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à une loi qui ne les oblige en rien, doit leur faire fouler aux piés la loi de la nature, qui oblige tous les hommes dans tous les tems & dans tous les lieux ? Y a-t-il aucune loi qui soit aussi obligatoire que les lois éternelles de l’équité ? Peut-on mettre en problème si un juge est plus obligé de les observer, que de respecter les usages arbitraires & inhumains des colonies ?

On dira peut-être qu’elles seroient bientôt ruinées ces colonies, si l’on y abolissoit l’esclavage des negres. Mais quand cela seroit, faut-il conclure de-là que le genre humain doit être horriblement lésé, pour nous enrichir ou fournir à notre luxe ? Il est vrai que les bourses des voleurs de grand chemin seroient vuides, si le vol étoit absolument supprimé : mais les hommes ont-ils le droit de s’enrichir par des voies cruelles & criminelles ? Quel droit a un brigand de dévaliser les passans ? A qui est-il permis de devenir opulent, en rendant malheureux ses semblables ? Peut-il être légitime de dépouiller l’espece humaine de ses droits les plus sacres, uniquement pour satisfaire son avarice, sa vanité, ou ses passions particulieres ? Non.... Que les colonies européennes soient donc plutôt détruites, que de faire tant de malheureux !

Mais je crois qu’il est faux que la suppression de l’esclavage entraineroit leur ruine. Le commerce en souffriroit pendant quelque tems : je le veux, c’est-là l’effet de tous les nouveaux arrangemens, parce qu’en ce cas on ne pourroit trouver sur le champ les moyens de suivre un autre système ; mais il résulteroit de cette suppression beaucoup d’autres avantages.

C’est cette traite de negres, c’est l’usage de la servitude qui a empêché l’Amérique de se peupler aussi promptement qu’elle l’auroit fait sans cela. Que l’on mette les negres en liberté, & dans peu de générations ce pays vaste & fertile comptera des habitans sans nombre. Les arts, les talens y fleuriront ; & au-lieu qu’il n’est presque peuplé que de sauvages & de bêtes féroces, il ne le sera bientôt que par des hommes industrieux. C’est la liberté, c’est l’industrie qui sont les sources réelles de l’abondance Tant qu’un peuple conservera cette industrie & cette liberté, il ne doit rien redouter. L’industrie, ainsi que le besoin, est ingénieuse & inventive ; elle trouve mille moyens différens de se procurer des richesses ; & si l’un des canaux de l’opulence se bouche, cent autres s’ouvrent à l’instant.

Les ames sensibles & généreuse, applaudiront sans doute à ces raisons en faveur de l’humanité ; mais l’avarice & la cupidité qui dominent la terre, ne voudront jamais les entendre. (D. J.)

Traite par terre, (Finances de France.) la traite par terre, autrement l’imposition foraine d’Anjou, fut établie par Philippe-Auguste en 1204, après la conquête de cette province sur toutes les denrées sortant de la province d’Anjou, vicomté de Thouars & de Beaumont, pour entrer en Bretagne. Cette loi n’étoit pas encore commune à toutes les provinces ; mais en 1599 Henri IV. y ajouta un supplément sous le nom d’imposition nouvelle d’Anjou.

L’imposition nouvelle d’Anjou est funeste dans ses effets, & les usurpations des engagistes ont été très-violentes ; ils prétendirent d’abord assujettir les toiles de Laval à leur tarif, parce que la vicomté de Beaumont est sur les frontieres du Maine, & que les fermiers, dans l’impression de leur tarif en 1653, avoient ajouté cette province comme comprise dans leur ferme. Les plaintes furent portées au conseil, & l’entreprise reprimée en 1686 ; mais un fermier ne court jamais aucun risque de troubler le commerce, toujours obligé de payer par provision, ou de perdre son cours ; ajoutez que les droits de la traite par terre

anéantissent le commerce & ruinent la province. Ils sont de soixante-deux livres deux sous du cent pesant, c’est une somme excessive. Considérations sur les finances, tome I. (D. J.)

Traite, s. f. (terme de Banquier.) ce mot signifie les lettres de change qu’ils tirent sur leurs correspondans.

Traite, chez les Tanneurs, Mégissiers & Chamoiseurs, se dit du bord du plain où ils mettent les peaux pour les préparer avec de la chaux. Ainsi relever les peaux sur la traite, c’est les ôter du plain & les mettre sur le bord pour les y faire égoutter. Voyez Plain.

Traite, s. f. (terme de monnoie.) c’est tout ce qui s’ajoute au prix naturel des métaux qu’on emploie à la fabrication des especes, soit pour les remedes de poids & de loi, soit pour les droits de seigneuriage & de brassage. Il signifie plus que rendage, qui ne comprend que le seigneuriage & brassage. (D. J.)

TRAITÉ, s. m. (Gram.) discours étendu écrit sur quelque sujet. Le traité est plus positif, plus formel & plus méthodique que l’essai ; mais il est moins profond qu’un système. Voyez Essai & Système. La Théologie se divise en plusieurs traités. Il y a plusieurs ouvrages de Lamothe le Vayer qu’on peut regarder comme autant de traités sceptiques.

Traité public, (Droit politiq.) Nous entendons ici par traités publics les conventions qui ne peuvent être faites qu’en vertu d’une autorité publique, ou que les souverains, considérés comme tels, font les uns avec les autres, sur des choses qui intéressent directement le bien de l’état : c’est ce qui distingue ces conventions, non-seulement de celles que les particuliers font entr’eux, mais encore des contrats que les rois font au sujet de leurs affaires particulieres. Il est vrai que ce ne sont pas les traites, mais la nécessité qui lie les rois. L’histoire nous apprend que tous les autres droits, ceux de la naissance, de la religion, de la reconnoissance, de l’honneur même, sont de foibles barrieres, que l’ambition, la vaine gloire, la jalousie, & tant d’autres passions brisent toujours. Cependant, puisque les traités publics font une partie considérable du droit des gens, nous en considérerons les principes & les regles, comme si c’étoient des choses permanentes.

La nécessité qu’il y a eu d’introduire l’usage des conventions entre les hommes, & les avantages qui leur en reviennent, trouve son application à l’égard des nations & des différens états : les nations peuvent, au moyen des traités, s’unir ensemble par une société plus particuliere, qui leur assûre réciproquement des secours utiles, soit pour les besoins & les commodités de la vie, soit pour pourvoir d’une maniere efficace à leur sûreté, en cas de guerre.

Cela étant, les souverains ne sont pas moins obligés que les particuliers de tenir leur parole & d’être fideles à leurs engagemens. Le droit des gens fait de cette maxime un devoir indispensable. L’obligation où sont les souverains à cet égard est d’autant plus forte, que la violation de ce devoir a des suites plus dangereuses, & qui intéressent le bonheur d’une infinité de particuliers. La sainteté du serment qui accompagne pour l’ordinaire les traités publics, est encore une nouvelle raison pour engager les princes à les observer avec la derniere fidélité ; & certainement rien n’est plus honteux pour les souverains, qui punissent si rigoureusement ceux de leurs sujets qui manquent à leurs engagemens, que de se jouer eux-mêmes des traités, & de ne les regarder que comme un moyen de se tromper les uns les autres.

Tous les principes sur la validité ou l’invalidité des conventions en général, s’appliquent aux traités publics, aussi-bien qu’aux contrats des particuliers ; il faut, dans les uns comme dans les autres, un consen-