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la substance des individus sortis de ses mains.

Les axiomes de Spinosa ne sont pas moins faux & captieux que ses définitions : choisissons ces deux qui sont les principaux : La connoissance de l’effet dépend de la connoissance de la cause, & la renferme nécessairement : Des choses qui n’ont rien de commun entre elles, ne peuvent servir à se faire connoître mutuellement. On sent tout-d’un-coup le captieux de ces deux axiomes ; & pour commencer par le premier, voici comme je raisonne. On peut considérer l’effet de deux manieres, en-tant qu’il est formellement un effet, ou matériellement, c’est-à-dire, tout simplement, entant qu’il est en lui-même. Il est vrai que l’effet considéré formellement comme effet, ne peut être connu séparément de la cause, selon cet axiome des écoles, correlata sunt simul cognitione. Mais si vous prenez l’effet en lui-même, il peut être connu par lui-même. L’axiome de Spinosa est donc captieux, en ce qu’il ne distingue pas entre les différentes manieres dont on peut envisager l’effet. D’ailleurs, quand Spinosa dit que la connoissance de l’effet dépend de la connoissance de la cause & qu’elle la renferme, veut-il dire que la connoissance de l’effet entraîne nécessairement une connoissance parfaite de la cause ? Mais en ce sens, l’axiome est très-faux, puisque l’effet ne contient pas toutes les perfections de la cause, qu’il peut avoir une nature très-différente de la sienne : savoir si la cause agit par sa seule volonté ; car tel sera l’effet qu’il plaira à la volonté de le produire. Mais si Spinosa prétend seulement que l’idée de l’effet est relative à l’idée de la cause, l’axiome de Spinosa est vrai alors, mais inutile au but qu’il se propose ; car, en partant de ce principe, il ne trouvera jamais qu’une substance n’en puisse produire une autre dont la nature & les attributs seront différens. Je dis plus : de ce que l’idée de l’effet est relative à l’idée de la cause, il s’ensuit dans les principes de Spinosa, qu’une substance douée d’attributs différens peut être la cause d’une autre substance. Car Spinosa reconnoît que deux choses dont l’une est cause de l’autre, servent mutuellement à se faire connoître : or, si l’idée de l’effet est relative à l’idée de la cause, il est évident que deux substances de différent attribut pourront se faire connoître réciproquement, pourvu que l’une soit la cause de l’autre, non pas qu’elles aient une même nature & les mêmes attributs, puisqu’on les suppose différens ; mais par le rapport qu’il y a de la cause à l’effet. Pour l’autre axiome, il n’est pas moins faux que le précédent : car, quand Spinosa dit, que les choses qui n’ont rien de commun entre elles, ne peuvent servir à se faire connoître réciproquement ; par le mot de commun, il entend une même nature spécifique. Or l’axiome pris en ce sens, est très-faux ; puisque, soit les attributs géneriques, soit la relation de la cause à l’effet, peuvent les faire connoître les uns par les autres.

Examinons maintenant les principales propositions qui forment le systême de Spinosa. Il dit dans sa seconde, que deux substances ayant des attributs différens, n’ont rien de commun entr’elles. Dans la démonstration de cette proposition, il n’allegue d’autre preuve que la définition qu’il a donnée de la substance, laquelle étant fausse, on n’en peut rien légitimement conclure, & par conséquent cette proposition est nulle. Mais afin d’en faire mieux comprendre le faux, il n’y a qu’à considérer l’existence & l’essence d’une chose pour découvrir ce sophisme. Car, puisque Spinosa convient qu’il y a deux sortes d’existence, l’une nécessaire & l’autre qui ne l’est pas ; il s’ensuit que deux substances qui auront différens attributs, comme l’étendue & la pensée, conviendront entr’elles dans une existence de même espece, c’est-à-dire, qu’elles seront semblables en ce

que l’une & l’autre n’existeront pas nécessairement, mais seulement par la vertu d’une cause qui les aura produites. Deux essences ou deux substances parfaitement semblables dans leurs propriétés essentielles, seront différentes, en ce que l’existence de l’une aura précédé celle de l’autre, ou en ce que l’une n’est pas l’autre. Quand Pierre seroit semblable à Jean en toutes choses, ils sont différens, en ce que Pierre n’est pas Jean, & que Jean n’est pas Pierre. Si Spinosa dit quelque chose de concevable, cela ne peut avoir de fondement & de vraissemblance, que par rapport à des idées métaphysiques qui ne mettent rien de réel dans la nature. Tantôt Spinosa confond l’espece avec l’individu, & tantôt l’individu avec l’espece.

Mais, dira-t-on, Spinosa parle de la substance précisément, & considérée en elle-même. Suivons donc Spinosa. Je rapporte la définition de la substance à l’existence ; & je dis, si cette substance n’existe pas, ce n’est qu’une idée, une définition qui ne met rien dans l’être des choses ; si elle existe, alors l’esprit & le corps conviennent en substance & en existence. Mais, selon Spinosa, qui dit une substance, dit une chose qui existe nécessairement. Je réponds que cela n’est pas vrai, & que l’existence n’est pas plus renfermée dans la définition de la substance en général que dans la définition de l’homme. Enfin, on dit, & c’est ici le dernier retranchement, que la substance est un être qui subsiste par lui-même. Voici donc où est l’équivoque ; car puisque le système de Spinosa n’est fondé uniquement que sur cette définition, avant qu’il puisse argumenter & tirer des conséquences de cette définition, il faut préalablement convenir avec moi du sens de la définition. Or, quand je définis la substance un être qui subsiste par lui-même, ce n’est pas pour dire qu’il existe nécessairement, je n’en ai pas la pensée ; c’est uniquement pour la distinguer des accidens qui ne peuvent exister que dans la substance & par la vertu de la substance. On voit donc que tout ce système de Spinosa, cette fastueuse démonstration n’est fondée que sur une équivoque frivole & facile à dissiper.

La troisieme proposition de Spinosa est que dans les choses qui n’ont rien de commun entr’elles, l’une ne peut être la cause de l’autre. Cette proposition, à l’expliquer précisément, est aussi fausse ; ou dans le seul sens véritable qu’elle peut avoir ; on n’en peut rien conclure. Elle est fausse dans toutes les causes morales & occasionnelles. Le son du nom de Dieu n’a rien de commun avec l’idée du créateur qu’il produit dans mon esprit. Un malheur arrivé à mon ami n’a rien de commun avec la tristesse que j’en reçois. Elle est fausse encore cette proposition, lorsque la cause est beaucoup plus excellente que l’effet qu’elle produit. Quand je remue mon bras par l’acte de ma volonté, le mouvement n’a rien de commun de sa nature avec l’acte de ma volonté, ils sont très-différens. Je ne suis pas un triangle ; cependant je m’en forme une idée, & j’examine les propriétés d’un triangle. Spinosa a cru qu’il n’y avoit point de substance spirituelle, tout est corps selon lui. Combien de fois cependant Spinosa a-t-il été contraint de se représenter une substance spirituelle, afin de s’efforcer d’en détruire l’existence ? Il y a donc des causes qui produisent des effets, avec lesquels elles n’ont rien de commun, parce qu’elles ne les produisent pas par une émanation de leur essence, ni dans toute l’étendue de leurs forces.

La quatrieme proposition de Spinosa ne nous arrêtera pas beaucoup : Deux ou plusieurs choses distinctes sont distinguées entr’elles, ou par la diversité des attributs des substances, ou par la diversité de leurs accidens qu’il appelle des affections. Spinosa confond ici la diversité avec la distinction. La diversité vient