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fort impossible dans les ouvrages de marbre, que les statuaires n’ont jamais assez de deux jambes pour soutenir une figure ; ils sont obligés de recourir à un tronc d’arbre, à des draperies, en un mot à quelque corps qui leur donne un moyen de solidité. Plus ce moyen conserve de vraissemblance, & plus il mérite d’éloges. Il ne faut pas se rejetter sur le talent & le mérite des artistes grecs pour accuser les modernes ; ils étoient soumis comme nous aux raisons physiques ; d’ailleurs leurs propres ouvrages certifient cette vérité. Il n’y a jamais eu de figure plus faite que l’Atalante, pour être traitée dans cette position ; cependant celle de marbre que le tems a épargnée ne pose, il est vrai, que sur un pié, mais elle a un tronc d’arbre pour appui. Il faut donc regarder les ouvrages de Polyclete, cités à cette occasion, comme étant de bronze, & pour lors ils n’ont rien de merveilleux. Nous voyons même que les anciens ont souvent traité dans cette position des femmes sortant du bain, des Vénus, &c. mais toujours en bronze. Mém. des insc. t. xxv.

Pausanias parle d’un autre Polyclete qui fit la statue d’Agenor de Thèbes, lequel surpassa tous les jeunes gens de son âge à la lutte. Ce dernier Polyclete postérieur au sycionien, fut éleve de Naucydes. Junius l’a oublié dans son catalogue.

Posis étoit connu à Rome de M. Varron, qui dit que ce sculpteur ingénieux exécutoit en terre des fruits, des raisins & des poissons, dont l’imitation étoit parfaite.

Praxias d’Athènes, disciple de Calamis, fit Latone, Diane, Apollon, les muses, le soleil qui se couche, Bacchus & des thyades, qu’on mit sur le fronton du temple de Delphes.

Praxitele fleurissoit l’an du monde 3640, vers la 104e olympiade. Il sembloit animer le marbre par son art. Tous ses ouvrages étoient d’une si grande beauté, qu’on ne savoit auxquels donner la préférence ; il falloit être lui-même pour juger les différens degrés de perfection. La fameuse Phryné, aussi industrieuse que belle, ayant obtenu de Praxitele la permission de choisir son plus bel ouvrage, se servit d’un stratagème pour le connoître : elle fit annoncer à ce célebre artiste que le feu étoit à son attelier ; alors tout hors de lui-même, il s’écria : je suis perdu si les flammes n’ont point épargné mon satyre, & plus encore mon cupidon. Phryné sachant le secret de Praxitelle, le rassura de cette fausse allarme, & l’engagea dans la suite à lui donner le cupidon. Pouvoit-il lui rien refuser ? Elle plaça ce cupidon à Thespis sa patrie, où long tems après on alloit encore le voir par curiosité. Quand Mummius enleva de Thespis plusieurs statues pour les envoyer à Rome, il respecta celle-ci parce qu’elle étoit consacrée à un dieu. Le cupidon de Verrès, dont parle Cicéron, étoit aussi de Praxitele, mais il étoit différent de celui-ci.

Isabelle d’Est, grand-mere des ducs de Mantoue, possédoit entr’autres raretés la premiere & si fameuse statue de l’amour par Praxitele. Cette princesse avoit aussi dans son cabinet un admirable cupidon endormi fait d’un riche marbre de Spezzia. On fit voir à M. de Foix que la cour de France avoit envoyé en Italie, & au président de Thou qui l’accompagnoit, comme nous le lisons dans ses mémoires, cette statue de l’amour endormi, chef-d’œuvre de Michel-Ange, qu’on ne pouvoit considerer qu’avec des transports d’admiration, & qui leur parut encore fort au-dessus de sa renommée ; mais lorsqu’on leur eut montré l’amour de Praxitele, ils eurent honte en quelque sorte d’avoir tant vanté le premier cupidon, & ils manquerent d’expressions pour louer le second. Ce monument antique, tel que nous le représentent tant d’ingénieuses épigrammes de l’Anthologie que la Grece à l’envi fit autrefois à sa louange, étoit encore

souillé de la terre d’où il avoit été tiré.

On dit que Michel-Ange, par une sincérité digne d’un grand homme qu’il étoit, avoit prié la comtesse Isabelle, après qu’il lui eut fait présent de son cupidon, de ne montrer aux curieux l’antique que le dernier, afin que les connoisseurs pussent juger en les voyant, de combien en ces sortes d’ouvrages les anciens l’emportent sur les modernes.

On conçoit bien que Praxitele enchanté comme il étoit de Phryné, ne manqua pas d’employer le travail de ses mains pour celle qui s’étoit rendue maîtresse de son cœur. C’est aussi ce qui arriva, selon le rapport d’Athénée, liv. III. une des statues de cette fameuse courtisane de la main de Praxitele, fut placée depuis à Delphes même, entre celle d’Archidamus roi de Sparte, & de Philippe roi de Macédoine. Si les richesses & le desir de s’immortaliser par des faits éclatans sont des titres pour trouver place entre les rois, Phryné le méritoit ; car elle s’engageoit à rebâtir Thebes à ses dépens, pourvu que l’on y mît seulement cette inscription : Alexandre a détruit Thebes, et Phryné l’a rétablie.

Les habitans de l’île de Cos avoient demandé une statue de Vénus à Praxitele : il en fit deux, dont il leur donna le choix pour le même prix. L’une étoit nue, l’autre voilée ; mais la premiere surpassoit infiniment l’autre en beauté. Cependant ceux de Cos préfererent la derniere, afin de ne point porter dans leurs temples une image si capable d’allumer des passions : Severum id ac pudicum arbitrantes.

Les Gnidiens furent moins attentifs aux scrupules des bonnes mœurs. Ils acheterent avec joie la Vénus nue, qui fit depuis la gloire de leur ville, où l’on alloit exprès de fort loin pour voir cette statue, qu’on estimoit l’ouvrage le plus achevé de Praxitele. Nicomede roi de Bithynie, en faisoit un tel cas, qu’il offrit aux habitans de Gnide d’acquitter toutes leurs dettes qui étoient fort grandes, s’ils vouloient la lui céder ; mais ils crurent que ce seroit se deshonorer, & même s’appauvrir, que de vendre à quelque prix que ce fût, une statue qu’ils regardoient comme un trésor unique. Pausanias a décrit plusieurs autres statues de ce grand maître. Quintilien & Cicéron, en peignant le caractere distinctif des divers statuaires de la Grece, disent que celui de Praxitele qui le rendoit singulierement recommandable, étoit le beau choix qu’il savoit faire de la nature. Les graces, ajoutent-ils, conduisoient son ciseau, & son génie donnoit la vie à la matiere.

Les Thespiens acheterent 800 mines d’or une statue de Praxitele, qui fut apportée à Rome par Jules-César ; mais le plus considérable de ses ouvrages étoit la statue de Vénus, qui ouvroit à demi les levres, comme une personne qui sourit. La dureté du marbre ne faisoit rien perdre aux traits délicats d’un si beau corps. Il y avoit une marque à la cuisse de la déesse, dont Lucien a donné l’origine dans son dialogue des amours. Un jeune homme de grande naissance devint amoureux de la Vénus de Praxitele : il lui adressoit toutes ses offrandes ; enfin transporté du feu de sa passion, il se cacha la nuit dans le temple ; & le lendemain, dit Lucien, on découvrit cette marque, & l’on n’entendit plus parler du jeune homme.

Il sortit encore un autre amour du ciseau de Praxitele pour la ville de Parium, colonie de la Propontide. Cette figure, dit Pline, est égale en beauté à sa Vénus, & produisit les mêmes effets sur les sœurs d’Alchidas de Rhodes. Varron rapporte qu’on voyoit à Rome, auprès du temple de la félicité, les neuf muses, une desquelles rendit amoureux un chevalier romain, nommé Junius Pisciculus.

Les récits de cette nature se trouvent aussi quelquefois rapportés dans l’histoire de nos artistes modernes, mais ce n’est vraissemblablement que par