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entrez dans le gouvernement de Véronise, qui s’étend jusqu’au bord des palus Méotides.

Vous trouvez ensuite le gouvernement de Nischgorod fertile en grains, & traversé par le Volga.

De cette province, vous entrez au midi dans le royaume ou gouvernement d’Astracan. Ce royaume qui commence au quarante-troisieme degré & demi de latitude, & finit vers le cinquantieme, est une partie de l’ancien Capshak, conquis par Gengiskan, & ensuite par Tamerlan ; ces tartares dominerent jusqu’à Moscou. Le czar Jean Basilides, petit-fils d’Ivan Basiliovitz, & le plus grand conquérant d’entre les Russes, délivra son pays du joug tartare, au seisieme siecle, & ajouta le royaume d’Astracan à ses autres conquêtes en 1554.

Au-delà du Volga & du Jaïk, vers le septentrion, est le royaume de Casan, qui, comme Astracan, tomba dans le partage d’un fils de Gengis-kan, & ensuite d’un fils de Tamerlan, conquis de même par Jean Basilide ; il est encore peuplé de beaucoup de tartares mahométans. Cette grande contrée s’étend jusqu’à la Sibérie ; il est constant qu’elle a été florissante & riche autrefois ; elle a conservé encore quelque reste d’opulence. Une province de ce royaume appellée la grande Permie, ensuite le Solikam, étoit l’entrepôt des marchandises de la Perse, & des fourrures de Tartarie.

Des frontieres des provinces d’Arcangel, de Resan, d’Astracan, s’étend à l’orient la Sibérie, avec les terres ultérieures jusqu’à la mer du Japon. Là sont les Samoyedes, la contrée des Ostiaks le long du fleuve Oby, les Burates, peuples qu’on n’a pas encore rendus chrétiens.

Enfin la derniere province est le Kamshatka, le pays le plus oriental du continent. Les habitans étoient absolument sans religion quand on l’a découvert. Le nord de cette contrée fournit aussi de belles fourrures ; les habitans s’en revêtoient l’hiver, & marchoient nuds l’été.

Voila les seize gouvernemens de la Russie, celui de Livonie, de Revel ou d’Estonie, d’Ingrie, de Vibourg, d’Arcangel, de Laponie russe, de Moscovie, de Smolensko, de Novogorod, de Kiovie, de Belgorod, de Véronise, de Nitschgorod, d’Astracan, de Casan & de Sibérie.

Ces gouvernemens composent en général la domination de la Russie, depuis la Finlande à la mer du Japon. Toutes les grandes parties de cet empire ont été unies en divers tems, comme dans tous les autres royaumes du monde ; des Scythes, des Huns, des Massagetes, des Slavons, des Cimbres, des Getes, des Sarmates, sont aujourd’hui les sujets des czars ; les Russes proprement dits, sont les anciens Roxelans ou Slavons.

La population du vaste empire de Russie est, comme je l’ai dit, la moindre qu’il y ait dans le monde, à proportion de son étendue. Par un dénombrement de la capitation qui a été faite en 1747, il s’est trouvé six millions six cens quarante mille mâles ; & comme dans ce dénombrement les filles & les femmes n’y sont pas comprises, non plus que les ecclésiastiques, qui sont au nombre de deux cens mille ames, & l’état militaire qui monte à trois cens mille hommes, M. de Voltaire juge que le total des habitans de la Russie doit aller à vingt-quatre millions d’habitans ; mais il faut se défier de tous les dénombremens d’un pays que demandent par besoin les souverains, parce que pour leur plaire, on a grand soin de multiplier, d’exagérer, de doubler le nombre de leurs sujets.

Il est très-vraissemblable que la Russie n’a pas douze millions d’habitans, & qu’elle a été plus peuplée qu’aujourd’hui, dans le tems que la petite-vérole venue du fond de l’Arabie, & l’autre venue d’Amérique, n’avoient pas encore fait de ravages dans ces

climats où elles se sont enracinées. Ces deux fléaux, par qui le monde est plus dépeuplé que par la guerre, sont dûs, l’un à Mahomet, l’autre à Christophe Colomb. La peste, originaire d’Afrique, approchoit rarement des contrées du septentrion. Enfin les peuples du nord, depuis les Sarmates jusqu’aux Tartares, qui sont au-delà de la grande muraille, ayant inondé le monde de leurs irruptions, cette ancienne pépiniere d’hommes doit avoir étrangement diminué.

Dans cette vaste étendue de pays que renferme la Russie, on compte environ 7400 moines, & 5600 religieuses, malgré le soin que prit Pierre le grand de le réduire à un plus petit nombre ; soin digne d’un législateur dans un empire où ce qui manque principalement c’est l’espece humaine. Ces treize mille personnes cloitrées & perdues pour l’état, ont soixante-douze mille serfs pour cultiver leurs terres, & c’est évidemment beaucoup trop ; rien ne fait mieux voir combien les anciens abus sont difficiles à déraciner.

Avant le czar Pierre, les usages, les vêtemens, les mœurs en Russie, avoient toujours plus tenu de l’Asie que de l’Europe chrétienne ; telle étoit l’ancienne coutume de recevoir les tributs des peuples en denrées, de défrayer les ambassadeurs dans leurs routes & dans leur séjour, & celle de ne se présenter ni dans l’église, ni devant le trône avec une épée, coutume orientale opposée à notre usage ridicule & barbare, d’aller parler à Dieu, au roi, à ses amis & aux femmes avec une longue arme offensive qui descend au bas des jambes. L’habit long dans les jours de cérémonie, étoit bien plus noble que le vêtement court des nations occidentales de l’Europe. Une tunique doublée de pelisse, avec une longue simarre enrichie de pierreries dans les jours solemnels, & ces especes de hauts turbans qui élevoient la taille, étoient plus imposans aux yeux, que les perruques & le juste-au-corps, & plus convenables aux climats froids. Cet ancien vêtement de tous les peuples paroît seulement moins fait pour la guerre, & moins commode pour les travaux ; mais presque tous les autres usages étoient grossiers.

Le gouvernement ressembloit à celui des Turcs par la milice des strelits, qui, comme celle des janissaires, disposa quelquefois du trône, & troubla l’état presque toujours autant qu’il le soutint. Ces strelits étoient au nombre de quarante mille hommes. Ceux qui étoient dispersés dans les provinces, subsistoient de brigandages ; ceux de Moskou vivoient en bourgeois, trafiquoient, ne servoient point, & poussoient à l’excès l’insolence. Pour établir l’ordre en Russie, il falloit les casser, rien n’étoit ni plus nécessaire, ni plus dangereux.

Quant au titre de czar, il se peut qu’il vienne des tzars ou thcars, du royaume de Casan. Lorsque le souverain de Russie, Jean ou Ivan Basilides eut, au seizieme siecle, conquis ce royaume subjugué par son aïeul, mais perdu ensuite, il en prit le titre qui est demeuré à ses successeurs. Avant Ivan Basilides, les maîtres de la Russie portoient le nom de velikiknés, grand prince, grand seigneur, grand chef, que les nations chrétiennes traduisent par celui de grand-duc. Le czar Michel Frédérovits prit avec l’ambassade holstenoise, les titres de grand seigneur & grand knés, conservateur de toutes les Russies, prince de Volodimer, Moskou, Novogorod, &c. tzar de Casan, tzar d’Astracan, tzar de Sibérie. Ce nom des tzars étoit donc le titre de ces princes orientaux ; il étoit donc vraissemblable qu’il dérivât plutôt des tshas de Perse, que des césars de Rome, dont probablement les tzars sibériens n’avoient jamais entendu parler sur les bords du fleuve Oby.

Un titre tel qu’il soit, n’est rien, si ceux qui le portent ne sont grands par eux-mêmes. Le nom d’empereur, qui ne signifioit que général d’armée, devint