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né robuste. Un ancien a dit aussi fort sentencieusement, que ceux qui peuvent supporter la question, & ceux qui n’ont point assez de force pour la soutenir, mentent également.

TORYNE, (Géog. anc.) Toryna, lieu de l’Epire, sur la côte. Plutarque, in Antonio, dit que pendant qu’Antoine se tenoit à l’ancre près du cap Actium à la droite, où fut depuis bâtie la ville de Nicopolis, Octave se hata de traverser la mer d’Ionie, & s’empara le premier du poste appellé Toryne. Antoine fut consterné d’apprendre cette nouvelle, car son armée de terre n’étoit pas encore arrivée ; mais Cléopatre se moquant & jouant sur le mot : hé bien, dit-elle, qu’y a-t-il de si terrible qu’Octave soit assis à Toryne ? Il est impossible de conserver dans la langue françoise la grace de cette allusion, ce qu’Amiot a fort bien vu. Toryne qui est ici un nom de ville, signifie aussi une cuillere-à-pot ; & c’est sur cette derniere signification que porte la plaisanterie de ce bon mot, comme si Cléopatre avoit dit : hé bien, qu’y a-t-il de si terrible qu’Octave se tienne près du feu à écumer le pot ? La plaisanterie étoit d’autant plus jolie, qu’elle tomboit sur un homme qui dans les combats sur terre se mettoit avec les gens du bagage, & sur mer, alloit se cacher à fond de cale, ce qu’Antoine n’ignoroit pas. (D. J.)

TORYS, s. m. (Hist. mod.) faction ou parti qui s’est formé en Angleterre, & qui est opposé à celui des Whigs. Voyez Faction, Parti, Whig, &c.

Ces deux fameux partis qui ont divisé si longtems l’Angleterre, joueront dans l’histoire de ce royaume un rôle qui à plusieurs égards ne sera pas moins intéressant que celui des Guelfes & des Gibellins dans celle d’Italie.

Cette division a été poussée au point que tout homme qui n’incline pas plus d’un côté que de l’autre, est censé un homme sans principes & sans intérêt dans les affaires publiques, & ne sauroit passer pour un véritable anglois : c’est pourquoi tout ce que nous avons à dire sur cet article, nous l’empruntons de la bouche des étrangers, que l’on doit supposer plus impartiaux, & en particulier de M. de Cize, officier françois qui a été quelque tems au service d’Angleterre, & qui a fait l’histoire des Whigs & des Torys, imprimée à Leipsic en 1717, & de M. Rapin de Thoiras, dont la dissertation sur les Whigs & les Torys, imprimée la même année à la Haye, est assez connue dans le monde.

Pendant la malheureuse guerre qui conduisit le roi Charles I. sur l’échaffaut, les partisans de ce roi furent appellés d’abord cavaliers, & ceux du parlement têtes rondes ; ces deux sobriquets furent changés dans la suite en ceux de torys & de whigs ; & ce fut à l’occasion d’une bande de voleurs qui se tenoient dans les montagnes d’Irlande ou dans les îles formées par les vastes marais de ce royaume, & que l’on appelloit, comme on les appelle encore, Torys ou Rapparis ; les ennemis du roi accusant ce prince de favoriser la rébellion d’Irlande, qui éclata vers ce tems-là, ils donnerent à ses partisans le nom de Torys ; & d’un autre côté, les royalistes pour rendre la pareille à leurs ennemis qui s’étoient ligués étroitement avec les Ecossois, donnerent aux parlementaires le nom de Whigs, qui en Ecosse formoit aussi une espece de bandits, ou plutôt de fanatiques. Voyez Whig.

Dans ce tems-là le but principal des Cavaliers ou Torys étoit de soutenir les intérêts du roi, de la couronne & de l’église anglicane : & les Whigs ou têtes rondes s’attachoient principalement à maintenir les droits & les intérêts du peuple & de la cause protestante ; les deux partis ont encore aujourd’hui les mêmes vues, quoiqu’ils ne portent plus les mêmes noms de cavaliers & de têtes rondes.

C’est-là l’opinion la plus commune sur l’origine des

Whigs & des Torys ; & cependant il est certain que ces deux sobriquets furent à peine connus avant le milieu du regne de Charles II. M. de Cize dit que ce fut en 1678 que toute la nation se divisa en whigs & torys, à l’occasion de la déposition fameuse de Titus Oates qui accusa les Catholiques d’avoir conspiré contre le roi & contre l’état, & que le nom de whig fut donné à ceux qui croyoient la conspiration réelle, & celui de torys à ceux qui la traitoient de fable & de calomnie.

Notre plan demanderoit que nous ne parlassions ici que des Torys ; & que pour ce qui regarde le parti opposé, nous renvoyassions à l’article particulier des Whigs ; mais comme en comparant & confrontant ces deux partis ensemble, on peut mieux caractériser l’un & l’autre que si on les dépeignoit séparément, nous aimons mieux prendre le parti de ne point les séparer, & d’insérer dans cet article ce que nous retrancherons dans celui des Whigs.

Les deux factions peuvent être considérées relativement à l’état, ou relativement à la religion ; & les torys politiques se distinguent en torys violens & en torys modérés ; les premiers voudroient que le souverain fût aussi absolu en Angleterre que les autres souverains le sont dans les autres pays, & que sa volonté y fût regardée comme une loi irréfragable. Ce parti qui n’est pas extrèmement nombreux, ne laisse pas d’être formidable, 1o . par rapport à ses chefs qui sont des seigneurs du premier rang, & pour l’ordinaire les ministres & les favoris du roi, 2o . parce que ces chefs étant ainsi dans le ministere, ils engagent les torys ecclésiastiques à maintenir vigoureusement la doctrine de l’obéissance passive, 3o . parce que pour l’ordinaire le roi se persuade qu’il est de son intérêt de s’appuyer de ce parti.

Les torys modérés ne voudroient pas souffrir que le roi perdît aucune de ses prérogatives ; mais d’un autre côté ils ne voudroient pas sacrifier non plus les intérêts du peuple. M. Rapin dit que ce sont-là les vrais anglois qui ont souvent sauvé l’état, & qui le sauveront encore toutes les fois qu’il sera menacé de sa ruine de la part des torys violens ou des whigs républicains.

Les whigs politiques sont aussi ou républicains ou modérés : les premiers, selon le même auteur, sont le reste du parti de ce long parlement qui entreprit de changer la monarchie en république : ceux-ci font une si mince figure dans l’état, qu’ils ne servent qu’à grossir le nombre des autres whigs. Les Torys voudroient persuader que tous les Whigs sont de l’espece des républicains, comme les Whigs veulent faire accroire que tous les Torys sont de l’espece des torys violens.

Les whigs politiques modérés pensent à-peu-près comme les torys modérés, & s’efforcent de maintenir le gouvernement sur le pié ancien. Toute la différence qu’il y a entr’eux, c’est que les torys modérés panchent un peu davantage du côté du roi, & les whigs modérés du côté du parlement & du peuple : ces derniers sont dans un mouvement perpétuel pour empêcher que l’on ne donne atteinte aux droits du peuple ; & pour cet effet ils prennent quelquefois des précautions qui donnent atteinte aux prérogatives de la couronne.

Avant de considérer les deux partis relativement à la religion, il faut observer que la réformation, suivant le degré de rigueur ou de modération auquel on l’a poussé, a divisé les Anglois en épiscopaux & en presbytériens ou puritains. Les premiers prétendent que la jurisdiction épiscopale doit être continuée sur le même pié, & l’église gouvernée de la même maniere qu’avant la réformation ; mais les derniers soutiennent que tous les ministres ou prêtres sont égaux en autorité, & que l’église doit être gouver-