Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/717

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles sont rouges : ce sont les écorces des petites branches. D’autres fois elles sont par morceaux très-petits, ou coupés fort menus, jaunes en-dedans, & blanchâtres en-dehors. On dit que c’est le quinquina que l’on a levé des racines, & il est fort estimé des Espagnols.

Il faut choisir celui qui est rouge, ou qui tire sur le rouge, ou sur la couleur de la canelle ; n’ayant rien de désagréable au goût, & dont l’amertume ait quelque chose d’aromatique ; d’une odeur légérement aromatique, friable lorsqu’on le brise sous la dent. On doit rejetter celui qui est visqueux, gluant, dur comme du bois, vieux, passé, insipide, & falsifié par le mélange de quelqu’autre écorce trempée dans le suc d’aloës.

L’arbre fébrifuge du Pérou, appellé quinquina, china Chinæ, & ganaperide, Rai, hist. Palo de Calenturas des Espagnols, n’avoit point encore été décrit exactement, avant que M. de la Condamine envoyât sa description du Pérou à l’académie des sciences, où elle fut lue en 1738.

On a reconnu par cette description, que c’est un arbre qui n’est pas fort haut, dont la souche est médiocre, & qui donne naissance à plusieurs branches. Les feuilles sont portées sur une queue d’environ demi-pouce de longueur ; elles sont lisses, entieres, assez épaisses, opposées ; leur contour est uni & en forme de fer de lance, arrondi par le bas, & se terminant en pointe : elles ont dans leur mesure moyenne un pouce & demi, ou deux pouces de large, sur deux & demi à trois pouces de long : elles sont traversées dans leur longueur, d’une côte d’où partent des nervures latérales, qui se terminent en s’arrondissant parallelément au bord de la feuille.

Chaque rameau du sommet de l’arbre finit par un ou plusieurs bouquets de fleurs, qui ressemblent avant que d’être écloses, par leur figure & leur couleur bleue-cendrée, à celles de la lavande. Le pédicule commun qui soutient un des bouquets, prend son origine aux aisselles des feuilles, & se divise en plusieurs pédicules plus petits, lesquels se terminent chacun par un calice découpé en cinq parties, & chargé d’une fleur d’une seule piece, de la même grandeur & de la même forme à-peu-près que la fleur de la jacinte.

C’est un tuyau long de sept à neuf lignes, évasé en rosette, taillé en cinq, & quelquefois en six quartiers ; ceux-ci sont intérieurement d’un beau rouge de carmin, vif & foncé au milieu, & plus pâle vers les bords ; leur contour se termine par un liseré blanc en dents de scie, qu’on n’apperçoit qu’en y regardant de près. Du fond du tuyau sort un pistil blanc, chargé d’une tête verte & oblongue, qui s’éleve au niveau des quartiers, & est entouré de cinq étamines, qui soutiennent des sommets d’un jaune-pâle, & demeurent cachées au-dedans ; ce tuyau est par dehors d’un rouge sale, & couvert d’un duvet blanchâtre. L’embryon se change en une capsule de la figure d’une olive, qui s’ouvre de bas en haut en deux demi-coques séparées par une cloison, & doublées d’une pellicule jaunâtre, lisse & mince, d’où il s’échappe presqu’aussitôt des semences roussâtres, applaties & comme feuilletées. Les panneaux en se séchant deviennent plus courts & plus larges.

L’arbre du quinquina vient de lui-même dans le Pérou, qui est une contrée de l’Amérique méridionale, sur-tout auprès de Loxa ou Loja, sur les montagnes qui environnent cette ville, à soixante lieues de Quito. Le niveau de Loxa au-dessus de la mer, est d’environ 80 lieues de la côte du Pérou ; l’élévation de son sol est à-peu-près moyenne entre celle des montagnes qui forment la grande Cordeliere des Andes & les vallées de la côte. Le mercure se soutenoit à Loxa, en Février 1737, à 21 pouces 8 lignes, d’où

on peut conclure par la comparaison de diverses expériences, faites à des hauteurs connues, que le niveau de Loxa au-dessus de la mer, est d’environ 800 toises ; le climat y est fort doux, & les chaleurs quoique fort grandes, n’y sont pas excessives.

Le meilleur quinquina, du moins le plus renommé, se recueille sur la montagne de Cajanuma, située à deux lieues & demie environ au sud de Loxa ; & c’est de-là qu’a été tiré le premier qui fut apporté en Europe. Il n’y a pas 40 ans que les commerçans se munissoient d’un certificat pardevant notaires, comme quoi le quinquina qu’ils achetoient étoit de Cajanuma. M. de la Condamine s’y étant transporté en 1737, passa la nuit sur le sommet, dans l’habitation d’un homme du pays, pour être plus à portée des arbres du quinquina, la récolte de leur écorce faisant l’occupation ordinaire & l’unique commerce de ce particulier. En chemin, sur le lieu, & au retour, il eut le loisir de voir & d’examiner plusieurs de ces arbres, & d’ébaucher sur le lieu même, un dessein d’une branche avec les feuilles, les fleurs & les graines, qui s’y rencontrent en même tems dans toutes les saisons de l’année.

On distingue communément trois especes de quinquina, quoique quelques-uns en comptent jusqu’à quatre ; le blanc, le jaune & le rouge. On prétend à Loxa que ces trois especes ne sont différentes que par leur vertu, le blanc n’en ayant presque aucune, & le rouge l’emportant sur le jaune ; & que du reste les arbres des trois especes ne différoient pas essentiellement. Il est vrai que le jaune & le rouge n’ont aucune différence remarquable dans la fleur, dans la feuille, dans le fruit, ni même dans l’écorce extérieure : on ne distingue pas à l’œil l’un de l’autre par dehors, & ce n’est qu’en y mettant le couteau qu’on reconnoît le jaune à son écorce, moins haute en couleur & plus tendre. Du reste, le jaune & le rouge croissent à côté l’un de l’autre, & on recueille indifféremment leur écorce ; quoique le préjugé soit pour la rouge : en se séchant la différence devient encore plus légere, l’une & l’autre écorce est également brune en-dessus. Cette marque passe pour la plus sure de la bonté du quinquina ; c’est ce que les marchands espagnols expriment par envez prieta. On demande de plus qu’elle soit rude par-dessus, avec des brisures & cassante.

Quant au quinquina blanc, sa feuille est plus ronde, moins lisse que celle des deux autres, & même un peu rude ; sa fleur est aussi plus blanche, sa graine plus grosse, & son écorce extérieure blanchâtre. Il croît ordinairement sur le plus haut de la montagne, & on ne le trouve jamais confondu avec le jaune & rouge qui croissent à mi-côte, dans les creux & les gorges, & plus particulierement dans les endroits couverts. Il reste à savoir, si la variété qu’on y remarque ne provient pas de la différence du terroir, & du plus grand froid auquel il est exposé.

L’arbre du quinquina ne se trouve jamais dans les plaines, il pousse droit, & se distingue de loin d’un côté à l’autre, son sommet s’élevant au-dessus des arbres voisins dont il est entouré ; car on ne trouve point d’arbres du quinquina rassemblés par touffes, mais épars & isolés entre des arbres d’autres especes ; ils deviennent fort gros quand on leur laisse prendre leur croissance. Il y en a de plus gros que le corps d’un homme, les moyens ont huit à neuf pouces de diametre ; mais il est rare d’en trouver aujourd’hui de cette grosseur sur la montagne qui a fourni le premier quinquina : les gros arbres dont on a tiré les premieres écorces, sont tous morts aujourd’hui, ayant été entierement dépouillés. On a reconnu par expérience que quelques-uns des jeunes meurent aussi après avoir été dépouillés.

On se sert pour cette opération d’un couteau or-