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& en toute espece qu’on a vû en France sous le regne de Louis XIV. ils ont même laissé des éleves qui marchent sur leurs traces ; tels sont MM. Adam, Bouchardon, Falconet, le Moine, Pigal, Sloots, Vassé, &c. Leurs ouvrages feront leur éloge, & seront peut-être les derniers soupirs de notre sculpture.

Tous les articles des sculpteurs modernes sont de M. le Chevalier de Jaucourt.

SCULPTURE, s. f. (Beaux-Arts.) On définit la Sculpture un art qui par le moyen du dessein & de la matiere solide, imite avec le ciseau les objets palpables de la nature. Pour traiter ce sujet avec un peu de méthode, nous considérerons séparément la sculpture antique & la sculpture moderne ; mais avant que de parler de l’une & de l’autre, nous croyons devoir transcrire ici une partie des réflexions de M. Etienne Falconet sur la Sculpture en général : il les a mises au jour tout récemment ; & comme il a déclaré qu’elles étoient destinées pour l’Encyclopédie, nous allons remplir l’intention de cet habile artiste, & le laisser parler lui-même.

La Sculpture, dit-il, ainsi que l’Histoire, est le dépôt le plus durable des vertus des hommes & de leurs foiblesses. Si nous avons dans la statue de Vénus l’objet d’un culte dissolu, nous avons dans celle de Marc-Aurele un monument célebre des hommages rendus à un bienfaiteur de l’humanité.

Cet art, en nous montrant les vices déifiés, rend encore plus frappantes les horreurs que nous transmet l’Histoire ; pendant que d’un autre côté les traits précieux qui nous restent de ces hommes rares, qui auroient dû vivre autant que leurs statues, raniment en nous ce sentiment d’une noble émulation, qui porte l’ame aux vertus qui les ont préservés de l’oubli. César voit la statue d’Alexandre, il tombe dans une profonde réverie, laisse échapper des larmes & s’écrie : « Quel fut ton bonheur ! A l’âge que j’ai, tu avois déja soumis une partie de sa terre, & moi je n’ai encore rien fait pour ma propre gloire ». Il n’en fit que trop pour l’ensevelir sous les ruines de sa patrie.

Le but le plus digne de la Sculpture, en l’envisageant du côté moral, est donc de perpétuer la mémoire des hommes illustres, & de donner des modeles de vertu d’autant plus efficaces, que ceux qui les pratiquoient ne peuvent plus être les objets de l’envie. Nous avons le portrait de Socrate, & nous le vénérons. Qui sait si nous aurions le courage d’aimer Socrate vivant parmi nous ?

La Sculpture a un autre objet, moins utile en apparence ; c’est lorsqu’elle traite des sujets de simple décoration ou d’agrément ; mais alors elle n’en est pas moins propre à porter l’ame au bien ou au mal. Quelquefois elle n’excitera que des sensations indifférentes. Un sculpteur, ainsi qu’un écrivain, est donc louable ou repréhensible, selon que les sujets qu’il traite sont honnêtes ou licencieux.

En se proposant l’imitation des surfaces du corps humain, la Sculpture ne doit pas s’en tenir à une ressemblance froide ; cette sorte de vérité, quoique bien rendue, ne pourroit exciter par son exactitude qu’une louange aussi froide que la ressemblance ; & l’ame du spectateur ne seroit point émue. C’est la nature vivante, animée, passionnée, que le sculpteur doit exprimer sur le marbre, le bronze, la pierre, &c.

Tout ce qui est pour le sculpteur un objet d’imitation, doit lui être un sujet continuel d’étude ; cette étude éclairée par le génie, conduite par le goût & la raison, exécutée avec précision, encouragée par l’attention bienfaisante des souverains, & par les conseils & les éloges des grands artistes, produira des chef-d’œuvres semblables à ces monumens précieux qui ont triomphé de la barbarie des siecles. Ainsi les sculpteurs qui ne s’en tiendront pas à un tri-

but de louanges, d’ailleurs si légitimement dû es à ces

ouvrages sublimes, mais qui les étudieront profondément, qui les prendront pour regle de leurs productions, acquerront cette supériorité que nous admirons dans les statues grecques.

Non-seulement les belles statues de l’antiquité seront notre aliment, mais encore toutes les productions du génie, quelles qu’elles soient. La lecture d’Homere, ce peintre sublime, élevera l’ame de l’artiste, & lui fournira des images de grandeur & de majesté.

Ce que le génie du sculpteur peut créer de plus noble & de plus sublime, ne doit être que l’expression des rapports possibles de la nature, de ses effets, de ses jeux, de ses hasards : c’est-à-dire que le beau, même idéal, en Sculpture comme en Peinture, doit être un résumé du beau réel de la nature. Il existe un beau essentiel, mais épars dans les différentes parties de l’univers. Sentir, assembler, rapprocher, choisir, supposer même diverses parties de ce beau, soit dans le caractere d’une figure, comme l’Apollon, soit dans l’ordonnance d’une composition, comme ces hardiesses de Lanfranc, du Correge, & de Rubens ; c’est montrer dans l’art ce beau idéal qui a son principe dans la nature.

La Sculpture est sur-tout ennemie de ces attitudes forcées que la nature desavoue, & que quelques artistes ont employées sans nécessité, & seulement pour montrer qu’ils savoient se jouer du dessein. Elle l’est également de ces draperies dont toute la richesse est dans les ornemens superflus d’un bisarre arrangement de plis. Enfin, elle est ennemie des contrastes trop recherchés dans la composition, ainsi que dans la distribution affectée des ombres & des lumieres. En vain prétendroit-on que c’est la machine ; au fond ce n’est que du désordre, & une cause certaine de l’embarras du spectateur, & du peu d’action de l’ouvrage sur son ame : plus les efforts que l’on fait pour nous émouvoir sont à découvert, moins nous sommes émus ; d’où il faut conclure que moins l’artiste emploie de moyens à produire un effet, plus il a de mérite à le produire, & plus le spectateur se livre volontiers à l’impression qu’on a cherché à faire sur lui. C’est par la simplicité de ces moyens que les chef d’œuvres de la Grece ont été créés, comme pour servir éternellement de modeles aux artistes.

La Sculpture embrasse moins d’objets que la Peinture ; mais ceux qu’elle se propose, & qui sont communs aux deux arts, sont des plus difficiles à représenter : savoir l’expression, la science des contours, l’art pénible de draper & de distinguer les différentes especes des étoffes.

La Sculpture a des difficultés qui lui sont particulieres. 1°. Un sculpteur n’est dispensé d’aucune partie de son étude à la faveur des ombres, des fuyans, des tournans, & des raccourcis. 2°. S’il a bien composé & bien rendu une vûe de son ouvrage, il n’a satisfait qu’à une partie de son opération, puisque cet ouvrage peut avoir autant de points de vûe qu’il y a de points dans l’espace qui l’environne. 3°. Un sculpteur doit avoir l’imagination aussi forte qu’un peintre, je ne dis pas aussi abondante ; il lui faut de plus une ténacité dans le génie, qui le mette au-dessus du dégoût causé par le méchanisme, la fatigue, & la lenteur de ses opérations. Le génie ne s’acquiert point, il se développe, s’étend & se fortifie par l’exercice. Un sculpteur exerce le sien moins souvent qu’un peintre ; difficulté de plus, puisque dans un ouvrage de sculpture il doit y avoir du génie comme dans un ouvrage de peinture. 4°. Le sculpteur étant privé du charme séduisant de la couleur, quelle intelligence ne doit-il pas y avoir dans ses moyens pour attirer l’attention ? Pour la fixer, quelle précision,