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présente point son maître ; il est arrêté à l’entrée du royaume, jusqu’à ce que le roi soit informé de son arrivée. On le conduit d’abord à l’audience, & il ne peut rester dans la capitale après l’audience de congé.

La fameuse ambassade de Siam en France dans le dernier siecle, nous a valu les relations de ce royaume, composées par le P. Tachard, par l’abbé de Choisy, par MM. de Lisle, Gervaise, de Chaumont, & de la Loubere ; mais outre que toutes ces relations se contredisent, elles n’ont pas le mérite de celle de Koempfer, qui d’ailleurs est postérieure à tous les voyageurs que je viens de nommer. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Siam, (Géog. mod.) capitale du royaume de Siam, & la résidence du roi. Cette capitale est appellée par les Siamois Meuang-Syouthia, & par les Chinois Juehia & Judia. Long. suivant Cassini, Lieutaud, & Desplaces, 118. 21 30 ; suivant le P. Noël, 118. 6. 30. Latit. suivant les uns & les autres, 14, 18.

Cette ville est renommée dans toutes les Indes, quoique très-moderne, n’ayant pas aujourd’hui plus de trois siecles d’antiquité. Elle étoit auparavant dans le lieu où est présentement Bankok, sur le bord occidental de la grande riviere Meuan ; mais on l’a démolie pour la rebâtir où elle est à-présent, dans une île basse formée par cette riviere. Cette île a la forme de la plante du pié, le talon tourné à l’ouest, & environ deux milles d’Allemagne de circuit. Elle est située dans un pays tout-à-fait plat, autant que la vûe peut s’étendre, sur un terrein bas, coupé par plusieurs canaux qui viennent de la riviere, & qui forment tout autant de petites îles quarrées ; de sorte qu’on ne sauroit aller fort loin sans bateau. Elle est environnée d’une muraille de briques, qui doit être aujourd’hui tombée en ruine, si on ne l’a pas rétablie.

Plusieurs grands canaux qui viennent de la riviere, traversent la ville, & sont assez profonds pour porter les plus grands bateaux, & les faire aborder auprès des principales maisons. Les rues sont en droite ligne le long des canaux, mais la plûpart sont fort étroites ; d’ailleurs elles sont toutes sales & malpropres, il y en a même qui sont inondées en haute marée. A considérer la grandeur de cette ville, elle est assez dépeuplée, sur-tout du côté de l’ouest & du sud, où l’on voit de grands espaces vuides, & qui ne sont point cultivés.

Le roi a trois palais dans cette ville, dont le plus remarquable est dans le milieu de la ville même. Ce palais est un grand quarré, divisé en plusieurs bâtimens qui, suivant l’architecture chinoise, sont ornés de plusieurs toîts l’un sur l’autre, & de plusieurs frontispices, dont une partie est dorée. Dans l’enceinte du palais, aussi-bien qu’au dehors, il y a de longues écuries où l’on voit une centaine d’éléphans rangés de suite, & magnifiquement harnachés ; mais il n’y a qu’une seule ouverture pour entrer dans le palais ; & quoiqu’elle soit extrèmement sale, personne n’y passe qu’à pié : & pour éviter toute surprise, il est défendu à tous les bâtimens qui remontent la riviere, de s’approcher des murs du palais royal qu’à une certaine distance.

On voit aux portes & aux autres avenues de ce palais, une foule de gens nuds, dont la peau basanée est peinte de figures noires bigarrées, comme les images du saint-sépulchre à Jérusalem. Quelques-uns ne sont marqués ainsi qu’aux bras, mais les autres le sont par tout le corps, jusqu’à la ceinture, qu’il couvrent d’un morceau de drap, suivant la coutume générale du pays. On leur donne le nom portugais de bracos-pintados, ou bras peints. Ce sont-là les gardes du roi, ses portiers & ses bateliers. Pour toutes armes, ils ont des bâtons gros & courts, & ne font que roder autour du palais comme des vagabonds.

Dans les autres parties de la ville il y a un quartier qui est destiné aux étrangers, où demeurent les Chinois, les Maures & les Indoustans : c’est un quartier très-peuplé, où il se fait un grand commerce, parce que tous les vaisseaux y abordent. Les maisons de ces étrangers sont en quelques endroits toutes bâties de pierre, mais elles sont fort petites, n’ayant que huit pas de longueur, quatre de largeur, & deux étages, quoiqu’elles n’aient pas plus de deux brasses & demie de hauteur. Elles sont couvertes de tuiles plates, & ont de grandes portes sans aucune proportion.

Le quartier des naturels du pays, est, comme on peut bien le penser, le plus grand de tous ; il est habité par quantité d’artisans, rempli de boutiques des deux côtés, & de grandes places pour les marchés, qui se tiennent tous les jours soir & matin. Les maisons des gens du commun qui y demeurent, ne sont que de misérables cabanes bâties de bambou, & couvertes de branches & de feuilles de palmier qui croissent dans les marais. Les boutiques sont basses & mal entendues, mais elles sont assez bien situées en lignes droites paralleles aux rues.

Les mandarins ou ministres d’état, & les courtisans, demeurent dans les quartiers voisins des palais du roi ; leurs maisons, quoique bâties de pierre & de chaux, sont assez chétives ; les appartemens ne sont ni propres ni garnis, & les cours sont fort sales.

Les canaux de Siam ont donné lieu à un grand nombre de ponts, dont la plûpart sont faits de bois, & peu solides. Ceux qu’on a bâtis sur le grand canal sont de pierre ou de brique, avec des balustrades de même ; mais comme il n’y a dans cette ville ni chariots ni charretes, tous les ponts sont fort étroits : les plus beaux ont 60 ou 80 pas de long, & sont fort hauts au milieu.

Comme tout le pays de Siam fourmille de prêtres & de moines, cette ville en particulier est pleine de temples, dont les cours aboutissent régulierement au niveau des rues, & sont remplies de pyramides & de colonnes de différentes figures, & dorées. Ces temples ne sont pas si grands que nos églises, mais ils les surpassent en magnificence extérieure, comme par le grand nombre de leurs toîts, par leurs frontispices dorés, leurs escaliers avancés, leurs pyramides, colonnes, piliers, & autres embellissemens. Le dedans est orné de plusieurs statues de grandeur naturelle, ou même plus grandes, artistement faites d’un mélange de plâtre, de résine & de poil, auquel on donne d’abord un vernis noir, & que l’on dore ensuite. Elles sont placées en plusieurs rangs dans un lieu éminent, où est l’autel.

Dans quelques temples elles sont rangées le long des murailles, assises les jambes croisées, toutes nues, excepté au milieu du corps, où elles sont ceintes d’un morceau de drap jaune foncé ; elles ont aussi depuis l’épaule gauche jusqu’au nombril, une autre piece de drap de la même couleur entortillée. Leurs oreilles sont fendues, & si longues, qu’elles descendent sur les épaules. Leurs cheveux sont frisés & noués sur la tête en deux nœuds, de sorte qu’on ne peut pas distinguer si c’est un bonnet ou quelque autre espece d’ornement. La main droite est posée sur le genou droit, & la gauche sur le giron. A la place d’honneur, qui est le milieu, il y a une idole qui excede de beaucoup la grandeur d’un homme, assise dans la même posture sous un dais. Elle représente leur apôtre, ou le fondateur de leur religion, leur Sammona-Khodum.

Ce Khodum a des statues d’une grandeur monstrueuse dans quelques temples. Kœmpfer a vu une de ces idoles assise sur un lieu élevé, dont la proportion étoit telle qu’elle auroit étant droite, cent vingt piés de long. Ces sortes d’idoles sont dans la même posture où Khodum & ses disciples se met-