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centuries, & encore plus avec ceux des nouvelles tribus ; car ces derniers n’eurent lieu que sous les consuls, & plus de soixante ans après ceux des centuries, & ceux-ci ne commencerent même à être en usage, que depuis que Servius Tullius eut établi le cens, c’est-à-dire plus de deux cens ans après la fondation de Rome.

Les curies étoient en possession des auspices, dont le sceau étoit nécessaire dans toutes les affaires publiques ; & malgré les différentes révolutions arrivées dans la forme de leurs comices, elles se soutinrent jusqu’à la fin de la république. Il y avoit deux sortes de curies à Rome du tems des anciennes tribus : les unes où se traitoient les affaires civiles, & où le sénat avoit coutume de s’assembler, & les autres où se faisoient des sacrifices publics & où se régloient toutes les affaires de la religion. Ces dernieres étoient au nombre de trente, chaque tribu en ayant dix qui formoient dans son enceinte particuliere autant de quartiers & d’especes de paroisses, car ces curies étoient des lieux destinés aux cérémonies de la religion, où les habitans de chaque quartier étoient obligés d’assister les jours solemnels, & qui étant consacrés à différentes divinités, avoient chacune leurs fêtes particulieres, outre celles qui étoient communes à tout le peuple.

D’ailleurs, il y avoit dans ces quartiers d’autres temples communs à tous les Romains, où chacun pouvoit à sa dévotion aller faire des vœux & des sacrifices, mais sans être pour cela dispensé d’assister à ceux de sa curie, & sur-tout aux repas solemnels que Romulus y avoit institués pour entretenir la paix & l’union, & qu’on appelloit charistia, ainsi que ceux qui se faisoient pour le même sujet dans toutes les familles.

Enfin, ces temples communs étoient desservis par différens colleges de prêtres, tels que pourroient être aujourd’hui les chapitres de nos églises collégiales, & chaque curie au contraire, par un seul ministre qui avoit l’inspection sur tous ceux de son quartier, & qui ne relevoit que du grand curion, qui faisoit alors toutes les fonctions de souverain pontife : ces curions étoient originairement les arbitres de la religion, & même depuis qu’ils furent subordonnés aux pontifes, le peuple continua de les regarder comme les premiers de tous les prêtres après les augures, dont le sacerdoce étoit encore plus ancien, & qui furent d’abord créés au nombre de trois, afin que chaque tribu eût le sien. Voilà quel étoit l’état de la religion du tems des anciennes tribus, & quels en furent les principaux ministres tant qu’elles subsisterent.

Le peuple étoit en droit de se choisir tous ceux qui devoient avoir sur lui quelque autorité dans les armes, dans le gouvernement civil & dans la religion. Servius Tullius fut le premier qui s’empara du trône sans son consentement, & qui changea la forme du gouvernement, pour faire passer toute l’autorité aux riches & aux patriciens, à qui il étoit redevable de son élévation. Il se garda bien néanmoins de toucher à la religion, se contentant de changer l’ordre civil & militaire. Il divisa la ville en quatre parties principales, & prit de-là occasion de supprimer les trois anciennes tribus, que Romulus avoit instituées, & en établit quatre nouvelles, auxquelles il donna le nom de ces quatre principaux quartiers, & qu’on appella depuis les tribus de la ville pour les distinguer de celles qu’il établit de même à la campagne.

Servius ayant ainsi changé la face de la ville, & confondu les trois principales nations, dont les anciennes tribus étoient composées, fit un dénombrement des citoyens & de leurs facultés. Il divisa tout le peuple en six classes subordonnées les unes aux

autres, suivant leur fortune. Il les subdivisa ensuite en cent quatre-vingt-treize centuries, par le moyen desquelles il fit passer toute l’autorité aux riches, sans paroître leur donner plus de pouvoir qu’aux autres.

Cet établissement des classes & des centuries, en introduisant un nouvel ordre dans les assemblées du peuple, en introduisit un nouveau dans la répartition des impôts ; les Romains commencerent à en supporter le poids à proportion de leurs facultés, & de la part qu’ils avoient au gouvernement. Chacun étoit obligé de servir à ses dépens pendant un nombre déterminé de campagnes fixé, à dix pour les chevaliers, & à vingt pour les plébéiens ; la classe de ceux qui n’en avoient pas le moyen fut exempte de service, jusqu’à ce qu’on eut assigné une paye aux troupes ; les centuries gardoient en campagne le même rang & les mêmes marques de distinction qu’elles avoient dans la ville, & se rendoient en ordre militaire dans le champ de Mars pour y tenir leurs comices.

Ces comices ne commencerent néanmoins à avoir lieu, qu’après l’établissement des nouvelles tribus, tant de la ville, que de la campagne : mais comme ces tribus n’eurent aucune part au gouvernement sous les rois, qu’on fut même dans la suite obligé d’en augmenter le nombre à plusieurs reprises, & qu’enfin les comices de leur nom ne commencerent à être en usage que sous la république ; nous allons voir comment elles parvinrent à leur perfection sous les consuls.

Pour se former une idée plus exacte des diverses tribus, il est bon de considérer l’état où se trouverent les Romains à mesure qu’ils les établirent, afin d’en examiner en même-tems la situation, & de pouvoir même juger de leur étendue par la date de leur établissement. Pour cela, il faut bien distinguer les tems, & considérer les progrès des Romains en Italie sous trois points de vûe différens ; sur la fin de l’état monarchique, lorsque Servius Tullius établit les premieres de ces tribus ; vers le milieu de la république, lorsque les consuls en augmenterent le nombre jusqu’à trente-cinq ; & un peu avant les empereurs, lorsqu’on supprima les tribus surnuméraires qu’on avoit été obligé de créer pour les différens peuples d’Italie.

Au premier état leurs frontieres ne s’étendoient pas au-delà de six milles, & c’est dans cette petite étendue qu’étoient renfermées les tribus que Servius Tullius établit, entre lesquelles celles de la ville tenoient le premier rang, non-seulement parce qu’elles avoient été établies les premieres ; mais encore parce qu’elles furent d’abord les plus honorables, quoiqu’elles soient depuis tombées dans le mépris.

Ces tribus étoient au nombre de quatre, & tiroient leur dénomination des quatre principaux quartiers de Rome. Varron, sans avoir égard à l’ancienneté des quartiers dont elles portoient le nom, nomme la suburane la premiere ; l’esquiline la seconde ; la colline la troisieme ; & la palatine la derniere : mais leur ordre est différemment rapporté par les historiens.

A l’égard des tribus que Servius Tullius établit à la campagne & qu’on nommoit rustiques, on ne sait pas au juste quel en fut d’abord le nombre, car les auteurs sont partagés sur ce sujet. Comme il est certain que des trente-une tribus rustiques dont le peuple romain étoit composé du tems de Denys d’Halycarnasse, il n’y en a que dix-sept dont on puisse rapporter l’établissement à Servius Tullius, on peut supposer que ce prince divisa d’abord le territoire de Rome en dix-sept parties, dont il fit autant de tribus, & que l’on appella dans la suite les tribus rustiques, pour les distinguer de celles de la ville. Toutes ces tribus porterent d’abord le nom des lieux où elles étoient