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de la part de l’arbre ; ou par accident, conséquemment au mauvais gouvernement. Dans le premier cas, il faut employer les moyens enseignés en tems & lieu pour remédier à la foiblesse de l’arbre. Dans l’autre cas, il faut s’abstenir de donner lieu à la production de ces sortes de branches ; puis à la taille les recéper, à-moins qu’on ne soit forcé de fonder sa taille sur quelques-unes d’elles.

L’origine & la cause la plus ordinaire des branches chifonnes dans les arbres vigoureux, tant à pepin qu’à noyau, est la pratique maudite de tous les jardiniers, de pincer, d’arrêter, & de couper les bouts des branches. Ils ne voient point, & ne sentent point que suivant l’ordre de la nature, chaque branche a besoin de son extrémité pour la circulation & l’action de la seve, pour sa filtration & sa perfection, pour y être tamisée & affinée : on lui ôte cette partie organique, & comme elle ne peut s’en passer, elle en produit une nouvelle : on supprime cette derniere, & elle en produit ensuite jusqu’à la fin de la végétation, ou jusqu’à l’épuisement de la seve, & d’ordinaire les branches pincées, sur-tout dans les arbres à noyaux, forment aux extrémités de ces branches ainsi mutilées, ce que M. de la Quintinie appelle des toupillons hérissés de branchettes, ou vulgairement des têtes de saules.

Il faut donc d’abord se défaire de cette pratique ruineuse de pincer, &c. ensuite, autant que la nécessité le requiert, supprimer toutes branches chifonnes, qui sont par elles-mêmes infertiles. Quand faute de branches de bon aloi, on est forcé & réduit à tailler sur les branches chifonnes, il faut les tailler toutes à un seul œil, pour leur faire pousser de bons bourgeons.

Coupe défectueuse. On appelle coupe défectueuse, toute taille, toute incision qui est ou trop grande ou trop petite, trop alongée ou trop courte : on peche quant à la coupe des arbres, en deux manieres, savoir, quant à l’incision en elle-même, & quant à la forme, ce vice a pour principe la maladresse & l’impéritie du jardinier. Je m’explique quant à l’un & l’autre point.

Un jardinier taille une branche, sur-tout une forte, & au-lieu de faire sa coupe courte & horisontale, tant-soit-peu en bec de flute, il coupe à un demi pouce près plus bas, tirant son incision tout-à-fait au bec de flute alongé, de façon qu’elle se trouve par-derriere plus basse de beaucoup que l’œil qui est par-devant. La figure donnée me fera entendre par ceux qui ne sont point suffisamment versés dans le jardinage ; ou bien encore, sans regarder si la branche est dans son sens ou non, il la taille comme elle se présente sous sa serpette, tantôt à l’un, tantôt à l’autre côté de l’œil.

La coupe est encore vicieuse quand on coupe par devant l’œil, au-lieu de couper par derriere : alors on laisse des onglets que cette double coupe vicieuse produit infailliblement, & jamais le recouvrement de cette sorte de coupe ne peut se faire.

Le même arrive encore, si après avoir scié une branche, il omet d’unir la plaie avec la serpette, la laissant toute graveleuse avec les esquiles & les dentelures que produit la scie à main. Les jardiniers traitent ces choses de bagatelles ; mais en voici en peu de mots les effets funestes.

1°. En tirant sa coupe trop en longueur, on ôte à la seve son passage pour arriver jusqu’à l’œil, à raison de ce que cette coupe est beaucoup plus basse par-derriere, qu’au-dessus de l’œil ; à raison encore de ce que toutes les fois qu’on coupe quelque branche que ce soit, le bois meurt toujours à une demi-ligne près de l’extrémité de cette coupe, & dès-lors il est indubitable qu’il faut que l’œil périsse.

2°. Qui ne voit que par cette coupe si tirée on en-

tame la moëlle de l’arbre, qu’on la met à l’air, &

qu’on l’évente, & que par conséquent cette moelle qui est poreuse & spongieuse, reçoit les gelées d’hiver & les printanieres, les neiges & les frimats qui ne peuvent qu’incommoder cruellement l’arbre. De plus durant l’été, le grand soleil donnant dessus, la desséche, & là il se forme un chicot, ou un onglet, auxquels jamais la seve ne peut arriver.

3°. Aux arbres à noyau, la gomme est infaillible pour ces tailles alongées.

4°. Toujours la coupe est irréguliere quand ayant une mauvaise serpette, on hache au-lieu de couper net, laissant des filandres, ou éclatant la peau, & même la partie ligneuse de la branche.

Voici maintenant les qualités de la coupe reglée & bien entendue, elle doit être courte, ronde, un peu en bec de flute, lisse & unie, suivant qu’elle est ici représentée.

Voilà ce qui regarde la taille prise en elle-même, & considerée matériellement. Il est question de l’examiner formellement, de dire quelques mots sur le modus, quant à ce qui est de pratique pour la longueur des branches, leur choix, leur nombre. Il s’agit d’établir ici des regles certaines pour la taille des arbres de toute espece, de tout âge, & dans toutes les différentes circonstances. On a bien donné des préceptes à ce sujet, mais ceux qui en ont écrit, n’étoient point physiciens, & n’avoient point connu Montreuil ; il est question d’entrer dans un certain détail inévitable.

On ne parle point ici de la taille du pêcher, differée jusqu’au printems ; cette question nous meneroit trop loin ; il suffit de dire ici que ce délai est fondé sur des raisons péremptoires, comme on le prouve en son lieu : ce qui régle en général pour le tems de la taille de quelqu’arbre que ce soit, c’est le climat, la nature du terrein plus ou moins hâtif, la position, les fonds par exemple & les hauts, les expositions particulieres, les circonstances des tems, &c.

Il faut, pour procéder ici avec ordre, partager la taille des arbres quelconques, en espalier à plein vent, & autres, en trois tems, savoir ce qui est à faire avant, pendant, & après la taille.

Conditions préliminaires & préparatoires de la taille des arbres. On suppose que les arbres qu’on doit tailler ont été préparés & ont eu toutes leurs façons d’hiver, comme labours après la chute des feuilles, &c. que s’ils sont attaqués par la tigne, la punaise, &c. on les aura lavés, épongés, brossés & essuyés, qu’on aura enlevé les gommes cariantes, les mousses dévorantes, qu’on les aura fumés si besoin est, qu’on aura changé de terre au pié dans le cas, qu’on aura fouillé les racines de ceux qui feroient montre de maladies qui viennent de chancres internes, & qu’un jardinier intelligent ne manque point de conjecturer habilement, par les symptômes extérieurs.

Après tous ces préliminaires qui sont essentiels pour la santé des arbres, on requiert deux choses indispensables, savoir d’abord une inspection générale sur l’arbre, pour en voir le fort & le foible, considérer la disposition de ses branches, voir s’il se porte plus d’un côté que de l’autre, afin de le mettre droit en taillant plus ou moins d’un côté ou de l’autre, suivant sa position ; voir encore la quantité des branches, soit à bois soit à fruit, sa forme, sa figure, & sa façon d’être à tous égards. La seconde est de dépalisser l’arbre en entier, sans quoi il est impossible de bien tailler. Cette seconde condition, M. de la Quintinie, (ch. vij. de la taille, p. 56.) la requiert comme une condition sine quâ non, pour bien faire l’ouvrage.

Outre ce qui vient d’être énoncé, il est une observation non moins importante, qui concerne les