoit avec elle l’encens des chasseurs ; on leur attribuoit à l’un & à l’autre l’art de dresser les chiens. Céphale, favori de la divinité chasseresse, étoit excellent veneur, il eut pour compagnon le jeune Actéon fort heureux dans l’exercice de la vénerie. Apollon & Diane y éleverent Chiron à cause de sa vertu & de son courage. Diane avoit une telle affection pour ses chiens, qu’elle couronnoit dans une solemnité annuelle, à