Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Julien, de Libanius, où l’auteur parle de la transfusion comme en ayant été témoin oculaire ; 11°. enfin il assure que Marsil Ficin, l’abbé Tritheme, Aquapendente, Harvée & Frapaolo l’ont expérimentée. (La Martiniere, opuscules, lettr. à M. de Colbert.) Il auroit pu ajouter pour ôter à ses contemporains & à ses confreres la gloire prétendue de cette découverte, que Libavius avant Harvée l’avoit déja proposée & décrite très-exactement, que Handshan l’avoit pratiquée en 1658, & qu’elle avoit été perfectionnée en 1665 par Lower, &c.

La question sur l’ancienneté de cette opération paroît assez décidée par ce grand nombre de témoignages, dont on ne sauroit contester l’authenticité, du-moins quant à la plus grande partie ; le défaut de quelques ouvrages que la Martiniere cite, m’a empêché de vérifier plusieurs de ses citations, il doit être garant de leur justesse. Cependant je remarquerai que Marsil Ficin, qu’il donne comme transfuseur, ne parle que des bains ou de la succion de sang humain, & non de la transfusion ; que dans le livre de la sibylle Amalthée sur les souffrances des gladiateurs, qu’il cite aussi, il n’y est dit autre chose, sinon que leur sang pourra servir de remede, ce qui certainement ne sauroit s’appliquer à la transfusion, parce que le sang d’un homme mort n’est point propre à cette opération.

Cette découverte étant enlevée avec raison aux médecins du siecle passé, il reste à savoir à qui on en doit le renouvellement, plusieurs personnes se l’attribuent ; les Anglois & les François s’en disputent ce qu’ils appellent l’honneur ; & chacun de son côté apporte des preuves, sur lesquelles il est difficile & très-superflu de décider. On convient assez généralement que les premieres expériences en furent faites en Angleterre, & la premiere transfusion bien avérée y fut tentée par Handsham en 1658. Quelques allemands, Sturmius fameux mathématicien d’Altorf, Vehrius professeur à Francfort, ont prétendu que Maurice Hoffman en étoit le premier auteur, c’est-à-dire le renovateur ; mais leur prétention n’est point adoptée : c’est aussi le sentiment de M. Manfredi, que la transfusion a été imaginée en Allemagne, publiée en Angleterre & perfectionnée en France. Quoique les François avouent que les Anglois & les Allemands ont sur eux l’avantage d’avoir essayé les premiers la transfusion, ils ne cedent pas pour cela les droits qu’ils croient avoir à la découverte, ou au renouvellement de cette opération ; ils prétendent être les premiers qui l’ont proposée, & ils fondent leurs prétentions sur un discours qui fut prononcé à Paris au mois de Juillet 1658, dans une assemblée des savans qui se tenoit chez M. de Montmor, par dom Robert de Galats, religieux bénédictin : le sujet du discours est la transfusion du sang, & le but de l’auteur est d’y prouver la possibilité, la sécurité & les avantages de cette opération. Comme ces assemblées étoient fréquentées par des savans étrangers, & qu’il y avoit entr’autres quelques gentilshommes anglois qui y étoient très-assidus, il n’est pas fort difficile à concevoir, disent les François, comment l’idée de la transfusion aura passé par leur moyen dans les pays les plus éloignés. Tardy, médecin de Paris, prétend en avoir eu la premiere idée, & d’autres assûrent que M. l’abbé Bourdelot, médecin, en avoit parlé long-tems auparavant dans des conférences qui se faisoient chez lui. Il est d’ailleurs certain, par le témoignage unanime des auteurs de différentes nations, que les François ont les premiers osé en faire des expériences sur les hommes ; mais en cela méritent-ils plus d’éloges que de blâme ? Les succès ne déposent pas en leur faveur ; mais il faut présumer que l’intérêt public & l’espérance de guérir plus promptement des maladies opiniâtres, furent

les motifs qui les engagerent à ces tentatives ; & dans ce cas, ils seroient certainement excusables : on ne devroit au contraire avoir pour eux que de l’horreur, s’ils n’ont eu d’autre but que de se distinguer, & s’ils ont cruellement fait servir les hommes de victimes à leur ambition. Quoiqu’il en soit, l’exemple de Denis, le premier transfuseur françois, fut bientôt après suivi par Lower & King. Les Italiens ne furent pas moins téméraires ; en 1668, ils répéterent la transfusion sur plusieurs hommes. MM. Riva & Manfredi firent cette opération. Un médecin, nommé Sinibaldus, voulut bien s’y soumettre lui-même ; les mêmes expériences furent faites en Flandres, & eurent, s’il en faut croire Denis, un heureux succès.

Les auteurs qui pratiquoient dans les commencemens la transfusion sur les animaux, ne cherchoient par cette opération qu’à confirmer la fameuse découverte pour-lors récente de la circulation du sang, mais les preuves qui en résulterent étoient assez inutiles, & d’ailleurs peu concluantes, quoi qu’en dise Boerhaave. Si on les avoit opposées aux anciens, ils n’auroient pas manqué d’y répondre que le sang étoit reçu dans les veines sans circuler, ou qu’il y étoit agité par le mouvement de flux & reflux qu’ils admettoient, que les modernes ont nié, & qui paroît cependant confirmé par quelques expériences ; mais, comme le remarque judicieusement l’immortel auteur du traité du cœur, « lorsqu’on connoît le cours du sang, on trouve dans la transfusion une suite, plutôt qu’une preuve évidente de la circulation », vol. II. liv. III. chap. iij. On ne fut pas long-tems à se persuader qu’on pourroit tirer de la transfusion des avantages bien plus grands, si on osoit l’appliquer aux hommes, M. Denis assûre qu’il donna d’autant plus volontiers dans cette idée, que de tous les animaux qu’il avoit soumis à la transfusion, aucun n’étoit mort, & qu’au contraire il avoit toujours remarqué quelque chose de surprenant dans ceux qui avoient reçu un nouveau sang ; mais comme il n’avoit jamais pratiqué telle opération que sur des sujets de même espece, il voulut, avant de la tenter sur des hommes, essayer si les phénomenes en seroient les mêmes, & les suites aussi peu funestes, en faisant passer le sang d’un animal dans un autre d’une espece différente : il choisit pour cet effet le chien & le veau, dont il crut le sang moins analogue ; mais cette expérience réïterée plusieurs fois, ayant eu constamment le même succès, les chiens recevant sans aucune indisposition le sang étranger, il se confirma de plus en plus dans l’espérance de la voir reussir dans l’homme. Cependant ne voulant rien précipiter dans une matiere aussi intéressante, où les fautes sont si graves & irréparables, ce médecin prudent publia ses expériences, annonça celles qu’il vouloit faire sur les hommes, bien-aise de savoir l’avis des savans à ce sujet, & d’examiner les objections qu’on pourroit lui faire pour le dissuader de pousser si loin ses expériences, mais il n’eut pas lieu d’être retenu par les raisons qu’on lui opposa. Fondées uniquement sur la doctrine assez peu satisfaisante de l’école, elles ne pouvoient pas avoir beaucoup de force : les principales étoient 1°. que la diversité des complexions fondée sur le sang, suppose qu’il y a tant de diversité dans les sangs des différens animaux, qu’il est impossible que l’un ne soit un poison à l’égard de l’autre ; 2°. que le sang extravasé, ou qui sort de son lieu naturel, doit nécessairement se corrompre, suivant le sentiment d’Hippocrate ; 3°. qu’il doit se coaguler en passant par des vaisseaux inanimés, & causer ensuite en passant par le cœur des palpitations mortelles. Il ne fut pas mal-aisé à Denis de détruire ces objections frivoles, il y opposa de mauvais raisonnemens qui passerent alors pour