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fut qu’incapacité, son érudition n’étoit que pédanterie. (D. J.)

Tabac, culture du, (Comm.) ce fut vers l’an 1520 que les Espagnols trouverent cette plante dans le Jucatan, province de la Terre ferme ; & c’est delà que sa culture a passé à Saint Domingue, à Mariland, & à la Virginie.

Vers l’an 1560, Jean Nicot, à son retour de Portugal, présenta cette plante à Catherine de Médicis ; ce qui fit qu’on l’appella la nicotiane. Le cardinal de Sainte-Croix & Nicolas Tornaboni la vanterent en Italie sous le nom d’herbe sainte, que les Espagnols lui avoient donné à cause de ses vertus. Cependant l’herbe sainte, loin d’être également accueillie de tout le monde, alluma la guerre entre les Savans ; les ignorans en grand nombre y prirent parti, & les femmes mêmes se déclarerent pour ou contre une chose qu’elles ne connoissoient pas mieux que les affaires sérieuses qui se passoient alors en Europe, & qui en changerent toute la face.

On fit plus de cent volumes à la louange ou au blâme du tabac ; un allemand nous en a conservé les titres. Mais malgré les adversaires qui attaquerent l’usage de cette plante, son luxe séduisit toutes les nations, & se répandit de l’Amérique jusqu’au Japon.

Il ne faut pas croire qu’on le combattît seulement avec la plume ; les plus puissans monarques le proscrivirent très séverement. Le grand duc de Moscovie, Michel Féderowits, voyant que la capitale de ses états, bâtie de maisons de bois, avoit été presque entierement consumée par un incendie, dont l’imprudence des fumeurs qui s’endormoient la pipe à la bouche, fut la cause, défendit l’entrée & l’usage du tabac dans ses états ; premierement sous peine de la bastonnade, qui est un châtiment très-cruel en ce pays-là ; ensuite sous peine d’avoir le nez coupé ; & enfin, de perdre la vie. Amurath IV. empereur des Turcs, & le roi de Perse Scach-Sophi firent les mêmes défenses dans leurs empires, & sous les mêmes peines. Nos monarques d’occident, plus rusés politiques, chargerent de droits exorbitans l’entrée du tabac dans leurs royaumes, & laisserent établir un usage qui s’est à la fin changé en nécessité. On mit en France en 1629 trente sols par livre d’impôt sur le pétun, car alors le tabac s’appelloit ainsi ; mais comme la consommation de ce nouveau luxe est devenue de plus en plus considérable, on en a multiplié proportionnellement les plantations dans tous les pays du monde. On peut voir la maniere dont elles se font à Ceylan, dans les Transact. philos. n°. 278. p. 1145 & suiv. Nous avons sur-tout des ouvrages précieux écrits en anglois, sur la culture du tabac en Mariland & en Virginie ; en voici le précis fort abrégé.

On ne connoît en Amérique que quatre sortes de tabacs ; le petun, le tabac à langue, le tabac d’amazone, & le tabac de Verine ; ces quatre especes fleurissent & portent toutes de la graine bonne pour se reproduire ; toutes les quatre peuvent croître à la hauteur de 5 ou 6 piés de haut, & durer plusieurs années, mais ordinairement on les arrête à la hauteur de deux piés, & on les coupe tous les ans.

Le tabac demande une terre grasse, médiocrement forte, unie, profonde, & qui ne soit pas sujette aux inondations ; les terres neuves lui sont infiniment plus propres que celles qui ont déja servi.

Après avoir choisi son terrein, on mêle la graine du tabac avec six fois autant de cendre ou de sable, parce que si on la semoit seule, sa petitesse la feroit pousser trop épais, & il seroit impossible de transplanter la plante sans l’endommager. Quand la plante a deux pouces d’élevation hors de terre, elle est bonne à être transplantée. On a grand soin de sarcler les

couches, & de n’y laisser aucunes mauvaises herbes, dès que l’on peut distinguer le tabac ; il doit toujours être seul & bien net.

Le terrein étant nettoyé, on le partage en allées distantes de trois piés les unes des autres, & paralleles, sur lesquelles on plante en quinconce des piquets éloignés les uns des autres de trois piés. Pour cet effet, on étend un cordeau divisé de trois en trois piés par des nœuds, ou quelques autres marques apparentes, & l’on plante un piquet en terre à chaque nœud ou marque.

Après qu’on a achevé de marquer les nœuds du cordeau, on le leve, on l’étend trois piés plus loin, observant que le premier nœud ou marque ne corresponde pas vis-à-vis d’un des piquets plantés, mais au milieu de l’espace qui se trouve entre deux piquets, & on continue de marquer ainsi tout le terrain avec des piquets, afin de mettre les plantes au lieu des piquets, qui, de cette maniere, se trouvent plus en ordre, plus aisées à sarcler, & éloignées les unes des autres suffisamment pour prendre la nourriture qui leur est nécessaire. L’expérience fait connoître qu’il est plus à-propos de planter en quinconce, qu’en quarré, & que les plantes ont plus d’espace pour étendre leurs racines, & pousser les feuilles, que si elles faisoient des quarrés parfaits.

Il faut que la plante ait au-moins six feuilles pour pouvoir être transplantée. Il faut encore que le tems soit pluvieux ou tellement couvert, que l’on ne doute point que la pluie ne soit prochaine ; car de transplanter en tems sec, c’est risquer de perdre tout son travail & ses plantes. On leve les plantes doucement, & sans endommager les racines. On les couche proprement dans des paniers, & on les porte à ceux qui doivent les mettre en terre. Ceux-ci sont munis d’un piquet d’un pouce de diametre, & d’environ quinze pouces de longueur, dont un bout est pointu, & l’autre arrondi.

Ils font avec cette espece de poinçon un trou à la place de chaque piquet qu’ils levent, & y mettent une plante bien droite, les racines bien étendues : ils l’enfoncent jusqu’à l’œil, c’est-à-dire, jusqu’à la naissance des feuilles les plus basses, & pressent mollement la terre autour de la racine, afin qu’elle soutienne la plante droite sans la comprimer. Les plantes ainsi mises en terre, & dans un tems de pluie, ne s’arrêtent point, leurs feuilles ne souffrent pas la moindre altération, elles reprennent en 24 heures, & profitent à merveille.

Un champ de cent pas en quarré contient environ dix mille plantes : on compte qu’il faut quatre personnes pour les entretenir, & qu’elles peuvent rendre quatre mille livres pesant de tabac, selon la bonté de la terre, le tems qu’on a planté, & le soin qu’on en a pris ; car il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y a plus rien à faire, quand la plante est une fois en terre. Il faut travailler sans cesse à sarcler les mauvaises herbes, qui consommeroient la plus grande partie de sa nourriture. Il faut l’arrêter, la rejettonner, ôter les feuilles piquées de vers, de chenilles, & autres insectes ; en un mot avoir toujours les yeux & les mains dessus jusqu’à ce qu’elle soit coupée.

Lorsque les plantes sont arrivées à la hauteur de deux piés & demi ou environ, & avant qu’elles fleurissent, on les arrête, c’est-à-dire, qu’on coupe le sommet de chaque tige, pour l’empêcher de croître & de fleurir ; & en même tems on arrache les feuilles les plus basses, comme plus disposées à toucher la terre, & à se remplir d’ordures. On ôte aussi toutes celles qui sont viciées, piquées de vers, ou qui ont quelque disposition à la pourriture, & on se contente de laisser huit ou dix feuilles tout-au-plus sur chaque tige, parce que ce petit nombre bien entretenu rend beaucoup plus de tabac, & d’une qua-