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par imitation & identité d’idées, le monde presqu’entier s’est vu & se voit encore sabien. Ce qu’on ne peut pas nier, c’est que pour les régions orientales, le Magisme paroît avoir été resserré dans la Perse & dans quelques contrées voisines, & que le Sabiisme paroît avoir été reçu également dans la Chaldée, dans l’Egypte, dans la Phénicie, dans la Bactriane & dans l’Inde ; car s’il étoit clair que les opinions de la religion égyptienne étoient passées & y subsistent encore aujourd’hui, il est évident aussi qu’il s’y étoit mêlé du sabiisme, ce que prouvent assez & Batroncheri & la plûpart des romans indiens.

Ajoutons un mot de la durée du Sabiisme. Qui croiroit que pendant que tant d’autres hérésies, même depuis le Christianisme, se sont éteintes & presque évanouies à nos yeux ; qui s’imagineroit, dis-je, que celle-ci la premiere de toutes, connue avant Abraham, est demeurée jusqu’à nos jours entre le Judaisme, le Christianisme & le Musulmanisme ? Nous avons une Homélie de S. Gregoire de Nazianze contre les Sabiens, ainsi de son tems il y en avoit dans la Cappadoce. L’alcoran, tous les historiens, tous les auteurs persans en parlent comme d’une religion subsistante chez eux, & cela n’est pas étonnant, puisque Charan & Bassora sont si proches de l’Arabie & de la Perse.

Une circonstance curieuse, ce seroit de savoir pourquoi & depuis quel siecle les Sabiens s’appellent mendaï Jahia, les disciples ou les chrétiens de S. Jean. Il n’est pas facile de déterminer ; mais il semble que l’histoire arabe nous en donne une époque assez vraissemblable du tems d’Almamon. Ce prince passant par Charan, & sans doute en ayant entendu parler comme d’une ville de Sabiens, en fit assembler les principaux habitans ; il voulut savoir quelle étoit véritablement la religion qu’ils professoient. Les Charaniens chagrins d’une telle demande, & ne sachant où elle tendoit, ne se dirent ni juifs, ni chrétiens, ni mahométans, ni sabiens, mais charaniens, comme si c’eût été un nom de religion. Cette réponse assez fondée d’ailleurs, mais que le prince musulman prit ou pour une impiété, ou pour une dérision, leur pensa couter la vie. Almamon en colere leur déclara qu’ils pouvoient opter entre les quatre religions permises par le prophete, sans quoi à son retour leur ville seroit passée au fil de l’épée. Là-dessus un vieillard leur conseilla en reprenant leur ancien nom de religion de se dire sabiens. Cela étoit fort sensé ; mais apparemment qu’alors entre les Charaniens & leurs freres les véritables Sabiens il y avoit des divisions & des haines. Plusieurs d’entr’eux aimerent mieux se faire chrétiens ou musulmans : mais ce qui sera arrivé, c’est qu’avec les Musulmans ils se seront dits chrétiens, & qu’avec les Chrétiens ils auront affecté de se faire nommer chrétiens de S. Jean, ou chrétiens mendaï Jahia, disciples de S. Jean.

Il est vrai que du tems de l’Evangile S. Jean a eu des disciples, & que nous n’avons aucune preuve, malgré la prédication du précurseur, qu’ils ayent tous embrassé le Christianisme. Il est vrai encore que les Sabiens d’aujourd’hui font par-tout, & dans leurs liturgies, & dans leurs livres, une commémoration honorable de S. Jean ; de sorte que le nom de chrétiens de S. Jean ou de disciples de Jean pourroit avoir une époque plus ancienne, & être des premiers tems du Christianisme : on a même quelques livres de missionnaires qui les ont prêchés, où l’on voit les articles de leur créance, & il y est parlé du baptême. Mais une secte ne se connoît jamais à fond que par la lecture de ses propres livres, & comme nous en avons à la bibliotheque du roi trois manuscrits assez considérables, ces livres examinés en détail pourront mettre en état d’en parler avec plus de certitude. Extrait des Mémoires de l’acad. des Inscr. t. XII. (D. J.)

SABINA SYLVA, (Géog. anc.) forêt d’Italie dans la Sabine. Martial, l. IX. épigr. 55. dit,

Si mihi Picenâ Turdus palleret olivâ
Tenderet aut nostras sylva Sabina plagas.

Nous ne voyons pas dans ce passage que Sabina soit une forêt particuliere ainsi nommée : il y avoit sans doute des bois dans la Sabine, & on y chassoit ; mais voici un passage plus particulier. Horace, l. I. ode 22. dit qu’étant occupé de ses amours, il s’enfonça trop avant dans cette forêt, où il trouva un loup qui pourtant s’ensuit de lui, quoiqu’il n’eût point d’armes pour se défendre, s’il en eût été attaqué.

Namque me sylvâ lupus in Sabinâ
Dum meam canto Lalagen & ultrà
Terminum curis vagor expeditus
Fugit inermem.

Cette forêt ne devoit pas être fort éloignée de la maison de campagne qu’il désigne par ces mois vallis Sabina, puisqu’il alloit s’y promener seul & à pié. (D. J.)

SABINAE aquae, (Géog. anc.) petit lac, ou plutôt étang dans le pays des Sabins, selon Pline & Denys. Strabon l’appelle aquæ Costicoliæ ; c’est maintenant, selon Cluvier, le Pozzo Ratignano, proche du bourg de Cotila. (D. J.)

SABINE, ou SAVIGNER, (Botan.) sabina, arbrisseau toujours verd, qui vient naturellement dans l’Italie, le Portugal & l’Arménie, dans la Sybérie & dans le Canada. Il peut, avec l’aide de la culture, s’élever à dix piés ; mais ses branches étant fort chargées de rameaux qui se dirigent d’un seul côté, elles ont tant de disposition à s’incliner & à ramper près de terre, que si l’arbrisseau est livré à lui-même, il prend à peine quatre ou cinq piés de hauteur. Ses feuilles ressemblent à celles du tamarin ou du cyprès, mais elles sont si petites, & si peu distinctes, qu’on doit plutôt les regarder comme un fanage mousseux qui enveloppe les jeunes rameaux. Ses fleurs mâles sont de très-petits chatons côniques & écailleux de peu d’apparence. Ses fruits qui viennent séparément, sont des especes de baies bleuâtres, de la grosseur d’un pois, qui contiennent trois semences osseuses ; elles sont convexes d’un côté & applaties sur les faces qui se touchent.

Cet arbrisseau est absolument des plus robustes ; il vient dans les pays chauds comme dans les climats très-froids ; il résiste aux plus cruels hivers & à toutes les autres intempéries des saisons ; il s’accommode de tous les terreins, ne craignant ni l’humidité, ni la sécheresse ; il vient sur les lieux pierreux & très exposés au vent : mais il se plait davantage dans les terres grasses, & il aime mieux l’ombre que le grand soleil. Il se multiplie très-aisément de branches couchées, & tout aussi-bien de bouture. On ne s’avise guere d’en semer la graine, ce seroit la méthode la plus longue & la plus incertaine. Il reprend, à la transplantation, plus facilement qu’aucun autre arbre toujours verd, pourvu qu’on observe les tems propres à planter ces sortes d’arbres ; savoir le mois d’Avril & le commencement des mois de Juillet ou de Septembre.

La sabine seroit extrèmement propre à former de moyennes palissades toujours vertes, de petites haies très-régulieres ; à garnir les massifs des bosquets pour donner de la verdure dans la saison des frimats, & à l’embellissement de diverses parties des jardins, parce que le verd en est agréable & uniforme, & que d’ailleurs cet arbrisseau a la facilité de venir dans les lieux serrés & à l’ombre des autres arbres : mais il répand une odeur si forte & si désagréable, qu’on est forcé de le réleguer dans les endroits éloignés & peu fréquentés. Le bois de la sabine est très-dur, & il n’est