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distinguées par quelque caractere d’un plus grand nombre qui forme le genre. Plante est le genre ; mais il y a bien des sortes de plantes. Etoffe est le genre ; mais il y a bien des sortes d’étoffes, d’animaux, de poissons, de serpens ; il y a toutes sortes d’esprits & de caracteres. Il y a dans quelques hommes une sorte d’instinct ; il y en a qui ont une sorte de science. Cet homme nous en contera de toutes les sortes. Il y a de toutes sortes de marchandise. Il n’y a sorte d’attentions qu’il n’ait prises, le hasard les a toutes trompées.

Sorte, s. f. (Joaillerie.) on se sert de ce terme dans le commerce des pierreries, en parlant des émeraudes qui ne se vendent qu’au marc ; ce qui en marque les différentes grosseurs qui vont en diminuant, depuis la premiere sorte jusqu’à la troisieme ; on dit aussi premiere, seconde & troisieme couleur. (D. J.)

SORTIE, s. f. (Gram.) l’action de sortir, ou passage d’un lieu qu’on regardoit comme sa premiere demeure dans un autre. J’en suis à ma premiere sortie. Ce mot a quelquefois rapport au tems, à la sortie de l’hiver, à la fin d’une occupation, à la sortie de ce livre. Aux issues d’une maison, j’ai deux sorties, & cela m’est fort commode, je m’échappe & je rentre quand il me plaît & sans qu’on le sache ; aux voies qu’on ouvre aux eaux, à l’air, à un fluide dont le séjour incommoderoit ; j’ai pratiqué une sortie à ces vapeurs.

Sortie, (Fortification.) terme dont on se sert dans l’art militaire pour exprimer l’action par la quelle les assiégés sortent de leurs villes ou de leurs forteresses, afin de chasser les assiégeans, d’enclouer leur canon, d’empêcher leurs approches, & de détruire leurs ouvrages, &c. On dit, faire une sortie, repousser une sortie, &c. On est coupé dans une sortie, lorsque l’ennemi se place entre ceux qui sont sortis & leur ville. Chambers.

Ceux qui se tiennent toujours dans leur place sans faire des sorties, sont, dit le chevalier de la Ville, semblables à ceux qui ne se soucient point du feu qui est dans la maison du voisin, & qui ne se meuvent pour l’éteindre, que lorsqu’il a pris à la leur. En effet, les assiégeans avançant toujours leurs travaux vers la place, il est de la derniere importance de travailler de bonne heure à en arrêter le progrès ; c’est à quoi les sorties sont excellentes lorsqu’elles sont bien disposées & bien conduites ; car autrement elles avanceroient plutôt la prise de la place qu’elles ne la retarderoient. Quelque avantageuses que soient les sorties, on ne peut pas en faire indifféremment dans toutes sortes de places ; il faut pour en entreprendre que la garnison soit nombreuse. Une garnison foible & qui seroit amplement fournie de toutes les munitions nécessaires pour se défendre & pour subsister long-tems dans la ville, devroit être fort circonspecte dans les sorties. Mais une garnison nombreuse & qui n’est pas d’ailleurs fournie pour long-tems de vivres & d’autres munitions, doit fatiguer l’ennemi autant qu’il lui est possible, par de très-fréquentes sorties : c’est aussi le parti que l’on doit prendre dans une ville dont les fortifications sont mauvaises ; on ne doit pas se laisser renfermer, pour être obligé de se rendre, pour ainsi dire, sans résistance. Il faut fatiguer l’ennemi continuellement, le tenir éloigné de la place le plus long-tems qu’il est possible, & n’ometre aucune chicane pour lui disputer l’approche du glacis & la prise du chemin couvert. C’est ainsi que M. le marquis d’Uxelles, depuis maréchal de France, en usa dans la défense de Mayence en 1689. Il défendit cette ville, assez grande & très mal fortifiée, pendant plus de deux mois, par le secours d’une garnison excellente, & il fut obligé de capituler faute de poudre & de munitions, étant en-

core maître de son chemin couvert, & même, pour

ainsi dire, de tous ses glacis, puisque l’ennemi n’y avoit qu’un logement sur le haut ; encore, dit M. de Feuquieres, M. le Marquis d’Uxelles le laissa-t-il faire pour avoir prétexte de capituler, & que l’ennemi ne pût pas soupçonner qu’il se rendoit faute de poudre. A Keiservert en 1702, la place fort mauvaise par elle-même, ne fut encore défendue que par de nombreuses sorties, qui firent payer sa prise chere à l’ennemi. Dans des cas semblables, on ne doit point se négliger pour les sorties ; pour qu’elles réussissent, il faut qu’elles soient faites avec art & intelligence ; c’est, dit M. le maréchal de Vauban, dans ces sortes d’actions que la vigueur, la diligence & la bonne conduite doivent paroître dans tout leur éclat & dans toute leur étendue.

Lorsque l’ennemi est encore loin de la place, les sorties sont très-périlleuses, parce que l’ennemi peut avec sa cavalerie, leur couper la retraite dans la ville ; mais lorsqu’il a établi sa seconde parallele & qu’il pousse les boyaux de la tranchée en avant pour parvenir à la troisieme au pié du glacis, c’est alors qu’on peut sortir sur lui ; on le peut même, si l’on prend bien ses précautions, lorsqu’il travaille à sa seconde parallele, & qu’elle n’est point encore achevée entierement ; mais où elles doivent être les plus fréquentes, c’est lorsque l’assiégeant est parvenu à la troisieme parallele & qu’il veut s’établir sur le glacis. On ne craint plus alors d’être coupé, & on peut le surprendre d’autant plus aisément, qu’on peut tomber sur lui d’abord & le culbuter sans lui donner le tems de se reconnoître.

Les sorties peuvent être ou grandes ou petites ; les grandes doivent être au moins de 5 ou 600 hommes, ou proportionnées à la garde de la tranchée, & les plus petites seulement de 10, 15, ou 20 hommes.

L’objet des grandes sorties doit être de détruire & de raser une grande partie des travaux de l’assiégeant, afin de le mettre dans la nécessité de les recommencer, d’enclouer le canon des batteries, de reprendre quelque poste que l’on aura abandonné, & enfin de nuire à l’ennemi en retardant ses travaux, pour reculer par-là la prise de la place.

Pour les petites sorties, elles ne se font que pour donner de l’inquiétude aux têtes de la tranchée, pour effrayer les travailleurs, & pour les obliger de se retirer. Comme il faut toujours quelque tems pour les rappeller & les remettre dans l’obligation de continuer leur travail, il y a un tems de perdu, qui retarde toujours l’avancement & le progrès des travaux.

Le tems le plus propre pour les grandes sorties, est deux heures avant le jour ; le soldat est alors fatigué du travail de la nuit & accablé de sommeil, il doit par cette raison être plus aisé à surprendre & à combattre. Lorsqu’il a fait de grandes pluies pendant la nuit, & que le soldat ne peut faire usage de son feu, c’est encore une circonstance bien favorable ; il ne faut rien négliger pour le surprendre : car ce n’est, pour ainsi dire, que par la surprise que l’on peut tirer quelque avantage d’une sortie.

Pour les petites sorties, dont l’objet est de donner simplement de l’inquiétude aux assiégeans, sans pouvoir leur faire grand mal, voici comme elles se font. On choisit, pour les faire, des soldats hardis & valeureux, au nombre, comme nous l’avons dit, de 10, 15 ou 20, qui doivent s’approcher doucement de la tête des travaux des assiégeans, & se jetter ensuite promptement dessus, en criant, tue, tue, & jettant quelques grenades ; ensuite de quoi ils doivent se retirer bien vîte dans la place ; l’alarme qu’ils donnent ainsi est suffisante pour faire fuir les travailleurs, qui ne demandent pas mieux que d’avoir un prétexte spécieux pour s’enfuir, sans, dit M. Gou-