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parce que les hommes demeurant d’accord que ce terme ne signifie qu’une chose unique, faute de bien discerner quelle est véritablement cette chose unique, l’appliquent les uns à une chose, & les autres à une autre ; ce qui fait qu’il a besoin d’être encore déterminé, ou par diverses circonstances, ou par la suite du discours, afin que l’on sache précisément ce qu’il signifie.

Ainsi le mot de véritable religion ne signifie qu’une seule & unique religion ; mais parce que chaque peuple & chaque secte croit que sa religion est la véritable, ce mot est très-équivoque dans la bouche des hommes, quoique par erreur ; & si on lit dans un historien, qu’un prince a été zélé pour la véritable religion, on ne sauroit dire ce qu’il a entendu par-là, si on ne sait de quelle religion a été cet historien.

Les termes complexes, qui sont ainsi équivoques par erreur, sont principalement ceux qui enferment des qualités dont les sens ne jugent point, mais seulement l’esprit, sur lesquelles il est facile par conséquent que les hommes aient divers sentimens : si je dis, par exemple : le roi de Prusse, pere de celui qui regne aujourd’hui, n’avoit pour la garde de sa maison, que des hommes de six piés ; ce terme complexe d’hommes de six piés, n’est pas sujet à être équivoque par erreur, parce qu’il est bien aisé de mesurer des hommes, pour juger s’ils ont six piés ; mais si l’on eut dit qu’ils étoient tous vaillans, le terme complexe de vaillans hommes eût été plus sujet à être équivoque par erreur.

Les termes de comparaison sont aussi fort sujets à être équivoques par erreur : le plus grand géometre de Paris, le plus savant, le plus adroit ; car quoique ces termes soient déterminés par des conditions individuelles, n’y ayant qu’un seul homme qui soit le plus grand géometre de Paris, néanmoins ce mot peut être facilement attribué à plusieurs ; parce qu’il est fort aisé que les hommes soient partagés de sentiment sur ce sujet, & qu’ainsi plusieurs donnent ce nom à celui que chacun croit avoir cet avantage par-dessus les autres.

Les mots de sens d’un auteur, de doctrine d’un auteur sur un tel sujet, sont encore de ce nombre, sur-tout, quand un auteur n’est pas si clair, qu’on ne dispute quelle a été son opinion : ainsi dans ce conflict d’opinions, les sentimens d’un auteur, quelque individuels qu’ils soient en eux-mêmes, prennent mille formes différentes, selon les têtes par lesquelles ils passent : ainsi ce mot de sens de l’Ecriture, étant appliqué par un hérétique à une erreur contraire à l’Ecriture, signifiera dans sa bouche cette erreur qu’il aura cru être le sens de l’Ecriture, & qu’il aura dans cette pensée appellée le sens de l’Ecriture ; c’est pourquoi les hérétiques n’en sont pas plus catholiques, pour protester qu’ils ne suivent que la parole de Dieu : car ces mot de parole de Dieu signifient dans leur bouche toutes les erreurs qu’ils confondent avec cette parole sacrée.

Mais pour mieux comprendre en quoi consiste l’équivoque de ces termes que nous avons appellés équivoques par erreur, il faut remarquer que ces mots sont connotatifs ou adjectifs ; ils sont complexes dans l’expression, quand leur substantif est exprimé ; complexe dans le sens, quand il est sous-entendu : or, comme nous avons déja dit, on doit considérer dans les mots adjectifs ou connotatifs, le sujet qui est directement, mais confusément exprimé, & la forme ou le mode qui est distinctement, quoique indirectement exprimée : ainsi le blanc signifie confusément un corps, & la blancheur distinctement : sentiment d’Aristote, par exemple, signifie confusément quelque opinion, quelque pensée, quelque doctrine ; & distinctement la relation de cette opinion à Aristote auquel on l’attribue.

Or, quand il arrive de l’équivoque dans ces mots, ce n’est pas proprement à cause de cette forme ou de ce mode, qui étant distinct, est invariable ; ce n’est pas aussi à cause du sujet confus, lorsqu’il demeure dans cette confusion : car, par exemple, le mot de prince des philosophes, ne peut jamais être équivoque, tant qu’il demeurera dans cette confusion, c’est-à-dire, qu’on ne l’appliquera à aucun individu distinctement connu ; mais l’équivoque arrive seulement, parce que l’esprit, au-lieu de ce sujet confus, y substitue souvent un sujet distinct & déterminé, auquel il attribue la forme & le mode.

Le mot de véritable religion, n’étant point joint avec l’idée distincte d’aucune religion particuliere, & demeurant dans son idée confuse, n’est point équivoque, puisqu’il ne signifie que ce qui est en effet la véritable religion ; mais lorsque l’esprit a joint cette idée de véritable religion à une idée distincte d’un certain culte particulier distinctement connu, ce mot devient très-équivoque, & signifie dans la bouche de chaque peuple, le culte qu’il prend pour véritable. Voyez la logique de Port-royal, d’où sont extraites les réflexions que nous venons de faire sur les différens termes complexes.

3°. Les termes se divisent en univoques, équivoques & analogues.

Les univoques sont ceux qui retiennent constamment la même signification à quelques sujets qu’on les applique. Tels sont ces mots, homme, ville, cheval.

Les équivoques sont ceux qui varient leur signification, selon les sujets auxquels on les applique. Ainsi le mot de canon signifie une machine de guerre, un décret de concile, & une sorte d’ajustement ; mais il ne les signifie que selon des idées toutes différentes. Nous venons d’expliquer comment ils occasionnent nos erreurs.

Les analogues sont ceux qui n’expriment pas dans tous les sujets précisément la même idée, mais du moins quelque idée, qui a un rapport de cause ou d’effet, ou de signe, ou de ressemblance à la premiere, qui est principalement attachée au mot analogue ; comme quand le mot de sain s’attribue à l’animal, à l’air & aux viandes. Car l’idée jointe à ce mot est principalement la santé qui ne convient qu’à l’animal ; mais on y joint une autre idée approchante de celle-là, qui est d’être cause de la santé, laquelle fait qu’on dit qu’un air est sain, qu’une viande est saine, parce qu’ils contribuent à conserver la santé. Ce que nous voyons dans les objets qui frappent nos sens, étant une image de ce qui se passe dans l’intérieur de l’ame, nous avons donné les mêmes noms aux propriétés des corps & des esprits. Ainsi ayant toujours apperçu du mouvement & du repos dans la matiere ; ayant remarqué le penchant ou l’inclination des corps ; ayant vu que l’air s’agite, se trouble & s’éclaircit ; que les plantes se développent, se fortifient & s’affoiblissent : nous avons dit le mouvement, le repos, l’inclination & le penchant de l’ame ; nous avons dit que l’esprit s’agite, se trouble, s’éclaircit, se développe, se fortifie, s’affoiblit. Tous ces mots sont analogues, par le rapport qui se trouve entre une action de l’ame & une action du corps. Il n’en a pas fallu d’avantage à l’usage, pour les autoriser & pour les consacrer. Mais ce seroit une grande erreur d’aller confondre deux objets, sous prétexte qu’il y a entr’eux un rapport quelconque, fondé souvent sur une analogie fort imparfaite, telle qu’elle se trouve entre l’ame & le corps. Voyez les mots où l’on explique l’abus du langage.

4°. Les termes se divisent en absolus & en relatifs. Les absolus expriment les êtres entant qu’on s’arrête à ces êtres, & qu’on en fait l’objet de sa réflexion, sans les rapporter à d’autres : au-lieu que les relatifs