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la transvase dans un vaisseau appellé rapuroir, on l’y laisse une demi-heure pour qu’elle y dépose ses impuretés. Du rapuroir, & avant qu’elle soit refroidie, on la verse dans des bassins où le salpêtre se forme en crystaux dès qu’il est froid. On met égoutter les bassins le cinquieme jour, & l’eau qui en sort appellée eau-mere, est portée avec les écumes sur les terres destinées à être lessivées, qu’elles bonifient ; ce salpêtre est appellé de la premiere cuite.

Cette cuite produit toujours une certaine quantité de sel commun, qui se forme au fond de la chaudiere, & que l’on en retire avec une écumoire avant de mettre la cuite dans le rapuroir.

Il est à remarquer que le sel commun lorsqu’il se trouve en grande quantité, comme dans la premiere cuite, se forme toujours avant le salpêtre ; & que lorsqu’il se trouve en petite quantité, comme dans la deuxieme & dans la troisieme cuite, c’est le salpêtre qui se forme le premier, & le sel commun reste dissous dans l’eau mere de ces cuites ; ou alors il se formeroit le premier si on cuisoit cette eau mere, attendu qu’il y seroit en grande quantité, à proportion de l’eau & du salpêtre. S’il arrivoit que le sel commun se formât constamment le premier, il y auroit à dire qu’il faut une plus grande quantité d’eau pour le tenir en dissolution, que pour y tenir le salpêtre, par la raison que le sel commun ne se dissout pas en plus grande quantité dans l’eau bouillante que dans l’eau froide, tandis que l’eau froide rassasiée de salpêtre, peut en dissoudre deux fois plus en la faisant chauffer. Mais pourquoi cette cause ayant son effet en grand, ne l’a-t-elle pas en petit ? Seroit-ce que la petite quantité de sel commun étant répandue dans une grande quantité de salpètre, les parties de sel s’y trouvent trop éloignées & trop embarrassées dans celles du salpêtre pour se réunir & se crystalliser ?

On purifie le salpêtre en le faisant fondre dans de l’eau & le faisant bouillir jusqu’à ce qu’il se forme une pellicule dessus ; un peu d’alun que l’on y jette pendant qu’il bout, tant à la premiere cuite qu’aux deux autres, y forme beaucoup d’écume que l’on ôte : c’est le meilleur procédé pour le dégraisser & le purifier. On y emploie aussi la colle-forte, mais avec moins d’effet. La pellicule étant formée, on le verse dans des bassins où il se crystallise presqu’aussitôt : on le met égoutter le troisieme jour, & l’eau qui en sort est jettée sur les terres.

La troisieme cuite, ou seconde purification, se fait de même.

Avant que de décharger les cuviers pour y mettre de nouvelle terre, on y repasse de l’eau pure pour achever d’en enlever le salpêtre, & cette eau qu’on appelle le lavage, est employée pour le lessivage suivant qu’elle fortifie.

Les terres salpétreuses donnent communément un gros de salpêtre par livre de terre, & les meilleures un gros & demi.

Les vaisseaux dans lesquels on forme & on purifie le salpêtre, doivent être plutôt profonds que larges ; il s’en dissipe beaucoup en bouillant, & l’on a remarqué que ce déchet se fait en raison de la surface de l’eau.

En raffinant le salpêtre on se propose d’en avoir un des plus purs, ou qui ait le moins qu’il est possible de substances étrangeres.

Le salpêtre brut, ou de la premiere cuite, tel qu’il sort des plâtres, contient quatre substances différentes, du salpêtre, du sel marin, une eau mere & une matiere grasse.

De ces trois sels il n’y a que le salpêtre qui soit inflammable, & conséquemment il est aussi le seul qui soit propre à faire la poudre à canon.

Le sel, ou sel marin, n’étant point susceptible d’inflammation, ne peut contribuer à celle de la poudre ;

au contraire il lui est très-préjudiciable, non seulement parce qu’il diminue la quantité du salpêtre dans la poudre, mais sur-tout parce qu’il attire l’humidité de l’air, & rend par-là la poudre humide & lui fait perdre son activité.

L’eau mere est une liqueur qui reste à la fin de tous les différens travaux de l’affinage du salpêtre, & qui ne se congele, ou ne se crystallise point, comme font le salpêtre & le sel. Cette eau contient en solution un vrai sel moyen, tels que sont le salpêtre & le sel. Ce sel de l’eau mere est formé par l’union des esprits ou acides du salpêtre, & du sel unis à une terre calcaire, ou telle que la craie. Elle peut être desséchée par des ébullitions suivies ; mais aussitôt qu’elle est exposée au contact de l’air, elle en attire l’humidité, & se résout entierement. La poudre fabriquée avec un salpêtre qui contient de cette eau mere, devient humide très-facilement, ce qui est un défaut essentiel.

La matiere grasse qui se trouve avec le salpêtre, quoique combustible, ne peut contribuer à l’inflammation du salpêtre : les huiles ou graisses ne l’enflamment point ; il faut pour y parvenir que les charbons des végétaux soient parfaitement brûlés & privés d’huile. Cette matiere grasse restant unie au salpêtre, l’empêche de s’égoutter & de se sécher, & le rend propre à reprendre de l’humidité.

Si le salpêtre brut ou d’une premiere cuite, à la quantité de 3600 livres, est dissous dans de l’eau, cuit & clarifié par la colle, & mis en crystallisation ou congelation, le salpêtre qu’on obtiendra par cet affinage s’appellera salpêtre de deux cuites.

Ce salpêtre d’une deuxieme cuite, dissous de nouveau dans de l’eau, cuit, & clarifié à la colle, & mis à crystalliser, donnera un nouveau salpêtre qu’on appellera salpêtre de la troisieme cuite : tel que les ordonnances le demandent pour la fabrication de la poudre à canon ; ce salpêtre fera à la quantité de 1988 livres, & l’on employera six heures ou environ à faire ces deux cuites.

Si les liqueurs restantes de ces différens travaux, & que les ouvriers appellent eaux, sont mises ensemble à cuire, clarifiées à la colle, & après avoir été congelées, si elles sont égouttées, elles donneront un salpêtre, brut ou de la premiere cuite. Ce salpêtre de nouveau raffiné en donnera d’une seconde cuite. Enfin ce nitre de deux cuites pareillement affiné, fournira 392 livres d’un salpêtre de trois cuites.

A chaque cuite de ce deuxieme affinage, on aura en même tems que le salpêtre, 427 livres de sel qui se crystallisera au fond des chaudieres. Les eaux étant bouillantes, le sel marin a la propriété de se congeler au fond des vaisseaux qui servent à l’évaporation ou cuite ; au lieu que le salpêtre pour se congeler demande le refroidissement : l’art a donc profité des différentes propriétés de ces sels pour les partager.

Les eaux qui proviennent du dernier affinage donneront par la cuite, la clarification & la congelation un nitre brut, qui raffiné encore deux fois, de même que dans les deux raffinages précédens, rendra un salpêtre de trois cuites, pesant 81 livres.

Si l’on cuit & congele encore toutes les eaux restantes des derniers affinages, elles donneront un pain de salpêtre brut de 67 livres. On pourroit poursuivre le raffinage de ce salpêtre jusqu’à zero.

La quantité de sel provenu de ces derniers affinages sera de 177 livres ; & les écumes seront du poids de 171 livres.

La premiere observation que nous ayons à faire sur la fabrication du salpêtre par ces moyens, c’est qu’il sera bien préparé & fabriqué, les congelations en seront parfaites, les crystaux bien formés & très gros, & donneront par conséquent des pains durs & solides, ce qui fera qu’ils s’égoutteront parfaitement, & ne conserveront presque rien des eaux. Ce salpêtre