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que le poisson soit mouillé, car l’eau douce le fait noircir, & le met hors de vente.

Ce poisson ainsi préparé ne se vend point au poids, mais au compte. Les marchands l’envoient à Nantes. La consommation s’en fait par les gens de la campagne durant le tems des vendages. Les marchands de Nantes y vendent le cent de compte de ces raies depuis 70 jusqu’à 80 livres.

On vend séparément les têtes, que l’on nomme goules rondes ; on en fait des paquets de vingt têtes. Cette denrée est fort courue par ceux qui en font usage, & est regardée comme un mets délicat.

Raie, (Ecrit. & Comm.) trait ou ligne qui marque, qui sépare, ou qui diversifie les choses. Les livres des marchands ont différentes raies ordinairement de haut en-bas, pour marquer la position des chiffres suivant leur valeur en livres, sols & deniers. Voyez Livres des marchands. On trouve à cet article des modeles des différentes rayures à l’usage des livres de commerce. Diction. de comm.

Raies, terme de Charron, ce sont les barres de bois qui partent du moyen, & vont se terminer dans les mortaises des gentes ; ce sont les raies qui soutiennent toute la circonférence de la roue. Il en faut environ douze pour une grande roue, & six ou huit pour une petite. Voyez les fig. du Sellier, & les Pl. du Charron.

Raie, (Jardinage.) est une trace que l’on fait sur la terre, & c’est une vraie ligne tracée.

RAJEUNIR, voyez l’article Rajeunissement.

Rajeunir, en Jardinage, se dit de la maniere de procurer à un arbre une vigueur qui paroît lui manquer. On le taille à cet effet sur les branches de la nouvelle pousse, & l’on supprime la plus grande partie du vieux bois. Cette opération demande une main ménagere qui n’ôte point trop de branches, & les coupe vers la fin de l’automne. Ces plaies seront recouvertes avec de la terre humectée, appellée l’onguent de S. Fiacre, & on mettra un linge attaché autour des plaies les plus considérables.

On n’approuve nullement la maniere de quelques anciens jardiniers qui coupoient de grosses racines pour rajeunir un arbre. Ces grosses racines ôtées font mourir, suivant de bons physiciens, autant de branches, & c’est le vrai moyen de ruiner l’arbre en peu de tems.

RAJEUNISSEMENT, s. m. (Médecine.) sortir de l’état languissant d’une affreuse caducité ; quitter les incommodités, les rides, la foiblesse, la maigreur qui en sont les compagnes inséparables ; cesser de ressentir un froid continuel, image terrible & avant-coureur de celui de la mort ; retirer enfin un pié chancelant déja engagé dans la fosse pour rentrer dans le printems d’une riante jeunesse, pour recommencer la carriere des plaisirs & des jeux, pour reprendre avec facilité l’exercice complet de toutes les fonctions de l’esprit & du corps, & en même tems la force, la vigueur, la santé, & tous les agrémens qui sont attachés à cet âge charmant, & pouvoir enfin se préparer une longue chaîne de jours purs & sereins : telle est la révolution prodigieuse qui transforme le vieillard en jeune homme ; telle est la perspective séduisante que présente le rajeunissement, objet bien capable d’attirer les desirs empressés des foibles humains ; l’art précieux de produire ces grandes merveilles si célebres par les poëtes, s’est enfin réalisé dans l’imagination échauffée des Alchimistes ; entraînés par un enthousiasme présomptueux, ils se sont crus les arbitres de la vie & de la mort, les maîtres de faire revivre les plantes desséchées, de multiplier leurs fruits, de changer & transformer les saisons & les âges, &c.

Le plus ancien exemple de rajeunissement qu’on trouve dans les poëtes est rapporté par Ovide, dans le

VII. l. des métamorphoses, où il raconte qu’au retour de l’expédition des Argonautes, Jason pria Médée son épouse, fameuse enchanteresse, de rajeunir Aeson son pere accablé sous le poids des ans & hors d’état de mêler les témoignages de sa joie à l’allégresse publique ; deme meis annis, lui dit ce fils généreux, & demptos adde parenti. Elle fut touchée d’une demande si désintéressée ; & après un sacrifice nocturne à la triple Hécate, & aux dieux des forêts & de la nuit où elle implore leur assistance pour lui aider à découvrir des sucs qui puissent renouveller dans Aeson la fleur de la jeunesse ; elle part inspirée par ces divinités, monte dans un char magique, & parcourt dans l’espace de neuf jours & neuf nuits la vallée de Tempé, le mont Ossa, le Pélion, l’Othrys, le Pinde, l’Olympe, les bords de l’Apidane, de l’Amphryse, du Pénée, du Sperchée, du Boelus & de l’Anthédon, & dans tous ces endroits elle cueille des plantes favorables à son expédition ; les dragons attelés à son char, qui respirent l’odeur de ces plantes merveilleuses, sont à l’instant rajeunis, annosæ pellem posuere senectæ ; étant arrivée chez le vieux Aeson, elle fait des sacrifices, l’un à Hécate & l’autre à la Jeunesse, & implore le secours des divinités terrestres, elle fait apporter ensuite ce vieillard qui retenoit encore à peine un dernier souffle de vie prêt à s’échapper, & le fait coucher endormi & à demi-mort sur un tas des herbes qu’elle avoit apportées ; alors ayant écarté tout profane, elle commence ces terribles mysteres, elle le purifie trois fois avec du feu, du soufre & de l’eau, cependant elle fait bouillir dans une chaudiere d’airain la composition qui doit opérer le rajeunissement ; outre les plantes dont nous avons parlé, elle y met des pierres précieuses venues d’Orient, du sable ramassé sur les bords de l’Océan, de l’écume que la lune répand la nuit sur les herbes, la chair & les aîles d’une chouette, les entrailles d’un de ces loup-garoux qui paroissent quelquefois sous la figure humaine, la tendre écaille d’une jeune tortue du fleuve Cinyphe, le foie d’un vieux cerf, le bec & la tête d’une corneille qui avoit vécu neuf siecles ; elle ajoute encore une infinité d’autres drogues inconnues, une branche d’olivier depuis long-tems desséchée lui sert pour agiter tout ce mélange, mais à l’instant cette branche reverdit, & bientôt après se charge de feuilles & de fruits ; l’écume que la violence du feu fait tomber par terre hors du bassin y renouvelle le même prodige, l’herbe y croit aussi-tôt, & des fleurs y naissent dans le moment ; à cette vûe Médée plonge le coûteau dans le sein du fortuné vieillard, & en fait sortir un sang glacé pour y en substituer un nouveau formé par les sucs qu’elle vient de préparer, dont elle fait rentrer une partie par la bouche, & l’autre par la blessure. L’effet du remede est aussi prompt que merveilleux, la maigreur, la pâleur & les rides ont disparu de dessus le visage d’Aeson, ses cheveux blancs sont tombés, une longue chevelure noire orne sa tête, ses membres sont remplis de vigueur, en un mot Aeson rempli d’admiration se voit métamorphosé en un homme robuste tel qu’il étoit avant qu’il eût atteint son huitieme lustre.

Æson miratur & olim
Ante quater de nos hunc se reminiscitur annos
Dissimilemque animum subiit ætate relictâ.

Les Alchimistes, aux yeux de qui toute la Mythologie n’est qu’une allégorie soutenue des travaux du grand œuvre, & qui expliquent si naturellement dans leur système l’enlevement de la toison d’or, revendiquent l’opération de Médée comme leur appartenant, comme un des principaux procédés de la pierre philosophale, & ne doutent pas un moment de sa réalité & de son succès : les personnes qui n’ont pas pénétré dans les secrets hermétiques, imaginent