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des desseins au prétexte, & de la vérité à de trompeuses apparences. Génie trop subtil, il voit du mystere dans toutes les actions de ce prince. Une sincere déférence de ses desseins au jugement du sénat étoit tantôt un piege tendu à son intégrité, tantôt une maniere adroite d’en être le maître ; mais toujours l’art de le rendre complice de ses desseins, & d’en avoir l’exécution sans reproches. Lorsqu’il punissoit des séditieux, c’étoit un effet de sa défiance naturelle pour les citoyens, ou de légeres marques de colere répandues parmi le peuple pour disposer les esprits à de plus grandes cruautés. Ici la contrariété d’humeurs de deux chefs est un ordre secret de traverser la fortune d’un compétiteur, & le moyen de lui enlever l’affection du peuple. Les dignités déférées au mérite étoient d’honnêtes voies d’éloigner un concurrent ou de perdre un ennemi, & toujours de fatales récompenses. En un mot, tout est politique, le vice & la vertu y sont également dangereux, & les faveurs aussi funestes que les disgraces. Tibere n’y est jamais naturel ; il ne fait point sans dessein les actions les plus ordinaires aux autres hommes. Son repos n’est jamais sans conséquence, & ses mouvemens embrassent toujours plusieurs menées.

Cependant l’art de Tacite à renfermer de grands sens en peu de mots, sa vivacité à dépeindre les événemens, la lumiere avec laquelle il pénetre les ténebres corrompues des cœurs des hommes, une force & une éminence d’esprit qui paroît partout, le font regarder aujourd’hui généralement comme le premier des historiens latins.

Il fit son histoire avant ses annales ; car il nous renvoie à l’histoire dans l’onzieme livre des annales touchant des choses qui concernoient Domitien ; or il est sûr que son histoire s’étendoit depuis l’empire de Galba inclusivement, jusqu’à celui de Nerva exclusivement. Il destinoit pour sa vieillesse un ouvrage particulier aux regnes de Nerva & de Trajan, comme il nous l’apprend lui-même, hist. l. I. c. j. en ces mots dignes d’être aujourd’hui répétés : quòd si vita suppeditet, principatum divi Nervæ & imperium Trajani, uberiorem securioremque materiam senectuti seposui : rarâ temporum felicitate, ubi sentire quæ velis, & quæ sentias dicere licet.

Il ne nous reste que cinq livres de son histoire qui ne comprennent pas un an & demi, tandis que tout l’ouvrage devoit comprendre environ vingt-neuf ans. Ses annales commençoient à la mort d’Auguste, & s’étendoient jusqu’à celle de Néron ; il ne nous en reste qu’une partie, savoir les quatre premiers livres, quelques pages du cinquieme, tout le sixieme, l’onzieme, douzieme, treizieme, quatorzieme, & une partie du seizieme ; les deux dernieres années de Néron, qui formoient les derniers livres de l’ouvrage, nous manquent.

On dit que Léon X. épris d’amour pour Tacite, ayant publié un bref par lequel il promettoit de l’argent, de la gloire & des indulgences à ceux qui découvriroient quelques manuscrits de cet historien, il y eut un allemand qui fureta toutes les bibliotheques, & qui trouva finalement quelques livres des annales dans le monastere de Cormey. Il vint les présenter à sa sainteté qui les reçut avec un plaisir extrème, & remboursa magnifiquement l’allemand de toute la dépense qu’il avoit faite ; il fit plus, car afin de lui procurer de la gloire & du profit, il voulut lui laisser l’honneur de publier lui-même Tacite ; mais l’allemand s’en excusa, sur ce qu’il manquoit de l’érudition nécessaire à l’édition d’un tel ouvrage.

On a fait tant de versions de ce grand historien romain, & on l’a tant commenté, qu’une semblable collection pourroit composer une bibliotheque assez considérable. Nous avons dans notre langue les traductions de M. Amelot de la Houssaye, de M. de la

Bletterie & de M. d’Alembert, qui sont les trois meilleures. Entre les commentaires de critique sur Tacite, on fait grand cas de celui de Juste-Lipse ; & entre les commentaires politiques, les Anglois estiment beaucoup celui de Gordon, qui est plein de fortes réflexions sur la liberté du gouvernement. (Le Chevalier de Jaucourt.)

TERNIER, voyez Pic de muraille.

TERNIR, v. act. (Gram.) ôter l’éclat. L’haleine suffit pour ternir une glace : ce tableau est terni ; au figuré, on dit ternir la réputation : l’envie s’occupe sans cesse à ternir la mémoire des grands hommes, mais elle a beau s’efforcer à attacher à leurs actions ou à leurs ouvrages son haleine impure, le tems la fait disparoître.

TERNISSURE, s. f. (Gram.) tache qui ôte à un corps son éclat.

TERNOVA ou TERNOVO, (Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie, sur la riviere de Jantra, au nord occidental du mont Balkan. On croit que c’est le Ternobum, ville des Bulgares dont parle Ortelius. Long. 43. 25. latit. 43. 4. (D. J.)

TÉROUANNE ou TÉROUENNE, (Géog. mod.) en latin Taruenna Morinûm, ville de France, dans les Pays-Bas, sur la Lys, à sept milles de Saint-Omer. Elle étoit autrefois épiscopale ; Charles-Quint s’en rendit le maître en 1553, & la renversa de fond-en-comble. Elle n’a point été rebâtie. Long. 19. 54. latit. 50. 32. (D. J.)

TERPONUS, (Géog. anc.) ville de l’Illyrie & qui appartenoit aux Japodes. César s’en rendit maître, après que le peuple l’eut abandonnée. Il ne voulut pas la brûler, comptant bien que les habitans viendroient faire leurs soumissions, ce qu’ils firent en effet. (D. J.)

TERPSICHORE, s. f. (Mythol.) une des neuf muses, celle qui présidoit aux danses ; son nom signifie la divertissante, parce qu’elle divertissoit le chœur des muses par sa danse. On la représente ordinairement couronnée de lauriers, tenant à la main ou une flûte, ou une harpe, ou une guitare. Il y a des mythologues qui font Terpsicore mere des sirenes ; d’autres disent qu’elle eut de Strymon, Rhésus, & de Mars, Biston. (D. J.)

TERRA ou TÉRA, s. m. (Poterie.) on nomme ainsi en terme de potier de terre, un auget de terre plein d’eau que ces ouvriers, quand ils travaillent quelque ouvrage à la roue, tiennent auprès d’eux pour y tremper de tems-en-tems leurs mains, & l’instrument qu’ils nomment une attelle, afin que la terre-glaise ne s’y puisse attacher. (D. J.)

TERRA dos Fumos, (Géog. mod.) contrée d’Afrique, au pays des Hottentots, sur la côte orientale des Cafres errans. (D. J.)

TERRA MERITA, (Mat. méd.) Voyez Curcuma.

TERRA-NOVA, (Géog. mod.) petite ville ou bourg d’Italie, dans le Florentin, près d’Arezzo, illustré par la naissance du Pogge, Poggio Bracciolini, l’un des plus beaux esprits & des plus savans hommes du xv. siecle.

Il fit ses études à Florence, & se rendit ensuite à Rome, où son mérite le fit bientôt connoitre ; on lui donna l’emploi de secrétaire apostolique qu’il exerça sous sept papes, sans en être pour cela plus riche. On l’envoya en 1414 au concile de Constance, dont il s’occupa bien moins que de la recherche des anciens manuscrits. Ses soins ne furent pas infructueux ; il découvrit en furetant les bibliotheques, les œuvres de Quintilien dans une vieille tour d’un monastere de S. Gall. Il déterra une partie d’Asconius Pedianus sur huit oraisons de Cicéron, un Valerius Flaccus, un