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dans son camp ou dans la marche, avant qu’elle ait pris aucune précaution pour se défendre ; on surprend les quartiers & les villes, quand on s’y introduit secretement, ou qu’on cherche à les forcer par une attaque brusque & imprévue.

Ce qui peut faire réussir les surprises, c’est le secret, & l’art de se conduire de maniere qu’on ne donne aucun soupçon à l’ennemi.

Si l’on considere toutes les regles & les préceptes que prescrit la science militaire pour se garantir des surprises, il paroîtra que rien ne doit être plus difficile que la réussite de ces sortes d’entreprises. Mais si l’on fait attention que les hommes se négligent souvent sur les devoirs les plus essentiels de leur état ; que tous n’ont pas une assez grande étendue d’esprit pour prévoir tout ce qui peut arriver, & le prévenir ; on verra bientôt que les surprises conduites avec art & intelligence peuvent réussir dans bien des circonstances, surtout vis-à-vis des généraux bornés ou présomptueux.

Nous avons déja remarqué que les ruses & les surprises doivent être la ressource des foibles. Voyez Ruses militaires. C’est par-là qu’ils peuvent se soutenir devant les plus puissans, & leur faire perdre l’avantage de leur supériorité.

Comme cette partie de la guerre dépend absolument de l’esprit & du génie du général ; qu’elle est le fruit de l’étude & de la réflexion, & que la routine n’apprend rien sur ce sujet ; il arrive que les surprises sont plus rares qu’elles ne l’étoient autrefois. Il faut que le général imagine lui-même les différens pieges qu’il veut tendre à son ennemi, & cela relativement aux connoissances qu’il a de son caractere, de sa science, du pays qu’il occupe, & de la maniere dont il fait observer le service militaire. C’est à quoi Annibal donnoit la plus grande attention. Il changeoit sa maniere de faire la guerre, suivant les généraux qui lui étoient opposés, & c’est par cette conduite que ce redoutable ennemi des Romains leur fit éprouver tant de défaites.

Si l’on se trouve opposé à un général qui se croit supérieur en tout à son ennemi, & qui se persuade qu’on le craint, il faut pour le surprendre, l’entretenir dans cette idée, se retrancher avec soin lorsqu’il est à portée, affecter d’éviter avec grande attention toutes les occasions de se commettre avec lui ; & lors qu’on s’apperçoit qu’il se conduit relativement à l’idée qu’il croit qu’on a de ses forces & de ses talens, qu’il commence à se relâcher sur l’exactitude du service, il n’est pas bien difficile de lui tendre les piéges pour tomber sur lui, & l’attaquer dans le moment même qu’il pense qu’on n’a dessein que de l’éviter.

Comme les ruses & les moyens qu’il faut employer pour surprendre l’ennemi, doivent varier à l’infini, suivant les circonstances qui peuvent y donner lieu ; il est difficile d’entrer dans aucun détail raisonné sur ce sujet. Nous observerons seulement que le secret de se garantir des surprises n’est pas impossible, & que la meilleure précaution qu’on puisse prendre à cet égard, consiste à avoir des espions sûrs & fideles, là portée de pénétrer les secrets de l’ennemi, & d’être informés de tous ses desseins. Mais il ne faut pas que la confiance que l’on a dans les espions fasse négliger les autres moyens qui peuvent mettre à l’abri des surprises ; parce qu’il peut arriver qu’un espion étant découvert, soit obligé de donner des faux avis, comme le prince d’Orange obligea celui de M. de Luxembourg, qui étoit dans son secrétariat, d’écrire à ce général, ce qui manqua de le faire battre à Steinkerque. C’est pourquoi indépendamment des avis que donnent les espions, il faut éclairer toutes les démarches du général ennemi par des partis commandés par des officiers habiles & intelligens, qui

puissent rendre compte de tout ce qui entre & qui sort de son camp.

M. le chevalier de Folard prétend, dans son commentaire sur Polybe, que les événemens de la guerre ne sont pas au-dessus de la prévoyance d’un chef habile & expérimenté ; & que quand ils ne seroient pas tous prévus, on peut au-moins les rendre vains & inutiles par une défiance : non, dit-il, de celles qui sont assez ordinaires aux esprits trop fins, qui la poussent trop loin, mais de celles qui se bornent aux précautions que la guerre nous enseigne, qui sont de la compétence de tout le monde, & qu’on peut apprendre avant même qu’on ait dormi à l’air d’un camp.

Tous les cas différens qui peuvent arriver à la guerre, quelques singuliers & extraordinaires qu’ils puissent être, sont arrivés ; & par conséquent doivent nous être connus, autant par notre propre expérience, que par l’étude de l’histoire qui nous les représente.

Tout ce qui arrive aujourd’hui est arrivé il y a un siecle ou deux ; il y en a dix si l’on veut. Tous les stratagèmes de guerre qui se trouvent dans Frontin, dans Polyen, dans une infinité d’historiens anciens & modernes, ont été imités par mille généraux. Ceux de l’Ecriture-sainte, qui en contient un grand nombre de très-remarquables, ont trouvé des imitateurs. Tout est dit, tout est fait : c’est une circulation d’événemens toujours semblables, sinon dans toutes les circonstances, du-moins dans le fond.

Les anciens convenoient qu’ils n’avoient pas besoin de recourir aux oracles pour prévoir les événemens de la guerre, ou pour les faire naître. Un général profond dans la science des armes, & d’ailleurs instruit à fond des desseins primitifs de son ennemi, de la nature de ses forces, du pays où il s’engage pour venir à ses fins, de ce qu’il peut raisonnablement tirer de ses troupes & de sa tête, comme de son courage, peut aisément prévenir les desseins de son adversaire, & les reduire à l’absurde. Les grands capitaines ont tous été remplis de cet esprit prophétique. Qu’on suive M. de Turenne dans toutes ses actions, & l’on verra qu’aucun des anciens ni des modernes ne l’a surpassé sur cet article. Il prévoyoit tout ; il faisoit usage de son esprit, de ses talens, de sa capacité ; tout cela est très-grand & très-étendu. Il dépend de nous de faire usage du premier, de cultiver les autres, ou de les acquérir par l’étude, & de les perfectionner par l’expérience. Comment. sur Polybe, tome III.

Nous n’entrerons point ici dans le détail des surprises anciennes & modernes. Nous renvoyons pour ce sujet à l’ouvrage de M. le chevalier de Folard que nous venons de citer, où l’on trouve beaucoup de réflexions & d’observations sur cet important objet ; aux réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Crux, 2, 11 ; aux mémoires de M. le marquis de Feuquiere, 2, 111, &c. (Q)

Surprise, c’est encore, parmi les Horlogers, le nom d’une piece de la cadrature d’une montre ou pendule à répétition. Cette piece est représentée dans nos Planches de l’Horlogerie ; & dans le développement elle est mince & platte, & porte d’un côté une cheville, que l’on ne voit pas dans la figure, parce qu’elle est par-dessous. Cette cheville déborde du côté que l’on voit en K, & entre dans une fente 2, faite exprès dans le limaçon des quarts, même figure.

Cependant l’usage ordinaire est de ne la point faire déborder de ce côté-là, & de renverser cet ajustement ; c’est-à-dire, de fixer la cheville au limaçon des quarts par-dessous, & de faire la fente dans la surprise. Cette piece se pose à-plat contre ce limaçon, sur la face qui regarde la platine, de façon que