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l’Attique, qu’il avoit engagé à venir habiter conjointement dans Athènes. Συνοικεῖν signifie demeurer ensemble. Thucydide ajoute, dès-lors jusqu’à présent, les Athéniens ont célébré la fête ξυνοίκια. Il ne faut pas s’arrêter à sa maniere d’écrire ce mot par un ξ, tous les écoliers savent que c’est le propre de la dialecte attique, de mettre souvent un ξ au lieu d’une S. Le scholiaste de Thucydide dit que cette fête étoit en l’honneur de Minerve ; & le scholiaste d’Aristophane assure qu’on y faisoit à la paix un sacrifice, dans lequel on ne répandoit point de sang sur l’autel ; ces deux narrations ne sont point incompatibles. (D. J.)

SYNONYME, adj. (Gram.) mot composé de la préposition greque σὺν, cum, & du mot ὄνυμα, nomen : de là συνωνυμία, cognominatio, & συνώνυμος, cognominans ; ensorte que vocabula synonyma sunt diversa ejusdem rei nomina. C’est la premiere idée que l’on s’est faite des synonymes, & peut-être la seule qu’en aient eu anciennement le plus grand nombre des gens de lettres. Une sorte de dictionnaire que l’on met dans les mains des écoliers qui frequentent nos colleges, & que l’on connoit sous le nom général de synonymes, ou sous les noms particuliers de Regia Parnassi, de Gradus ad Parnassum, &c. est fort propre à perpétuer cette idée dans toutes les têtes qui tiennent pour irréformable ce qu’elles ont appris de leurs maîtres. Que faut-il penser de cette opinion ? Nous allons l’apprendre de M. l’abbé Girard, celui de nos grammairiens qui a acquis le plus de droit de prononcer sur cette matiere.

« Pour acquérir la justesse, dit-il, (synonymes franç. préf. page x.) il faut se rendre un peu difficile sur les mots, ne point s’imaginer que ceux qu’on nomme synonymes, le soient dans toute la rigueur d’une ressemblance parfaite, ensorte que le sens soit aussi uniforme entr’eux que l’est la saveur entre les gouttes d’eau d’une même source ; car en les considérant de près, on verra que cette ressemblance n’embrasse pas toute l’étendue & la force de la signification, qu’elle ne consiste que dans une idée principale, que tous énoncent, mais que chacun diversifie à sa maniere par une idée accessoire qui lui constitue un caractere propre & singulier. La ressemblance que produit l’idée générale, fait donc les mots synonymes ; & la différence qui vient de l’idée particuliere qui accompagne la générale, fait qu’ils ne le sont pas parfaitement, & qu’on les distingue comme les diverses nuances d’une même couleur. »

La notion que donne ici des synonymes cet excellent académicien, il l’a justifiée amplement dans l’ouvrage ingénieux qu’il a fait exprès sur cette matiere, dont la premiere édition étoit intitulée, justesse de la langue françoise, à Paris, chez d’Houry 1718, & dont la derniere édition est connue sous le nom de synonymes françois, à Paris, chez la veuve d’Houry, 1741.

On ne sauroit lire son livre sans desirer ardemment qu’il y eût examiné un plus grand nombre de synonymes, & que les gens de lettres qui sont en état d’entrer dans les vues fines & délicates de cet ingénieux écrivain, voulussent bien concourir à la perfection de l’édifice dont il a en quelque maniere posé les premiers fondemens. Je l’ai déja dit ailleurs : il en résulteroit quelque jour un excellent dictionnaire, ouvrage d’autant plus important, que l’on doit regarder la justesse du langage non-seulement comme une source d’agrémens, mais encore comme l’un des moyens les plus propres à faciliter l’intelligence & la communication de la vérité. Les chefs-d’œuvres immortels des anciens sont parvenus jusqu’à nous ; nous les entendons, nous les admirons même ; mais combien de beautés réelles y sont entierement perdues pour

nous, parce que nous ne connoissons pas toutes ces nuances fines qui caractérisent le choix qu’ils ont fait & dû faire des mots de leur langue ! Combien par conséquent ne perdons-nous pas de sentimens agréables & délicieux, de plaisirs réels ! Combien de moyens d’apprécier ces auteurs, & de leur payer le juste tribut de notre admiration ! Nous n’avons qu’à juger par-là de l’intérêt que nous pouvons avoir nous-mêmes à constater dans le plus grand détail l’état actuel de notre langue, & à en assurer l’intelligence aux siecles à venir, nonobstant les révolutions qui peuvent l’altérer ou l’anéantir : c’est véritablement consacrer à l’immortalité les noms & les ouvrages de nos Homeres, de nos Sophocles, de nos Eurypides, de nos Pindares, de nos Démosthènes, de nos Thucydides, de nos Chrysostomes, de nos Platons, de nos Socrates : & les consécrateurs ne s’assûrent-ils pas de droit une place éminente au temple de Mémoire ?

Les uns peuvent continuer sur le plan de l’abbé Girard, assigner les caracteres distinctifs des synonymes avec cette précision rare qui caractérise cet écrivain lui-même, & y adapter des exemples qui en démontrent la justesse, & l’usage qu’il faut en faire.

Les autres recueilleront les preuves de fait que leurs lectures pourront leur présenter dans nos meilleurs écrivains, de la difference réelle qu’il y a entre plusieurs synonymes de notre langue. Le p. Bouhours, dans ses remarques nouvelles sur la langue françoise, en a caractérisé plusieurs qui pourroient bien avoir fait naître l’idée de l’ouvrage de l’abbé Girard. Dans le journal de l’académie françoise, par l’abbé de Choisy, que M. l’abbé d’Olivet a inséré dans les opuscules sur la langue françoise, on trouve l’examen exprès des différences des mots mauvais & méchant, gratitude & reconnoissance, crainte & frayeur, &c. Il y aura aussi une bonne récolte à faire dans les remarques de Vaugelas, & dans les notes de MM. Patru & Th. Corneille.

Mais il ne faut pas croire qu’il n’y ait que les Grammairiens de profession qui puissent fournir à cette compilation ; la Bruyere peut fournir sans effort une douzaine d’articles tout faits : docteur & docte ; héros & grand-homme ; galante & coquette ; foible, inconstant, léger & volage ; infidele & perfide ; émulation, jalousie & envie ; vice, défaut & ridicule ; grossiereté, rusticité & brutalité ; suffisant, important & arrogant ; honnête-homme & homme de bien ; talent & goût ; esprit & bon-sens.

Le petit, mais excellent livre de M. Duclos, considération sur les mœurs de ce siecle, sera aussi fécond que celui des caractères : il a défini poli & policé ; conviction & persuasion ; probité & vertu ; avilir & deshonorer ; réputation & renommée ; illustre & fameux ; crédit & faveur ; abaissement & bassesse ; suivre & obéir ; naïveté, candeur & ingénuité ; finesse & pénétration, &c.

En général, tous nos écrivains philosophes contribueront beaucoup à ce recueil, parce que l’esprit de justesse est le véritable esprit philosophique ; & peut-être faut-il à ce titre même citer l’Encyclopédie, comme une bonne source, non-seulement à cause des articles exprès qu’on y a consignés sur cette matiere, mais encore à cause des distinctions précises que l’examen métaphysique des principes des sciences & des arts a nécessairement occasionnées.

Mais la besogne la plus utile pour constater les vraies différences de nos synonymes, consiste à comparer les phrases où les meilleurs écrivains les ont employés sans autre intention que de parler avec justesse. Je dis les meilleurs écrivains, & j’ajoute qu’il ne faut compter en cela que sur les plus philosophes ; ce qui caractérise le plus petit nombre : les autres, en se donnant même la peine d’y penser, se contentent néanmoins assez aisément, & ne se doutent pas que l’on puisse leur faire le moindre reproche ; en voici