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cune autre idée accessoire de plus ni de moins : tel est le sens des adjectifs, bon, savant, sage, & des adverbes bien, savamment, sagement, quand on dit, par exemple, un bon livre, un homme savant, un enfant sage, un livre bien écrit, parler savamment, conduisez-vous sagement.

Le sens ampliatif est fondé sur le sens positif, & il n’en differe que par l’idée accessoire d’une grande intensité dans la qualité qui en constitue la signification idividuelle : tel est le sens des mêmes adjectifs bon, sage, savant, & des mêmes adverbes bien, savamment, sagement, quand on dit, par exemple, un très-bon livre, un homme fort savant, un enfant bien sage, un livre fort bien écrit, parler bien savamment, conduisez-vous très-sagement.

Le sens diminutif porte de même sur le sens positif, dont il ne differe que par l’idée accessoire d’un degré foible d’intensité dans la qualité qui en constitue la signification individuelle : tel est encore le sens des mêmes adjectifs, bon, savant, sage, & des mêmes adverbes bien, savamment, sagement, quand on dit, par exemple, un livre assez bon, c’est un homme peu savant, un enfant passablement sage, un livre assez bien écrit, parler peu savamment, vous vous êtes conduit assez sagement ; car il est visible que dans toutes ces phrases on a l’intention réelle d’affoiblir l’idée que présenteroit le sens positif des adjectifs & des adverbes.

On sent bien qu’il ne faut pas prendre ici le mot de diminutif dans le même sens que lui donnent les Grammairiens en parlant des noms qu’ils appellent substantifs, tels que sont en latin corculum diminutif de cor, Terentiola diminutif de Terentia ; & en italien vecchino, vecchieto, vecchiettino, diminutifs de vecchio (vieillard) : ces diminutifs de noms ajoutent à l’idée de la nature exprimée par le nom, l’idée accessoire de petitesse prise plutôt comme un signe de mépris, ou au contraire de caresse, que dans le sens propre de diminution physique, si ce n’est une diminution physique de la substance même, comme globulus diminutif de globus.

Les mots pris dans le sens diminutif dont il s’agit ici, énoncent au contraire une diminution physique, dans la nature de la qualité qui en constitue la signification fondamentale, un degré réellement foible d’intensité : tels sont en espagnol tristezico (un peu triste) diminutif de triste, & en latin tristiculus ou subtristis, diminutif de tristis, subobscenè diminutif d’obscenè, &c.

II. Un mot est pris dans un sens comparatif, lorsqu’un degré quelconque de la qualité qui constitue la signification primitive & individuelle du mot, est en effet relatif par comparaison, à un autre degré déterminé, ou de la même qualité, ou d’une autre, soit que ces degrés comparés appartiennent au même sujet, soit qu’ils appartiennent à des sujets différens. Or il y a trois especes de sens comparatifs, selon que le rapport accessoire que l’on considere, est d’égalité, de supériorité ou d’infériorité.

Le sens comparatif d’égalité est celui qui ajoute au sens positif l’idée accessoire d’un rapport d’égalité entre les degrés actuellement comparés.

Le sens comparatif de supériorité est celui qui ajoute au sens positif l’idée accessoire d’un rapport de supériorité à l’égard du degré avec lequel on le compare.

Le sens comparatif d’infériorité est celui qui ajoute au sens positif l’idée accessoire d’un rapport d’infériorité à l’égard du degré avec lequel on le compare.

Ainsi, quand on dit, Pierre est aussi savant, plus savant, moins savant aujourd’hui qu’hier, on compare deux degrés successifs de savoir considérés dans le même sujet : & l’adjectif savant, qui ex-

prime le degré de savoir d’aujourd’hui, reçoit de l’adverbe

aussi le sens comparatif d’égalité ; de l’adverbe plus, le sens comparatif de supériorité ; & de l’adverbe moins, le sens comparatif d’infériorité.

Quand on dit, Pierre est aussi savant, plus savant, moins savant que sage, on compare le degré de savoir qui se trouve dans Pierre, avec le degré de sagesse dont est pourvu le même sujet : & au moyen des mêmes adverbes aussi, plus, moins, l’adjectif savant reçoit les différens sens comparatifs d’égalité, de supériorité ou d’infériorité.

Si l’on dit, Pierre est aussi savant que Paul est sage, ou bien, Pierre est plus savant, moins savant que Paul n’est sage, on compare le degré de savoir de Pierre avec le degré de sagesse de l’autre sujet Paul : & les divers rapports du savoir de l’un à la sagesse de l’autre, sont encore marqués par les mêmes adverbes ajoutés à l’adjectif savant.

On peut comparer différens degrés de la même qualité considérés dans des sujets, & différencier par les mêmes adverbes les rapports d’égalité, de supériorité ou d’infériorité. Ainsi, pour comparer un degré pris dans un sujet, avec un degré pris dans un autre sujet, on dira, Pierre est aussi savant, plus savant, moins savant que Paul, c’est énoncer en quelque sorte une égalité, une supériorité ou une infériorité individuelle : mais pour comparer un degré pris dans un sujet avec chacun des degrés pris dans tous les sujets d’un certain ordre, on dira, Pierre est aussi savant qu’aucun jurisconsulte, ou bien, Pierre est le plus savant, le moins savant des jurisconsultes ; c’est énoncer une égalité, une supériorité ou une infériorité universelle, ce qu’il faut bien observer.

III. Voici le tableau abregé du système des divers sens graduels dont un même mot est suceptible.

Système figuré des sens graduels.
ABSOLUS. COMPARATIFS.
Positif, sage. d’égalité, aussi sage.
Ampliatif, très-sage. de supériorité, plus sage.
Diminutif, un peu sage. d’infériorité, moins sage.

Sans m’arrêter aux dénominations reçues, j’ai songé à caractériser chacun de ces sens par un nom véritablement tiré de la nature de la chose ; parce que je suis persuadé que la nomenclature exacte des choses est l’un des plus solides fondemens du véritable savoir, selon un mot de Coménius que j’ai déja cité ailleurs : Totius eruditionis posuit fundamentum, qui nomenclaturam rerum naturæ & artis perdidicit. Jan. Ling. tit. I. period. iv.

Or il est remarquable que le sens comparatif ne se présente pas sous la forme unique à laquelle on a coutume d’en donner le nom ; & si quelqu’un de ces sens doit être appellé superlatif, c’est précisément celui que l’on nomme exclusivement comparatif, parce que c’est le seul qui énonce le rapport de supériorité, dont l’idée est nettement désignée par le mot de superlatif.

Sanctius trouvant à redire, comme je fais ici, à l’abus des dénominations introduites à cet égard par la foule des grammairiens, (Minerv. II. xj.) Perizonius observe (Ibid. not. I.) que quand il s’agit de l’usage des choses, il est inutile d’incidenter sur les noms qu’on leur a donnés ; parce que ces noms dépendent de l’usage de la multitude qui est inconstante & aveu-