Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/464

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant qu’on jette la seconde, & ainsi de suite jusqu’à la derniere.

Si vous voulez deviner la carte qu’on aura touchée, il faut faire tirer une carte du jeu, la faire mettre sur la table, & remarquer quelque tache particuliere sur cette carte (cela est facile, car il n’y a pas une carte qui n’ait une marque particuliere) ; vous dites ensuite qu’on la mette dans le jeu, & qu’on batte les cartes. Quand elles sont bien battues, vous les prenez & montrez la carte qu’on a touchée.

Pour trouver la carte que quelqu’un aura pensée, il faut premierement diviser ces cartes en cinq ou six tas, & faire ensorte qu’il n’y ait que cinq ou sept cartes à chaque tas. Secondement il faut demander en montrant ces tas les uns après les autres, dans quel tas est la carte qu’on a pensée, & en même tems compter combien il y a de cartes dans ce tas. Troisiemement il faut mettre ces tas les uns sur les autres, en sorte que celui où est la carte pensée soit dessous. Quatriemement, il faut encore faire autant de tas qu’il y avoit de cartes dans le tas où étoit la carte pensée, sans y employer tout le jeu, mais garder autant de cartes qu’il en faut pour en mettre une sur chaque tas. Cinquiemement, il faut montrer les tas les uns après les autres, & demander une seconde fois dans quel tas est la carte pensée. Elle sera précisément la premiere du tas qu’on vous indiquera.

Il est aisé de deviner les cartes de dessus trois tas de cartes. Pour cet effet, remarquez une carte dans le jeu que vous faites trouver dessus en battant. Après cela vous faites trois tas sur l’un desquels se trouve la carte que vous connoissez. Il faut appeller la carte que vous connoissez la premiere, & au-lieu de la prendre, vous en prenez une autre, que vous regardez, laquelle vous appellez en prenant celle du second tas ; enfin vous appellez celle-ci en prenant celle que vous connoissez d’abord. Ayant donc en votre main les trois cartes que vous avez appellées, vous les faites voir selon l’ordre que vous les avez appellées.

Pour faire trouver trois valets ensemble avec une dame, quoiqu’on ait mis un valet avec la dame sur le jeu, un valet dessous & l’autre dans le milieu du jeu, voici ce qu’on fait. On ôte trois valets & une dame du jeu que l’on met sur la table ; ensuite on dit, en montrant les trois valets : « messieurs, voilà trois drôles qui se sont bien divertis au cabaret ; après avoir bien bu & bien mangé, ils se demandent l’un à l’autre s’ils ont de l’argent ; il se trouve que tous trois n’ont pas un sou. Comment faire, dit l’un d’eux ? Il faut demander encore du vin à l’hôtesse, & tandis qu’elle ira à la cave, nous nous enfuirons ». Tous trois y consentent, appellent l’hôtesse, qui est la dame qu’on montre, & l’envoient à la cave. Pour cela vous renversez la dame sur la table, après quoi vous dites : « Allons, il faut faire enfuir nos trois gaillards ». Vous en mettez un sur le jeu, un dessous, & l’autre au milieu. Notez qu’avant que vous fassiez le tour, il faut faire en sorte que le quatrieme valet se trouve dessous, ou sur le jeu de cartes. L’hôtesse étant de retour, & ne trouvant pas ses trois gaillards, se met en état de courir après. « Faisons-la courir, dites-vous ; voyons si elle pourra attraper nos trois drôles ». Pour cela vous la mettez sur le jeu ; après quoi vous donnez à couper à quelqu’un de la compagnie : il est certain qu’en jettant les cartes les unes après les autres, on trouvera trois valets avec la dame.

Le dernier tour que je vais décrire est le tour des jetons. Vous faites compter par une personne dix-huit jetons ; vous en prenez 6 pendant ce tems-là dans la bourse, & vous les cachez entre le pouce & le premier doigt de votre main droite : ensuite vous dites, « monsieur, vous avez compté dix huit jetons » ; vous dit qu’oui : pour lors vous ramassez les jetons,

& en les ramassant vous laissez tomber les six que vous avez dans votre main avec les dix-huit ; vous les mettez tous dans la main de la personne qui les a comptés ; ainsi il y en a vingt-quatre : ensuite vous lui dites : « Combien souhaitez-vous qu’il y en ait dans votre main, entre dix-huit & vingt-quatre » ? Si l’on dit : « je souhaite qu’il y en ait vingt-trois », vous dites : « monsieur, rendez-moi un de vos jetons », & vous lui faites observer qu’il en reste dix-sept, parce que vous lui avez fait croire que vous ne lui en avez donné que dix-huit. Enfin vous prenez des jetons dans la bourse, & vous comptez 18, 19, 20, 21, 22 & 23 ; vous ramassez ces six jetons en faisant semblant de les mettre dans votre main gauche ; mais vous les retenez dans la droite, que vous fermez, & vous faites semblant de les faire passer avec les dix-sept, en ouvrant votre main gauche : vous tenez cependant les six jetons dans votre main droite, & vous dites à la personne de compter ces jetons ; il trouve le nombre qu’il a demandé, qui est vingt-trois.

Vous mêlez vos six jetons parmi les vingt-trois en les ramassant, & vous remettez le tout ensemble dans la bourse, ou les remettant secretement dans la main de la même personne avec six autres jetons : vous lui dites de fermer la main, & vous lui demandez combien il veut qu’il s’y en trouve de vingt-trois à vingt-neuf. S’il en demande, par exemple, vingt-six, vous lui dites de vous en donner trois ; puis de vingt-trois à vingt-six vous comptez trois, que vous faites semblant de faire passer dans la main avec les autres, comme vous avez fait ci-dessus ; alors vous lui dites de compter, il s’en trouve vingt six : vous les ramassez, & en les ramassant vous remettez les trois que vous avez dans votre main avec les autres, & vous serrez le tout ensemble.

Comme il y a des personnes qui se trouveroient embarrassées, si au-lieu de vingt-trois jetons que j’ai supposés, l’on en demandoit dix-neuf, combien il faudroit demander des jetons ? on remarquera dans ce cas combien il faut de jetons depuis le nombre que la personne demande jusqu’à vingt-quatre ; ce qu’il y aura est le nombre qu’il faut demander, ce qu’on comprend sans peine.

Il ne sera pas fort difficile de deviner la plûpart des autres tours de cette espece, dès qu’on en cherchera vivement la clé. Mais il se présente quelquefois en public des hommes qui font des tours fort surprenans d’un autre genre, & que les physiciens eux-mêmes ont bien de la peine à expliquer. Il n’entre dans ces tours point d’esprit, de ruse ou d’escamotage ; ce sont des épreuves vraies, & qu’aucun spectateur ne peut imiter. En un mot ces tours dépendent nécessairement d’une conformation d’organes particuliers, fortifiée par une prodigieuse habitude, & accompagnée quelquefois d’une adresse merveilleuse.

Ce que le sieur Richardson, anglois, faisoit en public à Paris en 1677, étoit assurément fort étonnant : cet homme qu’on appelloit le mangeur de feu, faisoit rôtir une tranche de viande sur un charbon dans sa bouche, allumoit ce charbon avec un soufflet, & l’enflammoit par un mélange de poix noire, de poix résine & de soufre enflammé ; ce mélange allumé dans sa bouche produisoit le même frémissement que l’eau dans laquelle les forgerons éteignent le fer, & bien-tôt après il avaloit ce charbon enflammé, cette poix, ce soufre & cette résine. Il empoignoit un fer rouge avec sa main, qui n’étoit pas cependant plus calleuse que celle d’un autre homme, enfin il tenoit un autre fer rouge entre ses dents.

M. Dodart a fait de grands efforts dans les anciens mémoires de l’académie des Sciences pour expliquer tous ces faits dont il avoit été témoin avec ses colle-