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maines. Voyez Discipline militaire & Exercice. (Q)

TROUPEAUX des bêtes à laine, (Econon. rustiq.) la conservation, la multiplication & la beauté des troupeaux dépend presque toujours des agneaux qui en naissent. S’ils sont bien alaités & nourris, ils sont gras, vigoureux & de durée ; ils périssent ordinairement par une vie différente : ceux qui résistent en sont petits, maigres & languissans. Cette sorte de loi naturelle est commune à beaucoup d’especes d’animaux ; il faut donc s’attacher à avoir des troupeaux bien conformés, ou, ne pouvant changer ceux que nous avons lorsqu’ils ne le sont pas, faire en sorte que leurs descendans ne leur ressemblent pas au moyen des soins & des précautions qui dépendent de nous. Nous allons suivre les différens états par où passent les agneaux avant qu’ils parviennent à cet état de vigueur qui les met ordinairement à l’abri des maux du bas âge, pendant lequel ils sont si délicats & périssent aisément, en parcourant en même tems ce qui concerne les brebis & les moutons à-mesure que cela s’enchaînera.

Il en est de la maniere d’élever ces animaux en différens climats, comme de la culture des plantes pour lesquelles chaque climat a ses pratiques différentes ; en sorte que ce qu’on pratique pour les troupeaux dans un pays ne doit pas être suivi dans les autres. Ceux des pays méridionaux, par exemple, ne doivent pas être traités comme ceux des septentrionaux. En ceux-ci les troupeaux restent pendant tout l’hiver sans sortir des bergeries. Dans les autres il est assez rare qu’ils restent enfermés pendant quelques jours de suite. Il pleut, il neige, &c. souvent ou pendant long-tems dans les septentrionaux ; il est rare qu’il pleuve longtems de suite dans les méridionaux ; il est plus rare encore qu’il y neige, & que la neige couvre long-tems de suite la surface de la terre. D’un autre côté les pays méridionaux sont ordinairement exposés à la secheresse vers le printems & l’été, tandis que les septentrionaux jouissent alors d’un tems favorable aux productions de la terre. D’où s’ensuit en général que les troupeaux des pays froids ont besoin pour l’hiver d’une abondante provision de nourriture dans les bergeries, & que ceux des pays chauds en demandent beaucoup moins, puisque ceux-ci ont l’avantage de manger alors une nourriture plus succulente & de leur goût, la prenant eux-mêmes sur les plantes ; au-lieu que ceux des pays froids vivant enfermés, ne peuvent se nourrir que des plantes qui ont perdu une partie de leurs sucs par le desséchement qu’exige le moyen de les conserver. Au contraire les troupeaux des pays méridionaux trouvant vers la fin du printems, & plus encore vers l’été les arbustes durcis & les herbes desséchées par les ardeurs du soleil, & par conséquent sans cette fraîcheur salutaire à leur embonpoint, dépérissent, tandis que ceux des septentrionaux jouissent alors de la fraîcheur des plantes, de leur abondance, & sont à l’abri des ardeurs du soleil. Par où l’on voit que les soins & les précautions doivent être différens dans ces différens climats, & que les climats intermédiaires exigent des soins qui participent de ces deux extrèmes, ce qu’il n’est possible de fixer que par des observations faites en chacun d’eux par des personnes intelligentes, & non par des bergers, dont la plûpart ne suivent que la routine. C’est pourquoi n’ayant été à portée d’observer que les usages de mon climat, je me renfermerai à ne parler que de ce coin de la terre si privilégié par la nature à cet égard, selon de très-anciennes observations, pour donner quelques réflexions qui peuvent être de quelque utilité, parce que peu de chose en. cette matiere peut produire des grands biens à l’état, les laines du Roussillon & du diocèse de Narbonne, sur-tout celles de la montagne de la Clape,

étant les seules, de l’aveu des fabricans & de l’inspecteur général des manufactures de la province de Languedoc, propres à remplacer celles d’Espagne dans la fabrique des Londrins pour les échelles du Levant.

Les plus grands troupeaux de ce climat sont partagés en trois parties. Dans l’une sont les brebis ; dans l’autre les moutons, & la troisieme n’a que les agneaux lorsqu’ils sont sévrés. L’on y reserve du terroir destiné à ces troupeaux la partie la plus fertile en pâturages & la moins pénible pour les brebis, sur-tout quand elles sont avancées dans la grossesse, ou qu’elles alaitent, ou quand elles approchent du tems d’entrer en chaleur. La partie la plus rude est destinée pour les moutons. Les agneaux sévrés participent souvent aux avantages des brebis, & de moins en moins à mesure qu’ils deviennent forts, pour prendre le supplément de leur nourriture sur ce qui est le moins rude qu’on destine aux moutons.

On mêle les béliers avec les brebis dès les premiers jours du mois d’Août, & nous voyons ordinairement que les premiers agneaux naissent au commencement du mois de Janvier suivant, & qu’il en naît plusieurs encore dans le mois d’Avril. Voici ce qui s’ensuit.

Quand l’automne & l’hiver sont doux, & les plantes humectées de tems-en-tems, les arbres, les arbrisseaux, & les aromates en sont plus touffus ; les brebis se portent bien, & les agneaux naissent avec de l’embonpoint ; ils sont alaités tendrement & abondamment ; ils croissent vîte : on les voit caracoler & bondir en troupes dans les bergeries, peu de jours après leur naissance ; dès que leurs meres sont aux champs, où elles restent chaque jour huit, neuf, dix, jusqu’à douze heures de suite ; les agneaux enfermés pendant la foiblesse de leur âge, mangent alors des provisions délicates ; ils préférent avec avidité des feuilles d’olivier, de l’yeuse, qu’on leur coupe à mesure ; ils ne passent guere au-delà d’un mois à vivre de cette façon ; ils suivent ensuite leurs meres pour commencer à paître avec elles. Ils sont disposés ainsi à soutenir les épreuves de la sécheresse quand le printems & l’été en affecte les plantes.

Les choses changent quand l’automne & l’hyver sont rudes, parce que les plantes étant alors dans une espece d’engourdissement, les brebis n’y trouvent qu’une foible nourriture ; elles perdent peu-à-peu l’embonpoint que la transmigration, dans des pays gras pendant l’été, leur avoit donné ; certaines avortent, & les agneaux qui naissent des autres sont la plûpart maigres, les meres les rejettent (il n’y a que la violence qui les fait accueillir), le lait leur manque, malgré les secours artificiels des provisions qu’on leur donne ; enfin les agneaux souffrent, ils en deviennent plus foibles & languissans ; il est rare de les voir jamais, à quelques-uns près, dans un état heureux, & il en est peu de ceux qui naissant les derniers, & trop avant dans le printems, résistent à la sécheresse de cette saison ; le lait leur manque alors, ils ne trouvent pas, quand ils peuvent manger, de quoi brouter sur nos plantes déjà désséchées, de-sorte que la chaleur venant les assaillir, & étant sevrés en même-tems que les premiers nés, ils ne peuvent les suivre qu’avec peine dans les campagnes, ils s’épuisent & périssent avant que d’arriver à l’automne prochaine.

Nous venons de dire que les brebis rejettoient leur agneaux : on les contraint de les accueillir en les enfermant dans une petite case faite exprès avec des claies, & en les y attachant avec une corde qui les embrasse au milieu du corps : on y met l’agneau qu’elle reçoit enfin, ni l’un ni l’autre ne pouvant s’échapper. C’est là où il faudroit soulager la misere & exciter la tendresse par des avoines, des orges, des herbes succulentes, &c. c’est-là aussi où les bergers infi-