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des especes d’horloge solaire. Il est aussi un des premiers qui ont soutenu que la terre tourne sur son centre, & qu’elle décrit tous les ans un cercle autour du soleil. Il fut à ce sujet accusé juridiquement d’impiété par Cléanthe, disciple & successeur de Zénon, pour avoit violé le respect dû à Vesta, & pour avoir troublé son repos ; c’est-à-dire, comme l’explique Plutarque, pour avoir ôté la terre du centre de l’univers, & pour l’avoir fait tourner autour du soleil.

Le zele de Cléanthe auroit dû être suspect à ceux qui connoissoient le fond du système stoïcien : car ce système ramenoit tout à une fatalité, & à une espece d’hylozoïsme ou de matérialisme, peu différent du dogme de Spinosa.

Au reste, l’accusation d’Aristarque doit moins nous étonner, que le traitement fait dans le dernier siecle au célebre Galilée : cet homme respectable, auquel l’astronomie, la physique, & la géométrie ont tant d’obligation, se vit contraint d’assurer publiquement comme une hérésie, l’opinion du mouvement de la terre : on le condamna même à la prison pour un tems illimité ; & ce fait est un de ceux qui nous montrent qu’en vieillissant, le monde ne devient pas plus sage.

L’attachement des Athéniens au dogme de l’immobilité de la terre, étoit une suite de l’idée qu’ils s’étoient formée de l’univers, dans le tems qu’ils étoient encore à demi barbares : incapables de concevoir que la terre pût se soutenir à la même place sans un point d’appui, ils se l’étoient représentée comme une montagne, dont le pié où les racines s’étendent à l’infini, dans l’immensité de l’espace. Le sommet de cette montagne arrondi en forme de borne, étoit le lieu de la demeure des hommes : les astres faisoient leur évolution au-dessus, & autour de ce sommet : il étoit nuit, lorsque la partie la plus élevée nous cachoit le soleil. Xénophane, Anaximene, & quelques autres philosophes, qui feignoient d’être scrupuleusement attachés à l’opinion populaire, avoient grand soin de faire observer que dans leur système, les astres tournoient autour, mais non au-dessous de la terre.

Il ne nous reste des ouvrages d’Aristarque, que le traité de la grandeur & de la distance du soleil & de la lune, traduit en latin & commenté par Frideric Commandin ; il parut avec les explications de Pappus, l’an 1572. M. Wallis le publia en grec, avec la version de Commandin, l’an 1688, & il l’a inséré au III. tome de œuvres mathématiques, imprimée à Oxford l’an 1699. Au reste il ne faut pas confondre le philosophe Aristarque natif de Samos, avec Aristarque grammairien qui naquit dans l’île de Samothrace, & dont nous parlerons sous ce mot.

Chærile, poëte de Samos, étoit contemporain de Panyasis & d’Hérodote, avec lequel il fut en étroite liaison ; il écrivit en vers la victoire des Grecs sur Xerxès. Son poëme plut si fort aux Athéniens, qu’ils donnerent au poëte un statere d’or pour chaque vers, (douze livres de notre monnoie), & qu’ils ordonnerent de plus que cet ouvrage seroit chanté publiquement, ainsi que l’on chantoit les poëmes d’Homere : il mourut chez Archélaüs, roi de Macédoine. Il ne faut pas confondre le Chaerile de Samos, avec le Chærile Athénien, qui florissoit vers la 64e olympiade, & à qui quelques-uns attribuent l’invention des masques, & des habits de théâtre. L’histoire parle encore d’un troisiéme Chærile, assez mauvais poëte, qui suivit Alexandre en Asie, & qui chanta ses conquêtes ; ce prince avoit coutume de dire qu’il aimeroit mieux être le Thersite d’Homere, que l’Achille de Chaerilus.

Cependant au milieu des palmes les plus belles
Le vainqueur généreux de Granique & d’Arbelles,
Cultivant les talens, honorant le savoir ;

Et de Choerile même excusant la manie,
Au défaut du génie,
Récompensoit en lui le desir d’en avoir.

Le premier des anciens sages qui ait pris le nom de philosophe, est le célebre Pythagoras, fils de Mnésarque. Il se rendit tellement illustre par sa science & par sa vertu, que plusieurs pays se sont attribués l’honneur de son lieu natal. Mais la plus commune opinion lui donne pour patrie l’île de Samos. Il est encore plus difficile de concilier ensemble les savans sur l’époque de sa naissance, & la durée de sa vie ; & la multiplicité des sentimens est trop grande, & leur opposition est trop marquée.

Il florissoit du tems du roi Numa, à suivre une ancienne tradition adoptée par quelques écrivains postérieurs, & rejettée par la plûpart des autres : tradition qui sembloit pourtant avoir pour elle, & des témoignages d’auteurs de la premiere antiquité, & des monumens découverts sous le janicule, dans le tombeau même de Numa. Pythagore, au contraire ne vint en Italie que sous le regne de Servius Tullius, selon Tite-Live ; ou sous le regne de Tarquin le superbe, au rapport de Ciceron ; ou même après l’expulsion des rois & sous les premiers consuls, si l’on en croit Solin.

Pline a placé le tems de ce philosophe vers la xlij. olympiade, Denis d’Halicarnasse après la l. la chronique paschale d’Alexandrie à la ljv. Diogène de Laërce à la lx. Diodore de Sicile à la lxj. Tatien, Clément d’Alexandrie & quelques autres à la lxij. Il seroit inutile de grossir d’avantage la liste des contrariétés des anciens auteurs sur ce point de chronologie : contrariétés qui se trouvent encore augmentées plutôt qu’éclaircies par quatre vies que nous avons de Pythagore, écrites dans la basse antiquité ; l’une par Diogene Laërce ; l’autre par Porphyre ; la troisieme par Jamblique ; & la quatrieme par un anonyme, dont Photius nous a laissé l’extrait dans sa bibliotheque.

On a pourtant vu dans ces derniers tems quelques doctes anglois, Stanley, Dodwel, Sloyd & Bentley, entreprendre de déterminer les années précises du philosophe Pythagore. Ils ont marqué l’année d’avant l’ere chrétienne qu’ils ont cru répondre à sa naissance ; Stanley l’an 566, Dodwel l’an 569, Sloyd l’an 586, & Bentley l’an 605. De ces quatre opinions, la derniere est celle qui fait remonter le plus haut l’âge de Pythagore, & il y a des chronologistes qui lui donnent une antiquité encore plus grande.

Selon M. Freret, la naissance de Pythagore n’a pas pu précéder l’an 600, quoiqu’elle puisse avoir été moins ancienne. C’est entre les années 573 & 532 que Cicéron, Diodore de Sicile, Denis d’Halicarnasse, Tite-Live, Aulugelle, Clément Alexandrin, Diogene Laërce, Porphyre, Jamblique, &c. placent le tems auquel Pythagore a fleuri, celui de ses voyages dans l’Orient & dans l’Egypte, & celui de sa retraite en Italie. On prétend qu’il mourut à Métaponte, du-moins Cicéron n’eut point de soin plus pressant que d’y visiter le lieu où l’on croyoit de son tems que ce philosophe avoit fini sa vie.

On lui attribue plusieurs belles découvertes en Astronomie, en Géométrie, & dans les autres parties des Mathématiques. Plutarque lui donne l’honneur d’avoir observé le premier l’obliquité du zodiaque, honneur que d’autres prétendent devoir être dû à Anaximandre. Selon Pline, Pythagore de Samos est le premier qui s’apperçut que la planete de Vénus est la même que l’étoile du matin, appellée Lucifer, & que l’étoile du soir nommée Hesperus ou Vesper. On prétend aussi qu’il a trouvé la propriété du triangle en général & celle du triangle rectangle. Que ces deux découvertes lui soient dûes ou non,