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pe le Bel, dit M. de Voltaire, firent alors entre eux une association par écrit, & se promirent un secours mutuel contre ceux qui voudroient les faire périr par le secours de la sorcellerie. On brûla par arrêt du parlement une sorciere qui avoit fabriqué avec le diable un acte en faveur de Robert d’Artois. La maladie de Charles VI. fut attribué à un sortilege, & on fit venir un magicien pour le guérir.

On vit à Londres la duchesse de Glocester accusée d’avoir attenté à la vie d’Henri VI. par des sortileges. Une malheureuse devineresse, & un prêtre imbécille ou scélerat qui se disoit sorcier, furent brûlés vifs pour cette prétendue conspiration. La duchesse fut heureuse de n’être condamnée qu’à faire une amende honorable en chemise, & à une prison perpétuelle. L’esprit de lumiere & de philosophie, qui a établi depuis son empire dans cette île florissante, en étoit alors bien éloigné.

La démence des sortileges fit des nouveaux progrès en France sous Catherine de Médicis ; c’étoit un des fruits de sa patrie transplantés dans ce royaume, On a cette fameuse médaille ou cette reine est représentée toute nue entre les constellations d’Aries & Taurus, le nom d’Ebullé Asmodée sur sa tête, ayant un dard dans une main, un cœur dans l’autre, & dans l’exergue le nom d’Oxiel. On fit subir la question à Côme Ruggieri florentin, accusé d’avoir attenté par des sortileges à la vie de Charles IX. En 1606 quantité de sorciers furent condamnés dans le ressort du parlement de Bordeaux. Le fameux curé Gaufrédi brûlé à Aix en 1611, avoit avoué qu’il étoit sorcier, & les juges l’avoient cru.

Enfin ce ne fut qu’à la raison naissante vers la fin du dernier siecle, qu’on dut la déclaration de Louis XIV. qui défendit en 1672, à tous les tribunaux de son royaume d’admettre les simples accusations de sorcellerie ; & si depuis il y a eu de tems-en-tems quelques accusations de maléfices, les juges n’ont condamné les accusés que comme des prophanateurs, ou quand il est arrivé que ces gens-là avoient employé le poison.

On demandoit à la Peyrere, auteur des préadamites, mais qui d’ailleurs a composé une bonne histoire de Groenlande, pourquoi l’on parloit tant de sorciers dans le nord qu’on supplicioit ; c’est, disoit-il, parce que le bien de tous ces prétendus sorciers que l’on fait mourir, est en partie confisqué au profit des juges.

Personne n’ignore l’histoire de l’esclave affranchi de l’ancienne Rome, qu’on accusoit d’être sorcier, & qui par cette raison fut appellé en justice pour y être condamné par le peuple romain. La fertilité d’un petit champ que son maître lui avoit laissé, & qu’il cultivoit avec soin, avoit attiré sur lui l’envie de ses voisins. Sûr de son innocence, sans être allarmé de la citation de l’édile Curule qui l’avoit ajourné à l’assemblée du peuple, il s’y présenta accompagné de sa fille ; c’étoit une grosse paysanne bien nourrie & bien vétue, benè curatam & vestitam : il conduisit à l’assemblée ses bœufs gros & gras, une charrue bien équipée & bien entretenue, & tous ses instrumens de labour en fort bon état. Alors se tournant vers ses juges : Romains, dit-il, voilà mes sortileges, veneficia mea, quirites, hæc sunt. Les suffrages ne furent point partagés ; il fut absous d’une commune voix, & fut vengé de ses ennemis par les éloges qu’il reçut. (D. J.)

SORCIERS & SORCIERES, (Hist. anc. & mod.) hommes & femmes qu’on prétend s’être livrés au démon, & avoir fait un pacte avec lui pour opérer par son secours des prodiges & des maléfices.

Les payens ont reconnu qu’il y avoit des magiciens ou enchanteurs malfaisans, qui par leur commerce avec les mauvais génies ne se proposoient que

de nuire aux hommes, & les Grecs les appelloient goétiques. Ils donnoient à l’enchanteur le nom d’επαωιδα, au devin celui de μαντις. Par φαρμακευς ils désignoient celui qui se servoit de poisons, & par γοης, celui qui trompoit les yeux par des prestiges. Les Latins leur ont aussi donné différens noms, comme ceux d’empoisonneurs, venenarii & venefici, parce qu’en effet ils savoient préparer les poisons, & en faisoient usage : Thessaliens & Chaldéens, Thessali & Chaldœi, du nom des pays d’où sortoient ces magiciens : généthliaques & mathématiciens, genethliaci & mathematici, parce qu’ils tiroient des horoscopes, & employoient le calcul pour prédire l’avenir : devins, augures, aruspices, &c. arioli, augures, aruspices, &c. des différens genres de divination auxquels ils s’adonnoient. Ils appelloient les magiciennes lamies, lamiæ, du nom d’une nymphe cruelle & forcenée, qu’on feignoit dévorer tous les enfans : sagæ, terme qui dans l’origine signifioit une personne prévoyante, mais qui devint ensuite odieux, & affecté aux femmes qui faisoient profession de prédire l’avenir : striges, qui veut dire proprement des oiseaux nocturnes & de mauvais augure, nom qu’on appliquoit par métaphore aux magiciennes, qui, disoit-on, ne faisoient leurs enchantemens que pendant la nuit. On les trouve encore appellées dans les auteurs de la bonne latinité veratrices, veraculæ, simulatrices, fictrices. Dans les loix des Lombards elles sont nommées mascæ, à cause de leur figure hideuse & semblable à des masques, dit Delrio. Enfin on trouve dans Hincmar, & depuis fréquemment dans les auteurs qui ont traité de la magie, les mots sortiarii & sortiariæ, que nous avons rendus par ceux de sorciers & de sorcieres.

Les anciens ne paroissent pas avoir révoqué en doute l’existence des sorciers, ni regardé leurs maléfices comme de simples prestiges. Si l’on ne consultoit que les poëtes, on admettroit sans examen cette multitude d’enchantemens opérés par les Circés, les Médées, & autres semblables prodiges par lesquels ils ont prétendu répandre du merveilleux dans leurs ouvrages. Mais il paroit difficile de recuser le témoignage de plusieurs historiens d’ailleurs véridiques, de Tacite, de Suétone, d’Ammien Marcellin, qu’on n’accusera pas d’avoir adopté aveuglément, & faute de bon sens, ce qu’ils racontent des opérations magiques. D’ailleurs pourquoi tant de lois séveres de la part du sénat & des empereurs contre les magiciens, si ce n’eussent été que des imposteurs & des charlatans propres tout au plus à duper la multitude, mais incapables de causer aucun mal réel & physique ?

Si des fausses religions nous passons à la véritable, nous trouverons qu’elle établit solidement l’existence des sorciers ou magiciens, soit par des faits incontestables, soit par les regles de conduite qu’elle prescrit à ses sectateurs. Les magiciens de Pharaon opérerent des prodiges qu’on n’attribuera jamais aux seules forces de la nature, & qui n’étoient pas non plus l’effet de la divinité, puisqu’ils avoient pour but d’en combattre les miracles. Je n’ignore pas que ces prodiges sont réduits par quelques modernes au rang des prestiges ; mais outre que ce n’est pas le sentiment le plus suivi, conçoit-on bien clairement qu’il soit du ressort de la nature de fasciner les yeux de tout un peuple, de le tromper longtems par de simples apparences, de lui faire croire que des spectres d’air ou de fumée sont des animaux & des reptiles qui se meuvent ? Si ce n’eussent été que des tours de charlatan, qui eût empêché Moïse si instruit de la science des Egyptiens, d’en decouvrir l’artifice à Pharaon, à sa cour, à son peuple, & en les détrompant ainsi, de confirmer ses propres miracles ? Pourquoi eût-il été obligé de recourir à de plus grandes merveilles que celles qu’il avoit opérées jusque-là, & que les magiciens ne purent enfin imiter ? Presti-