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sidérée sans qualité, mérite, chose prête à tout, n’étant rien, & cessant d’être ce qu’elle devient, se reposant, si rien ne la meut.

Le principe actif est opposé au principe passif. Ce feu artificiel est propre à former de la matiere, avec une adresse suprème & selon les raisons qu’il a en lui-même, les semences des choses. Voilà sa fécondité. Sa subtilité permet qu’on l’appelle incorporel, immatériel.

Quoiqu’il soit corps, en conséquence de son opposition avec la matiere, on peut dire qu’il est esprit.

Il est la cause rationnelle, incorruptible, sempiternelle, premiere, originelle, d’où chaque substance a les qualités qui lui sont propres.

Cette cause est bonne. Elle est parfaite. Il n’y a point de qualités louables qu’elle n’ait.

Elle est prévoyante ; elle régit le tout & ses parties ; elle fait que le tout persévere dans sa nature.

On lui donne différens noms. C’est le monde dont elle est en effet la portion principale, la nature, le destin, jupiter, Dieu.

Elle n’est point hors du monde ; elle y est comprise avec la matiere ; elle constitue tout ce qui est, ce que nous voyons & ce que nous ne voyons pas ; elle habite dans la matiere & dans tous les êtres ; elle la pénétre & l’agite, selon que l’exige la raison universelle des choses ; c’est l’ame du monde.

Puisqu’elle pénétre toutes les portions de la matiere, elle y est intimement présente, elle connoît tout, elle y opere tout.

C’est en agitant la matiere & en lui imprimant les qualités qui étoient en elle, qu’elle a formé le monde. C’est l’origine des choses. Les choses sont d’elle. C’est par sa présence à chacun qu’elle les conserve ; c’est en ce sens que nous disons qu’elle est Dieu, & que Dieu est le pere des choses, leur ordinateur & leur conservateur.

Dieu n’a point produit le monde par une détermination libre de sa volonté ; il en étoit une partie ; il y étoit compris. Mais il a rompu l’écorce de la matiere qui l’enveloppoit ; il s’est agité & il a opéré par une force intrinséque, selon que la nécessité de sa nature & de la matiere le permettoit.

Il y a donc dans l’univers une loi immuable & éternelle, un ordre combiné de causes & d’effets, enchaînés d’un lien si nécessaire, que tout ce qui a été, est & sera, n’a pû être autrement ; & c’est-là le destin.

Tout est soumis au destin, & il n’y a rien dans l’univers qui n’en subisse la loi, sans en exempter Dieu ; puisque Dieu suit cet ordre inexplicable & sacré des choses ; cette chaîne qui lie nécessairement.

Dieu, ou la grande cause rationelle n’a pourtant rien qui la contraigne : car hors d’elle & du tout, il n’y a que le vuide infini ; c’est la nature seule qui la nécessite ; elle agit conformément à cette nature, & tout suit conformément à son action ; il ne faut pas avoir d’autre idée de la liberté de Dieu, ni de celle de l’homme ; Dieu n’en est ni moins libre, ni moins puissant, il est lui-même ce qui le nécessite.

Ce sont les parties ou les écoulemens de cet esprit universel du monde, distribués par-tout, & animant tout ce qu’il y a d’animé dans la nature, qui donnent naissance aux demons dont tout est rempli.

Chaque homme a son Génie & sa Junon qui dirige ses actions, qui inspire ses discours, & qui mérite le plus grand respect ; chaque particule du monde a son démon qui lui est présent & l’assiste ; c’est là ce qu’on a désigné sous les noms de Jupiter, de Junon, de Vulcain, de Cérès. Ce ne sont que certaines portions de l’ame universelle, résidentes dans l’air, dans l’eau, dans la terre, dans le feu, &c.

Puisque les dieux ne sont que des écoulemens de

l’ame universelle, distribuées à chaque particule de la nature, il s’ensuit que dans la déflagration générale qui finira le monde, les dieux retourneront à un Jupiter confus, & à leurs anciens élemens.

Quoique Dieu soit présent à tout, agite tout, veille à tout, en est l’ame, & dirige les choses selon la condition de chacune, & la nature qui lui est propre ; quoiqu’il soit bon, & qu’il veuille le bien, il ne peut faire que tout ce qui est bien arrive, ni que tout ce qui arrive soit bien ; ce n’est pas l’art qui se répose, mais c’est la matiere qui est indocile à l’art. Dieu ne peut être que ce qu’il est, & il ne peut changer la matiere.

Quoiqu’il y ait un lien principal & universel des choses, qui les enchaîne, nos ames ne sont cependant sujettes au destin, qu’autant & que selon qu’il convient à leur nature ; toute force extérieure a beau conspirer contre elles, si leur bonté est originelle & premiere, elle perséverera ; s’il en est autrement, si elles sont nées ignorantes, grossieres, féroces ; s’il ne survient rien qui les améliore, les instruise, & les fortifie ; par cette seule condition, sans aucune influence du destin, d’un mouvement volontaire & propre, elles se porteront au vice & à l’erreur.

Il n’est pas difficile de conclure de ces principes, que les stoïciens étoient matérialistes, fatalistes, & à proprement parler athées.

Nous venons d’exposer leur doctrine sur le principe efficient ; voici maintenant ce qu’ils pensoient de la cause passive.

La matiere premiere ou la nature est la premiere des choses, l’essence & la base de leurs qualités.

La matiere générale & premiere est éternelle ; tout ce qu’il en a été est, elle n’augmente ni ne diminue, tout est elle ; on l’appelle essence, considérée dans l’universalité des êtres ; matiere, considerée dans chacun.

La matiere dans chaque être, est susceptible d’accroissement & de diminution ; elle n’y reste pas la même, elle se mêle, elle se sépare, ses parties s’échappent dans la séparation, s’unissent dans le mélange ; après la déflagration générale, la matiere se retrouvera une, & la même dans Jupiter.

Elle n’est pas stable, elle varie sans cesse, tout est emporté comme un torrent, tout passe, rien de ce que nous voyons ne reste le même ; mais rien ne change l’essence de la matiere, il n’en périt rien, ni de ce qui s’évanouit à nos yeux ; tout retourne à la source premiere des choses, pour en émaner derechef ; les choses cessent ; mais ne s’anéantissent pas.

La matiere n’est pas infinie ; le monde a ses limites.

Il n’y a rien à quoi elle ne puisse être réduite, rien qu’elle ne puisse souffrir, qui n’en puisse être fait ; ce qui seroit impossible si elle étoit immuable ; elle est divisible à l’infini ; or ce qui est divisible ne peut être infini ; elle est contenue.

C’est par la matiere, par les choses qui sont de la matiere, & par la raison générale qui est présente à tout, qui en est le germe, qui le pénetre, que le monde est, que l’univers est, que Dieu est ; on entend quelquefois le ciel par ce mot, Dieu.

Le monde existe séparé du vuide qui l’environne, comme un œuf, la terre est au centre ; il y a cette différence entre le monde & l’univers, que l’univers est infini ; il comprend les choses qui sont, & le vuide qui les comprend ; le monde est fini, le monde est compris dans le vuide qui n’entre pas dans l’acception de ce mot.

Au commencement il n’y avoit que Dieu & la matiere ; Dieu, essence des choses, nature ignée, être prolifique, dont une portion combinée avec la matiere, a produit l’air, puis l’eau ; il est au monde comme le germe à la plante ; il a déposé le germe du