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charnue, fongueuse, de forme irréguliere, croissant en terre ; elles sont quelquefois séparées, & quelquefois réunies ensemble.

S’il y a des animaux, qui ont peu l’air d’animaux, il ne faut pas être surpris qu’il y ait aussi des plantes qui n’en ont pas la mine. Les truffes sont de ce nombre ; elles n’ont ni racines, ni filamens qui en tiennent lieu, ni tiges, ni feuilles, ni fleurs apparentes, & nulle apparence de graine. Il faut pourtant qu’elles jettent des semences pour se multiplier. En un mot, il faut que ce soit des plantes. Elles méritent bien par leur singularité, qu’on recueille ici ce qu’en ont écrit quelques physiciens, & M. Geoffroy entr’autres, qui a fait un mémoire sur leur nature.

Tous les corps qui paroissent végéter, se peuvent partager généralement en deux classes. La premiere, de ceux à qui il ne manque rien de tous les caracteres des plantes. La seconde, de ceux à qui il en manque quelques-uns. Parmi ces derniers, les uns manquent de fleurs apparentes, comme le figuier dont on croit la fleur renfermée au-dedans du fruit. D’autres manquent de fleurs & de graines apparentes, comme la plupart des plantes marines dont on soupçonne les semences renfermées dans des vésicules particulieres. D’autres n’ont que des feuilles sans tige, comme le lichen, le lactuca marina, & le nostoch. D’autres ont des tiges sans feuilles, comme les euphorbes, la presle, le litophyton, &c. D’autres enfin, n’ont pour ainsi dire, aucune apparence de plantes, puisqu’on n’y distingue ni feuilles, ni fleurs, ni graines. De ce genre sont la plupart des champignons, les éponges, les morilles & sur-tout les truffes, qui de plus n’ont point de racines. Les Botanistes les ont rangées dans l’ordre des plantes, parce qu’on les voit croître & multiplier ; ils ne doutent point qu’elles n’aient du moins les parties essentielles des plantes, si elles n’ont pas les apparentes, de même que les insectes ont la partie essentielle à l’animal, quoique la structure apparente en soit différente.

Cette sorte de plante est une espece de tubercule charnu, couvert d’une enveloppe ou croûte dure, raboteuse, chagrinée, & gercée à sa superficie, avec quelque régularité, telle à-peu-près qu’on l’apperçoit dans la noix de cyprès. Elle ne sort point de terre ; elle y est cachée à environ un demi-pié de profondeur. On en trouve plusieurs ensemble dans le même endroit, qui sont de différentes grosseurs. Il s’en voit quelquefois d’assez grosses pour être du poids d’une livre ; & ces dernieres sont rares.

Il ne paroît pas que les anciens aient connu notre truffe, car ils décrivent la leur de couleur rougeâtre, & d’une surface lisse ; espece de truffe qui est encore commune en Italie, & qu’on appelle truffe sauvage, mais dont on ne fait aucun cas. Il est vrai cependant que les Romains recevoient quelquefois une truffe blanche d’Afrique, qu’ils estimoient singulierement pour son odeur ; ils la nommoient truffe de Lybie, & les Grecs fort peu au fait de toutes les productions africaines, appelloient celle-ci misy cyrénaïque.

Avicenne met au rang des meilleures truffes, celles qui sont en-dedans de couleur blanchâtre, ou pour mieux traduire le terme qu’il emploie, de couleur de sable, faisant allusion au sable grisâtre qui étoit en usage de son tems. Pline dit avec peu d’exactitude, que les truffes de Lybie étoient plus charnues que les autres. Theophraste s’exprime bien mieux, en disant que leur chair étoit d’un excellent parfum, pour les distinguer des truffes de la Grece qui étoient insipides. Comme les truffes de Lybie venoient dans les sables brûlans de cette région, on les appelloit truffes sablonneuses ; & Martial y fait allusion, lorsqu’il décrit les meilleures truffes, comme faisant des crevasses sur la surface du terrein. Il est vrai, que nous ne voyons point que la terre se fende dans les

endroits où elle porte des truffes ; & Pline lui-même assure que les truffes sont enfouies en terre, sans donner aucune indication de leur place ; il a sans doute raison pour les truffes romaines, & le fait est également vrai pour les nôtres ; mais puisque Martial parle des truffes de Lybie, il faudroit avant que de le censurer, savoir si les truffes d’Afrique fendent ou non, le terrein des endroits où elles se trouvent ; & c’est surquoi nous avons par hazard le témoignage de Léon l’Africain. Cet auteur qui est fort exact dans son détail des truffes de Lybie, rapporte qu’on reconnoît les endroits qui produisent des truffes, par la surface de la terre, élevée en petites mottes, & fendue en un grand nombre de crevasses ; mais laissons les truffes d’Afrique, pour parler de celles de l’Europe qui sont sous nos yeux, & de caractere bien different.

Les bonnes sont communes en Italie, en Provence, en Dauphiné, dans le Languedoc, l’Angoumois, & le Périgord, où elles sont les meilleures. Il en croît aussi en Bourgogne & aux environs de Paris. Il en vient dans le Brandebourg, & en d’autres endroits d’Allemagne ; M. Hatton a le premier découvert les truffes de Northampton, province d’Angleterre, & Morton les a décrites dans son histoire naturelle du pays.

On remarque que les truffes viennent plus ordinairement dans des terres incultes, de couleur rougeâtre & sablonneuse, quoi qu’un peu grasses. On les trouve au pié & à l’ombre des arbres ; on les trouve aussi quelquefois entre des racines, des pierres, & quelquefois en pleine terre. Leur arbre favori est le chène ou le chène-verd, ou le chène blanc, comme l’orme est celui de la morille.

On commence à voir des truffes au premier beau tems qui suit les froids, plutôt ou plus tard, suivant que le tems est doux, mais à la suite du grand hiver, elles ont été très-rares. Elles ne paroissent dans leur naissance, que comme de petits pois ronds, rouges au-dehors, & blancs en-dedans ; ces pois grossissent peu-à-peu. C’est depuis ce tems-là, qu’on commence à tirer de la terre celles qu’on nomme truffes blanches. Elles sont insipides d’elles-mêmes, & on les fait sécher pour entrer dans les ragouts, parce qu’elles se gardent mieux séches que les marbrées.

C’est l’opinion commune, que les truffes qui ont été une fois déplacées ne prennent plus de nourriture, quand même on les remettroit dans la même terre d’où on les a tirées ; mais si on les y laisse jusqu’à un certain point sans les déranger, elles grossissent insensiblement ; leur écorce devient noire, chagrinée, ou inégale, quoiqu’elles conservent toujours leur blancheur au-dedans ; jusqu’à ce point, elles ont très-peu d’odeur & de saveur, & ne peuvent encore s’employer qu’en ragoût ; & c’est toujours ce qu’on appelle premieres truffes blanches, dont il ne faut point faire une espece différente des marbrées & des noires, que l’on recueille depuis l’automne jusque en hiver après les premieres gelées, car ce ne sont que les mêmes à différens points de maturité.

La truffe blanche est dans son premier état, comme une plante qui est tout-à-la-fois racine, tige & fruit, dont le parenchime se gonfle de toutes parts, & dont les parties se développent insensiblement. A mesure que la truffe se gonfle, l’écorce se durcit, se gerce, en différens endroits pour donner plus de nourriture à la masse qui est plus grosse ; alors la truffe change de couleur, & de blanche qu’elle étoit, on la voit insensiblement se marbrer de gris, & on n’apperçoit plus le blanc que comme un tissu de canaux qui se répandent dans le cœur de la truffe, & qui viennent tendre aux gerces de l’écorce.

La matiere grise qui est renfermée entre ces canaux, étant considérée au microscope, paroît être un