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qui s’appelloit Cerbere, chien redoutable, cui tres erant linguæ, tergeminumque caput. Mais n’ayons plus peur de ce terrible animal, infernæ portitor aulæ ; il doit être mort depuis des siecles. (D. J.)

THESSALIE, (Géog. anc.) par ce mot, on entend tantôt une grande contrée de Grece, & tantôt une partie de cette contrée, appellée communément la Thessalie propre, & quelquefois la Thessaliotide.

La Thessalie prise en général, s’étend, selon Strabon, à l’orient, depuis les Thermopyles jusqu’à l’embouchure du Pénée. Au midi elle est bornée par cette chaîne de montagnes qui prend depuis le mont Œta, jusqu’au mont Pindus ; au couchant, elle a les Etoliens, les Acarnaniens, & les Amphiloques.

Du côté du nord, ses bornes sont moins connues ; si néanmoins on tire de l’embouchure du Pénée une ligne parallele au mont Œta & au Pindus, on aura à-peu-près les limites du côté du septentrion. En effet, le Pénée ne servoit pas de bornes entre la Macédoine & la Thessalie ; ce n’étoit qu’à son embouchure qu’il séparoit ces deux contrées. Quant à ce que Strabon dit, que le Pénée sépare la Thessalie de la Phthiotide ; ou quand Ptolomée dit qu’il sépare la Thessalie de la Pélasgiotide, ces auteurs n’entendent parler alors que d’une partie de cette contrée, ou de la Thessalie propre, appellée Thessaliotide par Strabon.

Pline, l. IV. c. vij. remarque que ce pays changea souvent de nom, suivant les différens rois qui le gouvernerent. On le nomma Æmonia, Pelasgicum, Hellas, Thessalia, Argos, & Dryopis. C’est-là, ajoute Pline, que naquit le roi Græcus, qui donna son nom à la Grece, & Hellen, du nom duquel les Grecs furent appellés Hellenes.

Strabon divise la Thessalie en quatre parties ; savoir, la Phthiotide, l’Estiaotide, la Thessaliotide, la Pélasgiotide ; si l’on y veut joindre la Magnésie, on aura une cinquieme partie ; car quoique Strabon la distingue de la Thessalie, elle y a été comprise par plusieurs auteurs, entre autres par Ptolomée.

Parcourons maintenant l’histoire de la Thessalie suivant les anciens historiens.

Avant la guerre de Troie, disent-ils, Pélias, & après lui, Jason fils d’Æson, furent rois d’Iolcos, ville de la Thessalie : Jason & son fils Pirithoüs, se rendirent maîtres d’une partie de cette contrée, qui eut plusieurs petits rois en ce tems-là, comme Achille, fils de Pélée, prince de la Phthiotide ; Euripile qui possédoit une partie de la Magnésie ; Protésilas, Philoctete, & Phoenix gouverneur d’Achille. Après cela, les Thessaliens secouerent pour la plûpart le joug de leurs princes. Ils ne firent qu’un seul corps, & se gouvernerent par une assemblée solemnelle, qu’on appelloit pylaïque. Ils ne laissoient pas d’avoir encore quelques rois du tems de la guerre du Péloponnèse. Dans ce tems-là, Pharsalus roi des Thessaliens chassa Oreste, fils d’Echécratides, qui fut contraint de quitter la Thessalie pour se retirer à Athènes.

Vers ce même tems, une partie de la Thessalie étoit sous la domination des Thraces ; & ceux qui avoient conservé leur liberté, favorisoient plus les Athéniens que les Lacédémoniens. Tandis qu’une partie de cette province vivoit ainsi libre, Jason usurpa la ville de Phérès, & persuada aux Thessaliens de se rendre maîtres de la Grece. Il devint leur chef, & ensuite leur seigneur & leur tyran ; cette puissance se nommoit Tageie. Jason fut tué par ses freres Polydore & Polyphron, la troisieme année de la 102e olympiade. Après ce meurtre, Polyphron se défit de Polydore, & régna seul une année ; ensuite il fut empoisonné par son frere Alexandre, qui régna douze ans, & fut plus méchant que les trois autres. Les Thessaliens secourus par les Thébains, taillerent ses troupes en piece sous la conduite de Pélopidas, &

Alexandre se vit obligé de rendre leurs villes, & de garder seulement celle de Phérès. Il ne put éviter les embuches que lui tendirent sa femme Thebé, & ses freres Lycophron & Tisiphon, qui après sa mort devinrent tyrans.

Les Alévades qui étoient les principaux nobles de Thessalie, ayant envoyé prier Philippe, pere du grand Alexandre, de les affranchir de la tyrannie, il les en délivra dans la quatrieme année de la cent cinquieme olympiade ; & il les eut toujours pour amis depuis ce tems-là ; de sorte qu’ils l’assisterent lui & son fils Alexandre dans toutes leurs guerres. Il est vrai que Philippe, lorsqu’il eut rendu la liberté aux Thessaliens, se les assujettit, & s’empara de leurs mines. Alexandre le grand fut aussi reconnu pour prince de la même nation, qui lui laissa la jouissance de tous ses revenus ; depuis lors la Thessalie étant comme unie à la Macédoine, eut même fortune ; & enfin, les Romains conquirent l’une & l’autre.

On donnoit communément le nom de cavalerie aux troupes des Thessaliens, à cause qu’ils avoient d’excellens cavaliers. La Thessalie étoit si abondante en bons chevaux, qu’elle mérita les épithetes d’Ἱπποτρόφος, & Εὔιππος ; on prétend même qu’on lui doit l’invention de les dompter. C’est pourquoi dans les anciennes médailles, la Thessalie, & particulierement Larisse sa capitale, ont pour symbole un cheval qui court ou qui paît ; le fameux Bucéphale étoit thessalien. L’on conserve encore en Thessalie les bonnes races de chevaux avec un soin qui répond presque à leur ancienne réputation.

Mais si leurs chevaux sont excellens, le caractere des peuples ne l’étoit pas ; les Thessaliens étoient regardés dans toute la Grece pour perfides. Une trahison s’appelloit un tour des Thessaliens, θεσσαλὸν σόφισμα ; & la fausse monnoie, monnoie de Thessalie, θεσσαλὸν νύμισμα ; Euripide dit qu’Etéocle dans son commerce avec les Thessaliens, avoit appris la ruse & la mauvaise foi.

La Grece, & particulierement Athènes, éprouva souvent leur perfidie, & dans de grandes occasions. Non content d’avoir appellé Xerxès dans la Grece, ils se joignirent à Mardonius après la bataille de Salamine, & lui servirent de guides pour envahir l’Attique. Une autre fois au fort du combat qui se donnoit entre les Athéniens & les Lacédémoniens, ils abandonnerent les Athéniens leurs alliés, & se rangerent du côté des ennemis.

Si les Thessaliens savoient si bien trahir, les Thessaliennes passoient pour être les plus habiles en magie. Que n’ai-je à mes gages une sorciere de Thessalie, dit Strepsiade dans Aristophane, & que ne puis-je par son moyen faire descendre la lune en terre ? Les Thessaliens, sur-tout ceux de Pharsale & de Larissa, étoient les hommes les mieux faits de toute la Grece ; les femmes y étoient si belles, qu’on a dit d’elles qu’elles charmoient par des sortiléges. Elles excelloient si bien dans la coqueterie, que pour les cajoler, on disoit que les charmes étoient leur seul partage. Ce fut une fleurette qui échappa spirituellement à Olympias, femme de Philippe, & mere d’Alexandre. Dans le dernier siecle, les beautés de Thessalie n’épargnerent pas plus Mahomet IV. que Philippe roi de Macédoine : une jeune thessalienne vint à bout de l’enchanter dans les plaines de Pharsale.

On sait qu’il s’est donné dans ces mêmes plaines des batailles à jamais célebres ; mais il s’y en fût donné une des plus grandes dont l’histoire eût parlé, si les Grecs avoient accepté le défi de Mardonius, général des Perses, qui leur envoya dire de sortir de leurs places, & qu’il leur livreroit bataille dans la Thessalie, où il y avoit des campagnes assez belles, & qui avoient assez d’étendue pour y déployer leur valeur.