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differe qu’en ce que le chassis du haut de la touraille est la même chose que les plate-formes qui posent sur les murs d’un pavillon ; elle a quatre entraits, des chevrons, des croupes & des empannons ; & au lieu de poinçon, c’est un petit chassis pour recevoir les arêtiers & chevrons. Le petit chassis est posé sur un massif de la même grandeur : au milieu est un petit fourneau dont l’ouverture de la cheminée est au milieu du petit chassis de la touraille, par où la fumée entre dans ladite touraille. Sur le grand chassis au haut de la touraille sont des sommiers sur lesquels sont posé les tringles sur quoi l’aire de crin est étendue, & sur laquelle on étend le grain lorsqu’on le fait sécher.

TOURAINE, (Géog. mod.) province de France, bornée au nord par une partie du Maine, & par le Vendômois ; au midi, par le Berri & le Poitou ; au levant, par le Blaisois ; & au couchant, par l’Anjou.

On donne à la Touraine 24 lieues de longueur du midi au nord, & 22 du levant au couchant. La Loire la divise en haute & basse ; mais outre cette riviere, elle est arrosée du Cher, de la Vienne, de l’Indre, de la Creuse, &c. qui toutes ensemble lui procurent beaucoup de variétés agréables, & beaucoup de commodités pour le commerce, & pour la communication avec les autres provinces.

Son climat est tempéré, & d’une grande bonté. Ici sont des terres sablonneuses faciles à cultiver, & toujours en labour. Elles rapportent du seigle, de l’orge, du mil, des légumes, & de la gaude pour la teinture. Là, c’est un terrein uni dont les terres sont grasses & fertiles en froment. Ailleurs, sont des terres marécageuses & pleines d’étangs poissonneux : les rivieres arrosent des prés & des pâturages pour la nourriture des bestiaux ; les forêts fournissent du bois.

On y trouve aussi quelques mines de fer & de cuivre. Il y a du salpêtre dans les côteaux de la Loire exposés au midi. Dans une plaine près de Liqueil, l’on trouve quantité de coquillages, qui réduits en poudre, servent à fertiliser les terres. Les côteaux de la Loire & du Cher sont chargés de vignes ; dans d’autres dont le terroir est plus gras, l’on y recueille d’excellens fruits, noix, noisettes, amandes, prunes & pruneaux délicieux. En un mot, c’est une province ;

Que du ciel la douce influence
Loin des hivers & des frimats,
A fait le jardin de la France.

Toute la Touraine est du ressort du parlement & de la cour des aides de Paris. Elle a un grand maître des eaux & forêts créé en 1689, parce que le roi possede trois forêts dans cette province ; savoir celle d’Amboise, qui contient seize mille arpens de bois, dont environ trois mille de haute futaie ; celle de Loches qui contient cinq mille arpens en futaie ; & celle de Chinon qui contient environ sept mille arpens, partie en futaie, partie en taillis.

Cette province s’enrichissoit autrefois par ses manufactures de draperie, de tannerie, de soierie & de rubanerie ; mais toutes ces manufactures sont tombées en décadence ; celles de draperie & de tannerie, sont anéanties ; la soierie occupoit dans le seizieme siecle plus de huit mille métiers, sept cens moulins à soierie, & plus de quarante mille personnes ; elle n’en occupe pas aujourd’hui deux mille. Des trois mille métiers de rubanerie, il en reste à peine cinquante.

Plusieurs causes ont concouru à la destruction de ces manufactures, qui attiroient dans la province plus de dix millions par an. Il faut mettre entre ces causes, la cessation du commerce avec les étrangers, la sortie des ouvriers hors du royaume, l’obligation qu’on a imposée aux marchands d’acheter à Lyon les soies dont ils ont besoin, &c.

La Touraine a été érigée en gouvernement général l’an 1545, & aujourd’hui elle a un gouverneur, un lieutenant-général, & un lieutenant de roi. Il y a deux duchés pairies dans ce gouvernement, Montbazon & Luynes. On compte dans la Touraine, huit villes royales dont le domaine est engagé, à l’exception de celui de Tours, capitale.

Les peuples de cette province, appellées Tourangeaux, ont pris leur nom des anciens Turones ou Turoni, marqués entre les Celtes dans les commentaires de César. Tacite les nomme Turoni imbelles. Le Tasse les a peints dans sa Jérusalem, chant I.

Non è gente robusta, ò faticosa,
Se ben tutta di ferro ella riluce ;
La terra molle, è lieta, è dilettosa
Simili à se gli habitator produce :
Impeto fa nelle battaglie prime ;
Mà di leggier poi langue, è si reprime.

Ce portrait a été élégamment rendu en vers latins par un poëte de Sicile :


Turba licet chalybis cataphracta horrore nitentis,
Ægra labore tamen, nec vivida robore : mollis
Blandaque terra, sibi similes educit alumnos,
Scilicet ; hi sub prima ruunt discrimina pugnæ
Præcipites, sed restincto mox fulgure torpent.

Comme les muses aiment les pays délicieux, la Touraine a produit des gens qui les ont cultivées avec honneur. Dans ce nombre, je ne dois pas oublier MM. de Racan & de Marolles.

Racan, (Honorat de Beuil, marquis de,) poëte françois, ne en 1589, & l’un des premiers de l’académie françoise, mourut à Paris en 1670, à quatre-vingt-un ans.

Il s’est acquis une grande réputation par ses bergeries ou églogues, & par ses odes sacrées, ou paraphrase des pseaumes. Il avoit un génie fecond, aisé, un caractere doux & simple ; par conséquent il ne lui manquoit rien pour être berger. Aussi trouve-t-on dans ses bergeries des morceaux pleins d’agrément & de délicatesse. Nous ne citerons de lui que sa chanson des bergers à la louange de la reine, mere de Louis XIII.

Paissez, cheres brebis, jouissez de la joie
Que le ciel vous envoie.
A la fin sa clémence a pitié de nos pleurs ;
Allez dans la campagne ; allez dans la prairie.
N’épargnez point les fleurs,
Il en revient assez sous les pas de Marie.

Par elle renaîtra la saison desirée
De Saturne & de Rhée,
Où le bonheur rendoit tous nos desirs contens ;
Et par elle on verra reluire en ce rivage
Un éternel printems,
Tel que nous le voyons paroître en son visage.

Nous ne reverrons plus nos campagnes désertes,
Au-lieu d’épis couvertes
De tant de bataillons l’un à l’autre opposés :
L’Innocence & la Paix regneront sur la terre ;
Et les dieux appaisés
Oublieront pour jamais l’usage du tonnerre.

La nymphe de la Seine incessamment révere
Cette grande bergere,
Qui chasse de ses bords tout sujet de souci,
Et pour jouir long-tems de l’heureuse fortune
Que l’on possede ici,
Porte plus lentement son tribut à Neptune.

Paissez donc, mes brebis, prenez part aux délices
Dont les destins propices,
Par un si beau remede ont guéri nos douleurs :
Allez dans la campagne ; allez dans la prairie ;