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C’est un mari, c’est un pere qui parle de ce qu’il a vu, de ce qu’il a fait : on l’aime, on le respecte, & pourquoi ne le croiroit-on pas ? Ce pastre le répete donc en différens jours. L’imagination de la mere & des enfans en reçoit peu-à-peu des traces plus profondes ; ils s’y accoutument ; & enfin la curiosité les prend d’y aller. Ils se frottent, ils se couchent, leur imagination s’échauffe encore de cette disposition de leur cœur, & les traces que le pastre avoit formées dans leur cerveau, s’ouvrent assez pour leur faire juger dans le sommeil, comme presentes toutes les choses dont il leur avoit fait la description. Ils se levent, ils s’entre-demandent, & ils s’entredisent ce qu’ils ont vu. Ils se fortifient de cette sorte les traces de leur vision ; & celui qui a l’imagination la plus forte, persuadant mieux les autres, ne manque pas de régler en peu de nuits, l’histoire imaginaire du sabbat. Voilà donc des sorciers achevés que le pastre a faits, & ils en feront un jour beaucoup d’autres, si ayant l’imagination forte & vive, la crainte ne les retient pas de faire de pareilles histoires.

» Il se trouve, ajoute-t-il, plusieurs fois des sorciers de bonne foi qui disoient généralement à tout le monde qu’ils alloient au sabbat, & qui en étoient si persuadés, que quoique plusieurs personnes les veillassent, & les assurassent qu’ils n’étoient point sortis du lit, ils ne pouvoient se rendre à leur témoignage. » Recherch. de la vérité, tom. I. liv. II. chap. vj.

Cette derniere observation suffit seule pour renverser toutes les raisons que Delrio a accumulées pour prouver la réalité du transport corporel des sorciers au sabbat, à moins qu’on ne dise avec Bodin, que ce sont leurs ames seules qui y assistent, que le démon a le privilege de les tirer de leur corps pour cet effet pendant le sommeil, & de les y renvoyer après le sabbat : idée ridicule, & dont Delrio lui-même a senti toute l’absurdité.

C’est sans doute par cette considération que l’assistance au sabbat ne gît que dans l’imagination, que le parlement de Paris renvoie tous les sorciers, qui n’étant point convaincus d’avoir donné du poison, ne se trouvent coupables que de l’imagination d’aller au sabbat. Le jurisconsulte Duaren approuve cette coutume. De aniculis, dit-il, quæ volitare per aera, & nocturno tempore saltitare & choreas agere dicuntur, quæritur ? Et solent plærique quæstores, in eas acerbius animadvertere quam jus & ratio postulet, cùm synodus ancyrana definiverit quædam esse quæ à cacodæmone multarum mulierum mentibus irrogantur : itaque curia parisiensis (si nihil aliud admiserint) eas absolvere ac dimittere merito consuevit. Ayrault & Alsiat sont du même sentiment. Ce dernier se fonde sur ce qu’il est faux que les sorcieres aillent en personne au sabbat. Mais cette raison est bien foible ; car c’est un assez grand crime que de vouloir y aller, & que de s’y préparer par des onguens qu’elles croient nécessaires à cette horrible expédition. Ce qui fait penser au p. Malebranche qu’elles sont punissables. François Hotman consulté sur cette question, répondit qu’elle méritoit la mort. Thomas Erastus a soutenu la même chose, & c’est le sentiment le plus ordinaire des jurisconsultes & des casuistes, soit catholiques, soit protestans. Bayle. Répons. aux quest. d’un provincial, chap. xxxix. pag. 577 de l’édit. de 1737. in-fol.

SABBATAIRES, s. m. (Hist. mod.) c’est ainsi que quelques anciens ont nommé les juifs, de leur scrupuleuse observance du sabbat.

Sabbataires, s. m. (Gram. Hist. eccles.) hérétiques protestans qui font le sabbat avec les juifs, blâment les guerres, les lois politiques, les jugemens, & prétendent qu’il ne faut adresser sa priere qu’à Dieu le Pere, & qu’il faut négliger le Fils & le S. Esprit.

SABBATARIENS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que quelques auteurs ont donné à une secte d’anabaptistes, qui s’eleverent dans le xvj. siecle, & qui observoient le sabbat des juifs, prétendant qu’il n’avoit jamais été aboli dans le nouveau Testament, par aucune loi positive. Voyez Sabbat & Anabaptistes.

SABBATIENS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques du jv. siecle, ainsi nommés de Sabbathius leur chef, qui ayant d’abord été juif, puis élevé à la prêtrise par Marcien, l’un des évêques des Novations, tâcha d’introduire parmi ceux-ci les cérémonies judaïques, en leur persuadant qu’on devoit célébrer la pâque le quatorzieme jour de la lune de Mars. Il forma même un schisme ; mais les Novatiens qui regardoient sa prétention comme une chose indifférente, conclurent que pour cela il ne falloit pas se diviser. Les sectateurs de Sabbathius furent peu nombreux ; ils affectoient une singularité remarquable, sans qu’on sache sur quel fondement ; c’étoit d’avoir tellement en horreur l’usage de la main droite, qu’ils se faisoient un point de religion de ne rien recevoir de cette main ; ce qui leur fit donner le nom d’Ἀριστεροὶ, sinistri, gauchers.

SABBATINE, s. f. (Gram.) terme d’école, petite thèse que les écoliers soutiennent les samedis, pour s’exercer à la grande thèse de la fin de l’année.

SABBATIQUE, le fleuve : Sabbaticus fluvius, (Géog. anc.) riviere que quelques auteurs mettent dans la Palestine, & dont d’autres écrivains nient l’existence ; le P. Calmet a traité au long ce sujet.

Josephe, l. VII. c. xiij. parle ainsi de cette riviere. Ce prince, dit il, (Titus) rencontra en son chemin une riviere qui mérite bien que nous en parlions ; elle passe entre les villes d’Arcé & de Raphanée, qui sont du royaume d’Agrippa, & elle a quelque chose de merveilleux, car après avoir coulé six jours en grande abondance, & d’un cours assez rapide ; elle se seche tout d’un coup, & recommence le lendemain à couler durant six autres jours comme auparavant, & à se sécher le septieme jour, sans jamais changer cet ordre, ce qui lui a fait donner le nom de Sabbatique, parce qu’il semble qu’elle fête le septieme jour, comme les juifs fêtent celui du sabbat. Telle est la traduction de ce fameux passage de Josephe, par M. Arnaud d’Andilli, homme très-versé dans la langue grecque, & aidé dans ce travail par de très-habiles gens de sa famille.

D. Calmet, sur ce même passage, nous donne de cette riviere une idée bien différente. Selon lui, Josephe dit que Titus allant en Syrie, vit entre la ville d’Arces, qui étoit du royaume d’Agrippa, & la ville de Raphanée en Syrie, le fleuve nommé Sabbatique, qui tombe du Liban dans la mer Méditerranée. Ce fleuve, ajoute-t-il, ne coule que le jour du sabbat, ou plutôt au bout de sept jours ; tout le reste du tems son lit demeure à sec ; mais le septieme jour il coule avec abondance dans la mer. Delà vient que les habitans du pays lui ont donné le nom de fleuve Sabbatique.

Pline a voulu apparemment parler du même fleuve, lorsqu’il dit, l. XXXI. c. ij. qu’il y a un ruisseau dans la Judée, qui demeure à sec pendant tous les septiemes jours ; in Judæa rivus omnibus sabbathis siccatur, Voilà certainement Pline d’accord avec la traduction de M. d’Andilli ; cependant D. Calmet a raison, le texte grec de Josephe, porte que ce fleuve ne coule que le samedi ; & comme les savans ont vu que Pline, & la notion que l’on doit avoir du repos du sabbat, conduisent naturellement à dire que ce fleuve couloit six jours, & cessoit le septieme jour ; ils ont tâché de concilier cette idée avec les paroles de Josephe, en les transposant, & lui ayant fait dire le contraire de ce qu’on y lisoit ; & c’est sur