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beches ; c’est-à-dire qu’on le tient dans toute sa longueur également large, mince par un côté, & épais par l’autre ; avec cette différence seule qu’il doit être un peu plus fort que pour les bobeches. Lorsque l’acier est sous cette forme, on l’appelle couverture.

Quand la couverture est prête, vous la faites chauffer ; & pendant qu’elle est chaude, vous la recourbez par le bout à-peu-près de la longueur de la bobeche, que vous insérez entre la partie recourbée & le reste de la barre, qui lui forment comme une châsse, dont les deux côtés intérieurs allant en talus reçoivent avec assez d’exactitude les talus de la bobeche, de maniere que la partie mince de la bobeche soit au fond de la chasse, & la partie épaisse s’éleve au dessus & sorte en-dehors, débordant environ d’une ligne & demie. Vous frapperez quelques coups de marteau sur la bobeche & sur la couverture, afin de les appliquer l’une & l’autre assez fortement, pour que la bobeche ne se sépare pas de la couverture dans le feu. Vous mettrez dans le feu cet assemblage ; vous le ferez chauffer doucement, assez pour que la bobeche & la couverture commencent à se souder : vous donnerez la seconde chaude un peu plus forte, ainsi de la troisieme ; vous acheverez de souder ; vous alongerez votre morceau d’environ quatre pouces, lui donnant une forme qui tende à celle du rasoir, & qui vous indique surement de quel côté est l’acier d’Angleterre, car c’est ce côté qui doit faire votre tranchant. Vous couperez ce morceau & le séparerez entierement de la couverture, & vous aurez ce qu’on appelle une enlevure de rasoir : Vous mettrez ainsi toute votre couverture & toutes vos bobeches en enlevure, avant que de passer à une autre manœuvre.

Cela fait, vous prendrez une enlevure & vous l’alongerez d’environ cinq pouces, lui donnant une pente du côté qui doit former votre tranchant, & un peu plus de largeur à la tête qu’à la queue. Vous continuerez d’étendre & de former la lame du rasoir avec la panne d’un marteau qu’on appelle marteau à rabattre ; il faut que cette panne ne soit ni trop ronde ni trop plate ; il faut que la tête soit un peu alongée par le côté ; qu’elle ait là un pouce & un quart ; qu’elle n’ait qu’un pouce sur le devant. Quand on a élargi suffisamment la lame avec la panne, on l’unit avec la tête ; & quand il est dans cet état, le rasoir est ce que les ouvriers appellent rabattu ; on le marque ensuite. Quand il est marqué, on le bat à froid : cette derniere façon de forge serrant les pores de l’acier, ne contribue pas peu à la bonté de l’ouvrage.

Quand le rasoir est parfait de forge, on le lime pour perfectionner sa figure, dans un étau d’environ trois piés de haut ; il doit avoir six pouces du milieu de l’œil jusqu’au-dessus des mâchoires ; les mâchoires quatre pouces de long, la boîte dix-huit pouces, la vis vingt-quatre pouces ; le diametre de la vis de 16 lignes : il doit peser en tout environ 60 livres. Il y a des pieces de chirurgie qui se forgent sur l’étau ; d’autres qui servent à sertir : ceux-ci doivent être plus petits que celui dont je viens de donner les dimensions ; les autres doivent être plus grands.

Quand on a approché à la lime le rasoir de la figure qu’il doit avoir, en enlevant toutes les inégalités, & en le terminant bien exactement, vous faites allumer un feu de charbon dans un lieu plutôt obscur que trop éclairé ; le grand jour vous empêcheroit de bien juger de la couleur que le feu donnera au rasoir. Quand votre feu sera bien allumé, vous aurez à côté de vous un soufflet moyen, avec un morceau de fer fendu par le bout, long d’environ un tiers d’aune : on appelle cet instrument un faux manche ; le faux manche est plus commode que des tenailles. Vous faites entrer votre rasoir d’environ trois quarts de pouce par le talon dans l’ouverture du faux manche ; vous le posez ensuite sur les charbons ; vous le faites chauf-

fer doucement ; vous lui donnez un peu plus que couleur

de cerise, mais non le blanc. Plus l’acier est fin, moins il doit être trempé chaud. La trempe trop chaude dilate les pores, & rend les petites dents de la scie qui forment le tranchant, trop grosses & trop écartées, & par conséquent le tranchant rude. On peut user pour la trempe d’eau de puits ou d’eau de riviere à discrétion ; observant seulement qu’avant de tremper dans l’eau de puits, il faut la dégourdir, en y plongeant un morceau de fer rouge. On trempe au contraire dans l’eau de pluie ou de riviere comme elle est, à-moins que ce ne soit en hiver ; mais quand l’une & l’autre commencent à s’échauffer, à force de recevoir des pieces trempées, il faut les rechanger.

Quand le rasoir est trempé, vous prenez un morceau de meule, & vous l’écurez & blanchissez d’un côté ; vous avez ensuite dans une poële du charbon bien allumé, ou de la braise de boulanger, que je préfere au charbon. Vous posez votre rasoir sur cette braise, le dos sur la braise & incliné, afin que le tranchant ne s’échauffe pas plus promptement que le dos, quoiqu’il ait moins d’épaisseur ; vous tenez votre rasoir dans cet état jusqu’à ce qu’il prenne la couleur de renard, mais non pas tout-à-fait celle d’or. Quand il a cette couleur, nous le trempons dans l’eau ; puis à l’aide d’un manche de bois que nous appellons faux manche, & dans lequel nous enchâssons le talon, nous nous préparons à l’émoudre.

L’opération précédente s’appelle recuit.

Nous prenons pour émoudre le rasoir une meule d’environ quinze pouces, montée sur un arbre de fer d’environ un pouce en quarré, sur dix-huit pouces de long ou environ, selon la commodité des lieux. Nous émoulons le rasoir ; nous dressons le tranchant & les biseaux ; nous formons le dos & le talon, & c’est ce que nous appellons blanchir.

A cette premiere meule on en fait succéder une autre d’environ six pouces de hauteur ; il est évident que celle-ci ayant beaucoup plus de convexité que la premiere, doit évider le milieu du rasoir : aussi fait-elle, & c’est ce que nous appellons dégrossir.

A la seconde meule on en fait succéder une troisieme d’environ dix à douze pouces de diametre, pour donner au tranchant la même force depuis le talon jusqu’à la pointe ; & c’est ce que l’on appelle mettre à tranchant. Il faut laisser au tranchant un petit biseau, qu’on gagne à la polissoire ; on fait ce petit biseau avec la pierre à affiler à l’eau.

Lorsque le tranchant, les biseaux & le dos sont bien dressés, l’on a une polissoire de bois de noyer de la hauteur ou environ de la meule à tranchant, mais de deux tiers plus mince, & l’arbre d’un tiers : on couche sur cette polissoire de l’émeri bien broyé, qu’on delaye avec un peu d’huile d’olive : vous en étendez de tems en tems sur votre lame, & vous emportez les traits de la meule, & gagnez le biseau que vous avez fait en affilant ; vous polissez par-tout, & rendez le rasoir propre.

Cela fait, vous avez une chasse d’écaille, de corne, ou de baleine, sur laquelle vous montez la lame du rasoir par le moyen d’un clou & de deux rosettes ; quelquefois on contient les côtés de la châsse en plaçant un clou & deux autres rosettes à l’extrémité.

Rasoir, outil de Gaînier, c’est une lame de rasoir emmanchée comme une lime. Cette lame est fort tranchante, & sert aux Gaîniers pour couper les grains de la roussette & du requin qu’ils emploient. Voyez les fig. Pl. du Gaînier.

RASON, s. m. (Hist. nat. & Ichthiol.) novacula, poisson de mer auquel on a donné le nom de rason, parce que son dos est tranchant comme un rasoir. Ce poisson a un empan de longueur, trois doigts de largeur, & un doigt d’épaisseur ; il ressemble au pagre par la