Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stances qui peuvent fournir au fer de la matiere inflammable, sont propres à convertir ce métal en acier.

On a vu dans l’article Acier, plusieurs manieres de convertir le fer en acier ; on ne répétera point ici ce qui a été dit dans cet article ; mais on croit nécessaire d’ajouter ici des observations utiles & raisonnées sur ce travail. Elles sont tirées, pour la plupart, d’un mémoire très curieux de M. de Justi, que ce savant chimiste a inséré dans le premier volume de ses œuvres publiées en allemand, en 1760.

Pour faire de bon acier, il est d’abord important d’avoir un fer de la meilleure qualité, c’est-à-dire qui soit ductile & malléable ; c’est celui de Styrie qui passe pour le meilleur de l’Europe. La bonne qualité du fer vient de la nature des mines d’où on le tire, lorsque ces mines sont ou sulfureuses, ou arsénicales, on aura bien de la peine à en tirer un fer propre à faire de bon acier, il sera toujours plus ou moins aigre & cassant. Voyez l’article Fer.

1°. Lorsque l’on veut convertir le fer en acier il faut, comme on a dit, le combiner avec des matieres qui lui fournissent du phlogistique, & qui par-là le rendent plus dur & plus compacte. La preuve de cette vérité, c’est que les barres de fer lorsqu’elles ont été converties en acier, sont beaucoup plus pesantes qu’elles n’étoient dans l’état de fer. D’ailleurs le feu, qui détruit le fer très-promptement, agit beaucoup moins sur l’acier.

2°. Lorsque le fer a été chargé de phlogistique, c’est-à-dire a été converti en acier, il perd les parties inflammables dont il avoit été pénétré si on le fait rougir, si on le fait entrer en fusion, ou si on le laisse refroidir peu-à-peu. C’est sur ce principe qu’est fondée l’opération qu’on appelle trempe de l’acier, qui consiste à plonger l’acier au sortir du feu, dans de l’eau froide, ou dans une liqueur composée de la maniere que nous décrirons dans la suite de cet article. En plongeant ainsi les barres d’acier, le froid les saisit subitement à l’extérieur, & empêche les parties du phlogistique qui s’y étoient insinuées d’en sortir & de se dissiper.

On voit par-là qu’il faut ici distinguer deux opérations ; l’une par laquelle on fait entrer des parties inflammables dans le fer, ce qui produit l’acier ; l’autre par laquelle on fait que les parties qui se sont introduites dans l’acier sont forcées d’y rester, c’est ce qu’on appelle la trempe. Ceci suffit pour faire sentir l’erreur de quelques ouvriers qui croient faire de l’acier en trempant simplement du fer dans l’eau après l’avoir rougi ; il est vrai que par-là ils durcissent la surface du fer, mais cette trempe seule ne peut point en faire de l’acier.

Il y a deux manieres de faire l’acier. La premiere, est un travail en grand, dans lequel on fait fondre du fer avec toutes sortes de matieres inflammables ; on coule ensuite ce fer ; on le forge à plusieurs reprises, & on en fait l’extinction dans l’eau pour le tremper.

La seconde maniere, est celle de la cémentation. Cette derniere est beaucoup meilleure que la premiere, parce qu’on peut empêcher plus sûrement que le fer converti en acier, ne perde les parties inflammables dont on l’a rempli. Voici comment elle se pratique. On prend de la corne, des os, des pattes d’oiseaux, ou telle autre partie des animaux, on les fait calciner à feu doux dans un vaisseau fermé, pour les réduire en une espece de charbon, on pulvérise ces matieres ainsi brûlées, & l’on en prend deux parties ; on les mêle avec une partie de charbon en poudre, & une demi-partie de suie, on incorpore bien exactement ce mélange, que l’on conserve pour l’usage que l’on va dire.

On aura des tuyaux de tôle, en forme de cylindres, qui seront de cinq ou six pouces de diametre,

& qui auront environ trois pouces de longueur de plus que les barres de fer que l’on voudra y mettre, ces tuyaux seront fermés par un fond qui sera pareillement de tôle par un côté, & de l’autre on les fermera avec un couvercle semblable à celui d’une boîte. On mettra dans le fond de cette boîte du mélange qui vient d’être décrit, de l’épaisseur d’un pouce & demi, que l’on pressera avec un bâton. Ensuite on y placera, suivant la longueur de la boîte, trois ou quatre barres de fer bien doux. Il ne faut point que ces barres soient trop épaisses, sans quoi la matiere inflammable ne pourroit les pénétrer jusque dans leur intérieur. Il est à-propos qu’il y ait au moins un pouce d’intervalle entre chacune des barres entre elles, & entre les parois intérieurs de la boîte. Pour cet effet, on n’aura qu’à y faire entrer une espece de grille de fil de fer, qui aura trois ou quatre divisions dans lesquelles on fourrera les barres, qui par-là seront tenues écartées les unes des autres & des parois de la boîte. On remplira les intervalles vuides que les barres laisseront entre elles avec le mélange en poudre que l’on pressera doucement, & on recouvrira le tout d’environ un pouce & demi du mélange, afin d’en remplir la boîte jusqu’au bord en le pressant, après quoi on fermera la boîte avec son couvercle. Pour que l’action du feu n’endommage point la boîte, on la couvrira extérieurement d’un enduit de terre grasse, humectée avec du sang de bœuf, ce qui la fera tenir plus fortement ; on laissera cet enduit se sécher à l’air.

Quand on aura ainsi préparé une ou plusieurs boîtes, on les arrangera dans un fourneau de reverbere ; on les laissera exposées pendant huit à neuf heures à un feu de charbons qui ne doit que les faire rougir obscurément : il est important d’entretenir toujours un feu égal. Les ouvriers en prenant leurs mesures, pourront aussi faire ce travail dans leurs forges en formant une enceinte de pierres qui résistent au feu, ou de briques autour des boîtes.

Au bout de ce tems, on retirera les barres encore rouges des boîtes, & on les éteindra dans de l’eau froide : plus elles seront rouges, plus la trempe les durcira. Pour cet effet, il sera bon de rendre le feu très-violent vers la fin de la cémentation. En suivant ce procédé, on aura de l’acier incomparablement meilleur que celui qui a été fait en grand.

Mais avant que d’en faire des ouvrages, il sera à propos de faire passer cet acier par une nouvelle opération. Elle consiste à souder ensemble quelques-unes de ces barres d’acier, en les faisant bien rougir, à les forger pendant long-tems pour ne faire qu’une même masse. Ce travail est recommandé par M. Lauræus, dans les Mémoires de l’académie des Sciences de Stockholm, où il dit qu’il est dans l’usage de prendre quatre barres d’acier de même longueur, de les souder ensemble par l’action du feu, sans y joindre du fer pour cela ; de les faire forger pour n’en faire qu’une seule barre d’un pouce d’épaisseur, après quoi il les fait rougir parfaitement ; il les prend avec des tenailles par les deux bouts, afin de les tordre autant qu’il est possible, après quoi on les frappe de nouveau à coups de marteaux, afin de les rendre aussi minces qu’elles étoient d’abord ; alors on les plie de nouveau en quatre. On les soude encore de nouveau, on les forge & on les tord de la même maniere ; on réitere la même chose une troisieme fois, alors l’opération est finie, & l’on a de l’acier qui peut servir à faire toutes sortes d’instrumens tranchans & autres. M. Lauræus dit qu’il faut tordre ces barres, parce que les fils ou les veines de l’acier ne sont point toutes dans la même direction, ce qui est cause que lorsqu’on vient à le tremper, les lames se tordent & se contournent de maniere qu’il est très-difficile, ou même impossible de les redresser ; au-lieu qu’en tor-