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de l’académie Françoise, naquit en 1644. Il fut envoyé vers le roi de Siam en 1685, avec le chevalier de Chaumont, & fut ordonné prêtre dans les Indes par le vicaire apostolique. Il mourut à Paris en 1724. Il a mis au jour divers ouvrages, dont les principaux sont, 1°. Relation du voyage de Siam ; 2°. plusieurs vies, comme celle de saint Louis, de Philippe de Valois, du roi Jean, de Charles V. de Charles VI. & de madame de Miramion ; 3°. Quatre Dialogues sur l’immortalité de l’ame, qu’il composa avec M. Dangeau ; 4°. une traduction de l’imitation de Jesus-Christ dédiée à madame de Maintenon, avec cette épigraphe, qui ne parut que dans une seule édition ; concupiscet rex decorem tuum ; 5°. des Mémoires de la comtesse des Barres : cette comtesse des Barres étoit lui-même.

« Il s’habilla, dit M. de Voltaire, & vêcut en femme plusieurs années ; il acheta sous le nom de la comtesse des Barres, une terre auprès de Tours. Ces mémoires racontent, avec naïveté, comment il eut impunément des maîtresses sous ce déguisement. Pendant qu’il menoit cette vie, il écrivoit l’histoire ecclésiastique, qu’il publia en 11. vol. in-12. Dans ses mémoires sur la cour, on trouve des choses vraies, quelques unes de fausses, & beaucoup de hasardées ; ils sont écrits dans un style trop familier ».

Corneille (Pierre) naquit en 1606, & sera toujours le pere du théâtre françois, car il faut le juger par ses chef-d’œuvres ; nous aurons occasion de parler de lui au mot Tragédie, & la même occasion s’est déja présentée sous d’autres articles ; j’ajouterai seulement qu’il exerça dans sa patrie la charge d’avocat général à la table de marbre, sans connoître lui-même les talens extraordinaires qu’il avoit pour la poésie dramatique. Une avanture de galanterie lui fit composer sa premiere piece intitulée Mélite, qui eut un succès prodigieux. Il mourut doyen de l’académie françoise en 1684, à 78 ans.

Corneille (Thomas) auroit eu la plus grande réputation dans le théâtre sans ce frere aîné ; mais malgré le peu de cas que M. Despreaux en faisoit, il doit tenir un rang considérable parmi nos poëtes tragiques ; & peut-être est-il supérieur à tous nos auteurs dramatiques dans la constitution de la fable. Il étoit de l’académie Françoise, & de celle des Inscriptions ; mais il mourut pauvre en 1709, à 84 ans. C’étoit un homme fort laborieux, car outre ses pieces de théâtre, au nombre de trente-quatre, on a de lui, 1°. un Dictionnaire géographique en 3 volumes in-fol. meilleur pour la Normandie que pour le reste ; 2°. un Dictionnaire des arts & des sciences, qui ne mérite plus d’être aujourd’hui consulté ; 3°. la traduction des métamorphoses, & de quelques épitres d’Ovide, heureusement rendues, &c.

Daniel, (Gabriel) célebre jésuite, qui dans son histoire de France a rectifié les fautes de Mezerai sur la premiere & la seconde race ; on lui a reproché, dit M. de Voltaire, que sa diction n’est pas toujours assez pure, que son style est trop foible, qu’il n’intéresse pas, qu’il n’est pas peintre, qu’il n’a pas assez fait connoître les usages, les mœurs, les lois ; que son histoire est un long détail d’opérations de guerre, dans lesquelles un historien de son état se trompe presque toujours ; enfin qu’il parle trop peu des grandes qualités d’Henri IV. & trop du P. Cotton.

Cependant, ajoute M. de Voltaire, l’histoire du P. Daniel, avec tous ses défauts, est encore la moins mauvaise qu’on ait, du moins jusqu’au regne de Louis XI. Il dit dans sa préface, que les premiers tems de l’histoire de France sont plus intéressans que ceux de Rome, parce que Clovis & Dagobert avoient plus de territoire que Romulus & Tarquin ; il ignoroit, en parlant ainsi, que les foibles commencemens de tout ce qui est grand, intéressent toujours les

hommes ; on admire la foible origine d’un peuple qui étendit son empire jusqu’à l’Elbe, l’Euphrate, & le Niger. D’ailleurs, rien n’intéresse moins que les commencemens de notre histoire, & même depuis le cinquieme siecle jusqu’au quinzieme, ce n’est qu’un cahos d’avantures barbares, sous des noms barbares.

Outre l’histoire de France du P. Daniel, dont il donna aussi un abregé en 9 vol. in-12. il a encore publié, 1°. une Histoire de la milice françoise, in-4°. en 2 vol. 2°. Voyage du monde de Descartes, in-12. c’est une jolie critique du système de ce philosophe ; ce livre a été traduit en Anglois & en Italien. 3°. Plusieurs opuscules qui ont été recueillis en 3 vol. in-4°. Il mourut en 1728. âgé de 79 ans.

Fontaines (Pierre-François Guyot des) mourut à Paris en 1745, à 60 ans. Il est connu par ses observations sur les ouvrages nouveaux, journal périodique, dans lequel il n’a déchiré que trop souvent des hommes célebres, qu’il devoit aimer & estimer ; mais il s’est fait honneur par sa traduction des œuvres de Virgile, avec des remarques ; elle a été imprimée à Paris en 1754. en 4. vol. in-12. & c’est la meilleure que nous ayons dans notre langue.

Fontenelle (Bernard Bouvier de) a vû renaître cent fois le feuillage du printems, sans avoir éprouvé de passions pendant une si longue vie, & sans infirmités dans sa vieillesse ; il a fini sa carriere en 1757. & il vivoit encore quand l’auteur de l’Essai sur l’histoire générale, a fait son éloge, que personne depuis n’a contredit, ni effacé.

On peut, dit-il, regarder M. de Fontenelle comme l’esprit le plus universel que le siecle de Louis XIV ait produit ; il a ressemblé à ces terres heureusement situées, qui portent toutes les especes de fruits ; il n’avoit pas vingt ans lorsqu’il fit une grande partie de la tragédie-opera de Bellérophon ; & depuis il donna l’opéra de Thétis & Pélée qui eut un grand succès ; il fit beaucoup d’ouvrages légers, dans lesquels on remarquoit déja cette finesse, & cette profondeur qui décele un homme supérieur à ses ouvrages mêmes ; c’est ce qu’il a prouvé dans ses dialogues des morts, & dans sa pluralité des mondes. Il sut faire des Oracles de Van-dale, un livre agréable.

Il se tourna vers la géométrie & vers la physique, avec autant de facilité qu’il avoit cultivé les arts d’agrément ; nommé secrétaire perpétuel de l’academie des Sciences, il exerça cet emploi pendant plus de quarante ans avec un applaudissement universel. Son histoire de l’Académie jette très-souvent une clarté lumineuse sur les mémoires les plus obscurs ; il fut le premier qui porta cette élégance dans les sciences ; si quelquefois il y répandit trop d’ornemens, c’étoit de ces moissons abondantes dans lesquelles les fleurs croissent naturellement avec les épis.

Cette histoire de l’académie des Sciences, seroit aussi utile qu’elle est bien faite, s’il avoit eu à rendre compte de vérités découvertes ; mais il falloit qu’il expliquât des opinions combattues les unes par les autres, & dont la plûpart sont détruites. Les éloges qu’il prononça des académiciens morts, ont le singulier mérite de rendre les sciences respectables, & ont rendu tel leur auteur.

S’il a fait imprimer sur la fin de ses jours des comédies peu théatrales, & une apologie des tourbillons de Descartes, on a pardonné ces comédies en faveur de sa vieillesse, & son Carthésianisme, en faveur des anciennes opinions, qui dans sa jeunesse, avoient été celles de l’Europe.

Enfin, on l’a regardé comme le premier des hommes, dans l’art nouveau de répandre de la lumiere & des graces sur les sciences abstraites ; & il a eu du mérite dans tous les autres genres qu’il a traités. Tant de talens ont été soutenus par la connoissance de l’histoire, & il a été sans contredit, au-dessus de tous les