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& qu’il est trop sujet à se verser & à se creuser lorsqu’il se trouve exposé aux vents de midi & de sud-ouest. On tombe alors dans un inconvénient de le voir languir & périr avant d’entrer dans l’âge de sa force, qui est à vingt ans. Mais aussi quand cet arbre a bravé cet accident, & qu’il se trouve dans un terrein qui lui plaît, il fait de grands progrès, s’éleve & grossit considérablement, & dure très-long tems. M. Miller, auteur anglois, dit avoir vu un tilleul qui avoit trente piés de tour à deux piés au-dessus de terre, & il cite un autre anglois nommé Thomas Brown, qui fait mention d’un arbre de cette espece dans le comté de Norfolk, qui avoit quarante-huit piés de tour à un pié & demi au-dessus de terre, & 90 piés de hauteur ; il faut entendre ici le pié anglois.

Quoique le tilleul n’ait avec juste raison que la petite considération des bois blancs, il ne laisse pas de servir à différens usages, & son débit est assez étendu. Ce bois est employé par les charrons, les menuisiers, les carrossiers, les tourneurs, les ébénistes, les graveurs en bois, & particulierement les sculpteurs qui préferent ce bois à tous les autres ; il a le mérite de n’être sujet ni à la vermoulure, ni à se fendre, ni à se gerser : il est blanc, léger, tendre, liant, tenace, de longue durée, & il se coupe aisément. Ces qualités le font estimer par les charpentiers de vaisseaux. Ses jeunes rejettons peuvent servir aux ouvrages de vanerie, comme les saules de petite espece. Le charbon de bois de tilleul est plus propre qu’aucun autre pour faire la poudre-à-canon. Quoique ce bois ne soit pas des meilleurs pour le chauffage, on ne laisse pas d’en tirer assez bon parti lorsqu’il est bien sec. On peut faire des coupes réglées de la tonte & de l’élaguement des vieilles allées de tilleuls. On se sert de la seconde écorce pour faire des cordes & des cables. On en faisoit autrefois un plus noble usage avant l’invention du papier qui a remplacé pour l’écriture l’écorce intérieure du tilleul avec un avantage incomparable. Ses feuilles ramassées sont pendant l’hiver une des meilleures nourritures pour le gros bétail.

Le tilleul a peu de propriétés pour la médecine. Elle tire quelques services du suc séveux de l’écorce intérieure, & du charbon fait avec le bois de cet arbre ; mais la fleur est la partie dont elle fait le plus d’usage.

On connoît différentes especes de tilleuls dont voici les principales.

1. Le tilleul à larges feuilles ou le tilleul de Hollande, est le tilia fæmina, folio majore I. R. H. 611. Sa racine descend profondément en terre, & s’étend beaucoup ; elle pousse un tronc d’arbre, grand, gros, rameux, qui se répand au large, & rend beaucoup d’ombre. Il est couvert d’une écorce unie, cendrée, ou noirâtre en-dehors, jaunâtre ou blanchâtre en-dedans, si pliante & si flexible, qu’elle sert à faire des cordes de puits & des cables ; son bois est tendre, sans nœuds, blanchâtre ; ses feuilles sont larges, arrondies, terminées en pointe, un peu velues des deux côtés, luisantes, dentelées en leurs bords ; il sort de leurs aisselles des petites feuilles longues, blanchâtres, où sont attachés des pédicules, qui se divisent en quatre ou cinq branches ; elles soutiennent chacune une fleur à cinq pétales, & sont disposées en rose, de couleur blanche, tirant sur le jaune, d’une odeur agréable, soutenues sur un calice taillé en cinq parties blanches & grasses.

Lorsque cette fleur est passée, il lui succede une coque grosse comme un gros pois, ovale, ligneuse, anguleuse, velue, qui contient une ou deux semences arrondies, noirâtres, & douces au goût. Il fleurit en Mai & Juin ; son fruit mûrit en Août, & s’ouvrant en Septembre, il tombe de lui-même. Ses feuilles sont couvertes lorsque la saison est un peu avan-

cée, d’une espece de sel essentiel ; semblable à de la

crême de tartre ; ce sel s’y amasse après l’extravasation du sel nourricier, qui dans les grandes chaleurs s’échappe des vaisseaux.

Cet arbre est l’ornement des avenues, des promenades, des jardins, & des bosquets, par son port gracieux, par son ombrage, & par son odeur agréable, lorsqu’il est en fleur.

Le tilleul demande une terre grasse, & prend telle figure qu’on veut, mais il ne dure pas long-tems ; son bois est utile dans les arts ; les Sculpteurs l’emploient par préférence à d’autres, parce qu’il cede facilement sans s’éclater à l’impression du ciseau, & qu’il est moins sujet à la vermoulure que celui de l’érable ; on en fait aussi du charbon qui entre dans la composition de la poudre à canon.

C’est à cette espece qu’on doit rapporter particulierement ce qui a été dit ci-dessus. La largeur de la feuille fait le principal mérite de cette espece. Mais cette qualité n’est pas uniquement propre au tilleul de Hollande ; il s’en trouve dans quelques cantons de bois aux environs de Montbard en Bourgogne, dont la feuille est aussi grande que celle du tilleul de Hollande, mais qui ont encore l’avantage d’être plus robustes, & de réussir dans des terreins élevés où celui de Hollande n’avoit fait que languir. D’ailleurs ils ont la feuille d’un verd plus tendre & plus agréable.

2. Le tilleul de Hollande à feuilles panachées. Cet accident n’est pas ici d’une grande beauté.

3. Le tilleul à petites feuilles. Il a en effet la feuille beaucoup plus petite que celle du tilleul de Hollande, mais encore plus brune, plus ferme, plus lisse. Il fleurit plus tard ; sa graine n’est pas si-tôt mûre, son écorce est plus rude, son bois moins blanc, moins tendre & assez ordinairement noueux, parce que cet arbre est plus branchu.

4. Le tilleul de montagne à très-grande feuille. Cette belle espece n’a été vue que par Gaspard Bauhin, qui en fit la découverte sur une montagne près Bâle. Ses feuilles étoient trois ou quatre fois plus grandes que celle du tilleul de Hollande. Il eût mieux valu s’occuper à le multiplier qu’à le décrire.

5. Le tilleul à feuilles d’orme. Sa feuille est de médiocre grandeur & fort rude au toucher. Son bois est jaunâtre, noueux & moins tendre que celui des autres especes. Sa graine a six angles au-lieu de cinq qui est le nombre le plus ordinaire.

6. Le tilleul à feuilles velues. Sa feuille est aussi grande que celle du tilleul de Hollande ; ses jeunes rejettons ont l’écorce rougeâtre, & sa graine n’a que quatre angles.

7. Le tilleul de Bohème. Ses feuilles sont petites & lisses, & sa graine qui est pointue des deux bouts n’est nullement anguleuse.

8. Le tilleul de Canada. C’est la plus belle espece de ce genre d’arbre qui soit actuellement dans ce royaume. Ses feuilles sont d’un verd tendre fort clair, elles sont du double plus grandes que celle du tilleul de Hollande, & se terminent par une pointe fort alongée. L’arbre pousse aussi plus vigoureusement, & son écorce est plus unie, plus cendrée. Il se trouve dans la plûpart des pays de l’Amérique septentrionale. Cette espece est encore fort rare.

9. Le tilleul noir d’Amérique. Il a beaucoup de ressemblance avec le précedent, mais ce n’est pas du côté de l’agrément. Sa feuille est aussi grande & aussi pointue, mais elle est brune, épaisse, rude ; néanmoins elle a des nervures un peu rouges qui la relevent. Cette espece est aussi originaire de l’Amérique septentrionale, & encore plus rare que la précédente. Article de M. d’Aubenton le subdélégué.

Tilleul, (Mat. méd.) les fleurs de tilleul sont la seule partie de cet arbre qui soit en usage en médecine. On en prépare une eau distillée, & on en