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cune mauvaise qualité, si elles paroissent en même tems que d’autres signes fâcheux, elles contribuent à confirmer le prognostic de mort, sur-tout si elles ne dissipent point ces accidens. Ainsi la femme d’Olympiade avoit la voix éteinte, l’orthopnée, mauvaise couleur, & suoit principalement des jambes & des piés, elle étoit déja à l’agonie & dans les bras de la mort, ibid. lib. VII. n°. 36. Erasinus dont la sueur étoit jointe à des convulsions, & qui avoit les extrémités froides & livides, mourut le cinquieme jour, ibid. lib. III. sect. 3. ægr. 8. d’où l’on peut conclure que, quoique les sueurs soient des signes assez certains par elles-mêmes, on risqueroit souvent de se tromper si l’on s’en tenoit à ce seul signe, & l’on voit la nécessité de combiner tous les signes pour pouvoir porter un prognostic à peu-près certain, c’est-à-dire qui ait beaucoup de probabilité : toutes les parties de la seméiotique se prêtent un appui & une force réciproques ; on ne peut, sous quelque prétexte que ce soit, s’exempter de les approfondir toutes avec soin, la moindre négligence sur ce point est impardonnable ; elle peut tourner au déshonneur du médecin coupable, & qui pis est au détriment du malade innocent. (m)

Sueur angloise, (Médecine pratiq.) maladie particuliere aux Anglois, dont la sueur est le symptome principal, & l’unique remede ; elle est connue dans les différens auteurs sous les noms de fievre sudatoire, ἱδρωπυρετὸς, de peste britannique, d’éphemere pestilentielle, de suette, &c.

Cette maladie épidémique en Angleterre, n’y a pas été de tout tems ; l’époque de son invasion dans ce pays, n’est pas bien déterminée : les écrivains qui la font remonter aux temps les plus reculés, ne la placent pas avant l’année 1480 ; tels sont Surius, Cambden, Caïus, & Childrel : d’autres prétendent que cette maladie n’a commencé à faire des ravages qu’au commencement du sixieme siecle ; mais ces prétentions sont détruites par les témoignages positifs des premiers, qui ne s’accordent cependant pas entr’eux sur l’année précise de son invasion. Le sentiment le plus commun, & qui paroît le plus sûr, c’est celui de Caïus, qui assure que la sueur angloise se répandit pour la premiere fois, en 1483, dans l’armée d’Henri VII. roi d’Angleterre, dès qu’elle fut abordée au port de Milfort, dans la principauté de Galles ; elle gagna ensuite Londres, où elle attaqua & tua un grand nombre de personnes, depuis le premier Septembre jusqu’à la fin du mois d’Octobre, alors les sueurs se calmerent, & l’on n’en ressentit aucune atteinte jusque à l’été de 1485 ; depuis elle reparut en 1506, & en 1518, & cette année elle fut si violente, qu’elle emportoit en trois heures les malades ; aucun sexe, aucun âge, aucune condition, n’échappa à ses coups, plusieurs villes furent entierement dépeuplées : elle revint avec un peu moins de furie en 1528 ; cependant les malades qui en étoient attaqués succomboient en moins de six heures à la violence du mal ; elle prit la plûpart de ses victimes parmi les gens de considération : Henri VIII. régnant alors, ne fut pas à l’abri de ses fureurs, il en fut frappé en 1529. Ce fut alors qu’elle se répandit dans les contrées maritimes de la Hollande, de la Zélande, ensuite à Anvers ; de-là, dans la Flandre & le Brabant, & immola dans tous ces pays, des milliers d’habitans ; elle infecta aussi quelques provinces d’Allemagne, & interrompit à Marpurg le fameux colloque de Zuingle & de Luther, sur l’eucharistie. Enfin cette terrible maladie reparut en 1551, avec tant de violence, qu’il mourut dans un seul jour cent-vingt personnes à Westminster. Ses ravages furent encore plus affreux à Shrewsbury, séjour du célebre Caïus, de qui nous tirons ces détails : ce canton fut presque entierement dépeuplé. Les Anglois effrayés

avec raison du danger prochain qu’ils couroient, cherchoient leur salut dans la fuite, remede assuré dans les autres épidémies ; mais ce fut inutilement, le mal les suivoit & les attaquoit particulierement dans les pays où ils se réfugioient ; eux seuls étoient sujets à cette maladie, les autres nations n’en éprouvoient aucune atteinte, & suivant les observations bien constatées, aucun étranger voyageant ou établi dans leur pays, n’en fut attaqué. Ce fut cette année que l’épidémie épuisa ses fureurs ; l’Angleterre en a été depuis ce tems exempte jusqu’à présent.

Les symptomes qui accompagnoient la sueur angloise étoient différens dans presque tous les sujets ; elle s’annonçoit le plus ordinairement par une douleur dans quelque partie, dans le col, les épaules, les bras, les jambes, &c. ou par une espece de vapeur chaude qui parcouroit ces parties ; peu après une chaleur brulante se répandoit dans l’intérieur, le malade étoit tourmenté par une soif inextinguible, par des inquiétudes, des langueurs d’estomac, des maux de cœur, quelquefois il survenoit des vomissemens ; à ces accidens succédoient plus ou moins promptement des douleurs de tête, le délire, une langueur extrême, un penchant insurmontable au sommeil, le pouls devenoit vîte & véhément, & la respiration fréquente & laborieuse ; ces symptomes étoient tout-à-coup suivis d’une sueur plus ou moins abondante, qui venant ensuite à cesser, jettoit les malades dans l’affaissement avant-coureur de la mort prochaine ; dans les différentes constitutions épidémiques, & dans les différens sujets, la rapidité avec laquelle tous ces phénomènes se succédoient, varioient extrémement ; en 1518, les malades avoient essuyé tous ces accidens, & étoient morts en trois heures ; en 1528, leur durée s’étendoit jusqu’à six heures ; en général les malades n’étoient pas sans danger jusqu’à ce que les vingt-quatre heures fussent expirées ; c’étoit-là le terme le plus ordinaire de la sueur angloise, qui l’avoit fait appeller peste éphémere. On a observé que lorsque ses coups étoient moderés & portés ce semble avec choix, ils ne tomboient que rarement sur les pauvres, les vieillards, les enfans, les atrabilaires, & les personnes d’une constitution foible & délicate : les crapuleux, les personnes sanguines, celles qui faisoient un grand usage du lait, étoient les premieres victimes de sa fureur.

Plusieurs objets s’offrent ici aux recherches des théoriciens, 1°. quelle est l’origine de cette maladie, la cause de son invasion en Angleterre ; 2°. pourquoi est-elle si aiguë ; 3°. pourquoi n’exerce-t-elle ses fureurs que sur le sang anglois, &c. Presque tous les auteurs qui en ont écrit, Herman comte de Nvénare, Riquinus, Schiller, & Alexander Benedictus, s’accordent pieusement à regarder cette maladie comme un des fleaux par lesquels un Dieu irrité exerce sa vengeance sur les criminels humains. La sueur angloise a été principalement destinée à punir l’incrédulité, sans doute plus familiere aux Anglois, suivant ces vers de Pherntophius.

. . . . . Cælestia numina nobis,
Nil sunt quam nugæ, fabula, verba, jocus ;
Inde fames nobis, pestes, mars denique fontem
Hinc etiam inelemens ἱδρωπυρετὸς habet
Sævum horrendum atrox genus immedicabile morbi,
Nostræ perfidiæ debitum, &c.

Et en partant de ces principes, on explique par la volonté de ce même Dieu, tous les autres phénomènes de cette maladie, & sur-tout son endémicité en Angleterre ; mais ces explications ne sauroient satisfaire le philosophe médecin, quoique infiniment persuadé que Dieu est l’auteur & la premiere cause de tous les effets, parce qu’il sait que pour les opérer, l’Etre souverain se sert des moyens physiques dont