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parenchime transparent, composé de vésicules. Au milieu de ce parenchime, on voit des points noirs, ronds, séparés les uns des autres, qui ont tout l’air d’être des graines nourries dans ce parenchime dont elles ont obscurci la couleur, & où il n’y a que les vaisseaux & quelques cloisons qui sont restées blanches.

Lorsque les truffes sont venues à ce point de maturité, elles ont une très-bonne odeur & un très-bon goût. La chaleur & les pluies du mois d’Août les font mûrit plus promptement ; c’est ce qui peut avoir donné lieu à quelques auteurs de dire que les orages & les tonneres les enfantoient. En effet, on ne commence à fouiller les bonnes truffes, que depuis le mois d’Octobre jusqu’à la fin de Décembre, & quelquefois jusqu’au mois de Février, où pour lors elles sont marbrées ; au lieu que celles que l’on ramasse depuis le mois d’Avril, jusqu’au mois de Juillet & d’Août, ne sont encore que blanches. Si on manque à ramasser les truffes lorsqu’elles sont à leur point de maturité, elles se pourrissent : c’est alors que l’on peut observer la reproduction de la truffe, parce qu’aubout de quelques tems, on trouve plusieurs amas d’autres petites truffes qui occupent la place de celles qui sont pourries. Ces jeunes truffes prennent nourriture jusqu’aux premiers froids. Si la gelée n’est pas forte, elles passent l’hiver, & forment de bonne heure les truffes blanches du printems.

Le grand froid de 1709 est encore une preuve de ce qu’on vient d’avancer, puisqu’on n’a vû des truffes que dans l’automne de la même année ; les plus avancées qui auroient dû paroître au printems, ayant péri par la rigueur de la saison, au lieu que l’année précédente, elles avoient été très-communes.

On ne remarque ni chevelu, ni filamens de racines aux truffes qu’on tire de terre. Elles en sont enveloppées de maniere, qu’elles y impriment les traces de leur écorce, sans y paroître autrement attachées. Elles sont sujettes comme les autres racines, à être percées de vers ; celui qui s’attache à la truffe est un ver blanc assez menu, & différent de ceux qui naissent de leur pourriture : par la suite, il forme une séve renfermée dans un nid tissu d’une soie blanche fort déliée. Il en sort quelque tems après une mouche bleue, tirant sur le violet, qui s’échappe de la truffiere, par des gerçures qu’on y observe. Dès qu’on apperçoit de ces sortes de mouches, on les regarde comme un indice certain qu’il y a des truffes dans l’endroit autour duquel on les voit voltiger ; mais nous ferons un article à part du ver de truffe.

Quand une truffe cuite a été piquée du ver, on s’en apperçoit à l’amertume qu’elle a au goût ; & en y faisant un peu d’attention, on reconnoît que l’endroit de la piquure est plus noir que le reste, & que c’est de-là que vient cette amertume, le reste de la truffe ayant un bon goût. Si on l’ouvre crue à l’endroit de la piquure, on y découvre aisément le nid du ver, & un espace autour sans marbrure, d’une couleur différente du reste de la truffe, & qui approche de celle du bois pourri.

On a observé avec le microscope la superficie des truffes, & on a remarqué que certains points blancs qui s’y trouvent, étoient autant de petits insectes qui les rongent. Ils suivent les sillons de l’écorce pour pouvoir tirer plus de nourriture ; ces insectes sont blancs & transparens, de figure ronde à-peu-près comme les mittes. Ils n’ont que quatre pates & une fort petite tête, ils marchent même assez promptement.

Ces insectes se nourrissent du suc nourricier de la truffe ; la preuve est qu’on en a trouvé qui s’étoient retirés dans le canton qu’avoit habité un ver, ils étoient devenus quoique transparens, d’une couleur de caffé, telle que celle de l’endroit où le ver avoit

niché. Il est à remarquer que la terre qui produit la truffe ne porte point d’autres plantes au-dessus de la truffiere ; la truffe en soustrait le suc nourricier, ou peut-être par son odeur fait périr, & empêche les herbes d’y pousser. Cette derniere raison paroît assez probable, d’autant que la terre qui porte la truffe sent la truffe. Les paysans en certains endroits font un tel profit sur le débit des truffes, que cela les rend soigneux de découvrir les truffieres ; ensorte qu’ils deviennent très-habiles en ce métier.

Ils connoissent l’étendue d’une truffiere à ce qu’il n’y croît rien, & que la terre est nette de toute herbe. En second lieu, suivant la qualité de la terre, lorsque la truffiere est abondante, elle se gerce en différens endroits. Ils la reconnoissent encore, à ce qu’elle est plus légere ; ils la reconnoissent enfin, à ces petites mouches bleues & violettes dont j’ai parlé, & à une autre espece de grosses mouches noires, longues, différentes des premieres, qui sortent des vers qui s’engendrent de la pourriture de la truffe, & tout semblables à ceux qui naissent de toute autre matiere pourrie.

Il y a une habileté à fouiller les truffes, sans les couper, sur-tout lorsqu’elles sont grosses. Pour les tirer, les paysans ont une espece de houlette ; dans d’autres endroits, ils ne s’en rapportent point à eux-mêmes pour cette recherche, mais ils ont recours à un moyen dont parle Pline & d’autres auteurs. Il faut savoir, que les porcs sont fort friands de truffes ; on se sert donc d’un de ces animaux qu’on dresse à les chercher, & à les tirer. Il faut être prompt à leur ôter les truffes qu’ils découvrent, & leur donner quelque chose à la place pour les récompenser, sans quoi ils se rebuteroient, & laisseroient-là une chasse qui leur seroit infructueuse. Dans le Montferrat, ils ont des chiens dressés à cette chasse ; il en est de même en Angleterre, & cette derniere méthode a ses avantages.

Voilà en général les observations de M. Geoffroi sur la truffe. Je vais présentement en déterminer les especes d’après Tournefort, il en compte deux, qu’il distingue par leur figure. La premiere, est la ronde, dont on voit la figure dans ses élémens de Botanique, la même que celle qui est dans Mathiole & dans les autres Botanistes. Cette espece est celle que l’on mange en ce pays, & qui est connue de tout le monde. La seconde espece est celle que Mentzelius nomme dans son pugillus rariorum plantarum, truffes d’Allemagne, tubera subterranea testiculorum formâ. Cette truffe est différente des autres par sa figure, & par sa couleur interne, qui, au rapport de cet auteur, est d’un roux tirant sur le verdâtre, semblable à la couleur interne des vesses de loup de nos bois : peut-être que s’il les eût ouvertes en d’autres tems, il les eût trouvées d’une autre couleur. Il les compare même à une matiere qui change de couleur comme elles. Mentzelius découvrit cette espece dans les mois d’Août & de Septembre, qui est le tems où elles ne sont pas encore mûres, & en un certain canton de la marche de Brandebourg.

Sur ce pié là, nous n’avons encore en Europe que deux especes de truffes qui different par le port extérieur, & nous ne devons point prendre les variétés de couleurs internes, ni les différentes grosseurs pour des caracteres de différentes especes, puisque les racines ou les pierres qu’elles rencontrent en grossissant, leur peuvent donner différentes formes. La truffe est donc une plante & non point une matiere conglomerée, ou un excrément de la terre, comme Pline l’a pensé, en rapportant pour preuve une histoire d’un gouverneur de Carthagène, qui en mordant une truffe, trouva sous ses dents un denier. Cette preuve n’est point suffisante, puisque le hasard peut avoir fait que la truffe en grossissant, ait enve-