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blent, qu’ils combinent toutes leurs forces ; s’ils ont mis un atome en mouvement, ou arrêté un atome mû, c’est qu’il l’aura voulu.

Entre les attributs qui constituent l’essence de Dieu, il faut sur-tout considérer la volonté ; il a voulu de toute éternité que ce qui est fût ; il en a vu le moment, & les existences n’ont ni précédé ce moment, ni suivi ; elles se sont conformé à sa science, à son decret, sans délai, sans précipitation, sans desordre.

Il voit, il entend : rien n’est loin de son oreille, quelque foible qu’il soit ; rien n’est loin de sa vûe, quelque petit qu’il soit. Il n’y a point de distance pour son ouïe, ni de ténebres pour ses yeux. Il est sans organes, cependant il a toutes sensations ; comme il connoît sans cœur, il exécute sans membres, il crée sans instrument ; il n’y a rien d’analogue à lui dans la créature.

Il parle, il ordonne, il défend, il promet, il menace d’une voix éternelle, antique, partie de son essence. Mais son idiome n’a rien de commun avec les langues humaines. Sa voix ne ressemble point à la nôtre : il n’y a ni ondulation d’air, ni collission de corps, ni mouvement de levres, ni lettres, ni caracteres ; c’est la loi, c’est l’alcoran, c’est l’Evangile, c’est le pseautier, c’est son esprit qui est descendu sur ses apôtres, qui ont été les interpretes entre lui & nous.

Tout ce qui existe hors de Dieu est son œuvre, émané de sa justice de la maniere la plus parfaite & la meilleure.

Il est sage dans ses œuvres, juste dans ses decrets, comment pourroit-il être accusé d’injustice ? Ce ne pourroit être que par un autre être qui auroit quelque droit de juger de l’administration des choses, & cet être n’est pas.

D’où l’on voit que les Musulmans n’établissent aucune liaison entre le créateur & la créature ; que tout se rapporte à lui seul ; qu’il est juste, parce qu’il est tout-puissant ; que l’idée de son équité n’a peut-être rien de commun avec la nôtre ; & que nous ne savons précisément par quels principes nous serons jugés à son tribunal bons ou méchans. Qu’est-ce qu’un être passager d’un moment, d’un point, devant un être éternel, immense, infini, tout-puissant ? moins que la fourmi devant nous. Qu’on imagine ce que les hommes seroient pour un de leurs semblables, si l’existence éternelle étoit seulement assûrée à cet être ? Croit-on qu’il eût quelque scrupule d’immoler à sa félicité tout ce qui pourroit s’y opposer ? Croit-on qu’il balançât de dire à celui qui deviendroit sa victime : qu’êtes-vous par rapport à moi ? Dans un moment il ne s’agira plus de vous, vous ne souffrirez plus, vous ne serez plus : moi, je suis, & je serai toujours. Quel rapport de votre bien-être au mien ! Je ne vous dois qu’à proportion de votre durée comparée à la mienne. Il s’agit d’une éternité pour moi, d’un instant pour vous. Je me dois en raison de ce que vous êtes, & de ce que je suis : voilà la base de toute justice. Souffrez donc, mourez, périssez, sans vous plaindre. Or quelle distance encore plus grande d’un Dieu qui auroit accordé l’éternité à sa créature, à cette créature éternelle, que de cette créature éternelle à nous ? Combien ne lui resteroit-il pas d’infirmités qui rapprocheroient sa condition de la nôtre, tandis qu’il n’auroit qu’un seul attribut qui rendroit sa condition comparable à celle de Dieu. Un seul attribut divin, supposé dans un homme, suffit donc pour anéantir entre cet homme & ses pareils toute notion de justice. Rien par rapport à cet homme hypothétique, que sommes nous donc par rapport à Dieu ? Il n’y a que le brachmane qui a craint d’écraser la fourmi qui puisse lui dire ; ô Dieu, pardonne-moi ; si j’ai fait descendre l’idée de ma justice jusqu’à la fourmi, j’ai pu la faire aussi remonter jus-

qu’à toi. Traite-moi comme j’ai traité le plus foible

de mes inférieurs.

Les génies, les hommes, les démons, les anges, le ciel, la terre, les animaux, les plantes, la substance, l’accident, l’intelligible, le sensible, tout a commencé, excepté Dieu. Il a tiré tout du néant, ou de la pure privation : rien n’étoit ; lui seul a toujours été.

Il n’avoit besoin de rien. S’il a créé, ce n’est pas qu’il ne pût se passer des créatures. Il a voulu qu’elles fussent pour que sa volonté se fît, sa puissance se manifestât, la vérité de sa parole s’accomplît. Il ne remplit point un devoir ; il ne céda point à une nécessité ; il ne satisfit point à un sentiment de justice ; il n’étoit obligé à rien envers quelqu’être que ce fût. S’il a fait aux êtres la condition dont ils jouissent, c’est qu’il l’a voulu. Il pourroit accabler l’homme de souffrances, sans qu’il pût en être accusé. S’il en a usé autrement, c’est bienveillance, c’est bonté, c’est grace. O homme, remercie-le donc du bien qu’il t’a départi gratuitement, & soumets-toi sans murmurer à la peine.

S’il récompense un jour ceux qui l’auront aimé & imité, cette récompense ne sera point le prix du mérite, une indemnité, une compensation, une reconnoissance nécessaire. Ce sera l’accomplissement de sa parole, la suite de son pacte qui fut libre. Il pouvoit créer, ne se point obliger, disposer de nous à son gré, & cela sans cesser d’être juste. Qu’y a-t-il de commun entre nous & lui ?

Il faut avouer que les Musulmans ont de hautes idées de la nature de Dieu ; & que Leibnitz avoit raison de dire, que le Christianisme ne s’étoit élevé à rien de plus sublime.

De la doctrine des musulmans sur les anges & sur l’ame de l’homme. Ils disent :

Les anges sont les ministres de Dieu ; ils n’ont point péché ; ils sont proches de leur souverain ; il commande, & ils lui obéissent.

Ce sont des corps subtils, saints, formés de lumieres ; ils ne courent point ; ils ne mangent point ; ils ne dorment point ; ils n’ont point de sexe ; ils n’ont ni pere, ni mere, ni appétit charnel.

Ils ont différentes formes, selon les fonctions auxquelles ils sont destinés. Il y en a qui sont debout ; d’autres sont inclinés ; d’autres assis ; d’autres prosternés ; les uns prient, les autres chantent ; les uns célebrent Dieu par des louanges ; les autres implorent sa miséricorde pour les pêcheurs ; tous l’adorent.

Il faut croire aux anges, quoiqu’on en ignore & les noms & les ordres. Il faut les aimer. La foi l’ordonne. Celui qui les néglige est un infidele.

Celui qui n’y croit pas, qui ne les aime pas, qui ne les revere pas, qui les suppose de différens sexes, est un infidele.

L’ame de l’homme est immortelle. La mort est la dissolution du corps & le sommeil de l’ame. Ce sommeil cessera.

Ce sentiment n’est pas général. Les Al-sharestans & les Al-assharites regardent l’ame comme un accident périssable.

Lorsque l’homme est déposé dans le tombeau, deux anges terribles le visitent ; ils s’appellent Moncar & Nacir. Ils l’interrogent sur sa croyance & sur ses œuvres. S’il répond bien, ils lui permettent de reposer mollement ; s’il répond mal, ils le tourmentent en le frappant à grands coups de masses de fer.

Ce jugement du sépulcre n’est pas dans l’alcoran ; mais c’est un point de tradition pieuse.

La main de l’ange de mort, qui s’appelle Azariel, reçoit l’ame au sortir du corps ; & si elle a été fidele, il la confie à deux anges qui la conduisent au ciel, où son mérite désigne sa place, ou entre les prophetes, ou entre les martyrs, ou parmi le commun des fideles.

Les ames au sortir du corps descendent dans l’albazach. C’est un lieu placé entre ce monde & le monde futur, où elles attendent la résurrection.