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se prépare, en offensant les gens d’église : il ne s’en tint pas à mépriser leurs mœurs dissolues, leur ignorance & leur barbarie, il eut l’imprudence d’en faire une peinture très-vive dans une comédie, dont le ridicule principal tomboit sur les moines. Cet ouvrage parut, & devint la source des peines qui commencerent à ce moment, & qui durerent autant que sa vie. Cela ne l’empêcha pas d’être envoyé à Rome, à l’occasion du mariage du prince Rupert & de la fille de George, duc de Baviere. Ce fut dans ce second voyage qu’il acheva de se consommer dans la connoissance des lettres grecques & latines ; il parut dans l’école d’Argyropule, qui frappé de l’élégance & de la facilité avec laquelle Capnion interprétoit, se tourna vers ses auditeurs, & leur dit : ecce Græcia nostro exilio transvolavit alpes. Il prit des leçons d’hébreu du juif Obadias ben Jacob Sporno, qu’il n’étoit pas donné à tout le monde d’entendre, tant il se faisoit payer cherement. Le tems de sa députation écoulé, il revint en Allemagne ; il quitta la cour, & pressé de jouir du fruit de ses études, il chercha la retraite. Il fut cependant appellé dans les transactions les plus importantes de son tems. Or il arriva qu’un juif renegat s’efforçoit de persuader aux puissances séculieres & à l’empereur de brûler les livres des Juifs. Il s’étoit fait écouter : on avoit ramassé le plus d’ouvrages hébreux que l’on avoit pu : l’édit de Maximilien étoit prêt, & l’exécution alloit se faire à Francfort, lorsque les Juifs se plaignirent : l’empereur les écouta, & leur donna pour commissaire Reuchlen. Reuchlen distingue : il abandonne au sort qui leur étoit destiné, tous les auteurs impies ; mais il insiste sur la conservation des grammairiens, des médecins, des historiens, de tous ceux qui avoient traité des sciences & des arts, & qui pouvoient servir à l’intelligence d’une langue aussi essentielle à la religion chrétienne. Pfefferkorn (c’est le nom du juif) entre en fureur : il ameute les moines : on écrit contre Reuchlin : on s’assemble : on délibere : on le condamne ; il est appellé à la cour de l’empereur, & à celle du souverain pontife. Erasme & d’autres savans prennent sa défense. On revient sur le projet barbare d’anéantir en un jour les monumens les plus précieux de l’église chrétienne. On absout Reuchlin ; & l’ignorance & la superstition confondues n’en sont que plus violemment irritées. Cependant l’hérésie de Luther s’éleve : les peuples s’arment : le sang se répand : des villes se désertent, & Reuchlin perd son état, sa fortune, ses livres, tombe dans l’indigence, & est réduit à enseigner les langues pour vivre. Les troubles de sa vie derangerent sa santé ; il devint languissant, & il mourut à Stutgard, âgé de soixante-sept ans. Il faut écrire son nom parmi les premiers restaurateurs des lettres dans nos contrées. Les erreurs dont l’Eglise étoit infectée, ne lui échapperent point ; il s’en expliqua quelquefois assez librement ; cependant il ne se sépara point de notre communion. Il professa la Philosophie pythagoreo-platonico-cabalistique, ainsi qu’il paroit par l’ouvrage qu’il a intitulé de arte cabalisticâ, & par celui qu’il a publié de verbo mirifico. Il dit ailleurs : Marsile Ficin a relevé la statue de Platon en Italie ; Faber celle d’Aristote en France ; il m’étoit réservé de restituer celle de Pythagore. Mais ce philosophe instruit par les Chaldéens, ne pouvoit être entendu sans l’étude de la cabale. C’est la clé de sa doctrine : je l’ai cherchée, & je l’ai trouvée. Qu’avoit-il découvert à l’aide de cette merveilleuse clé, & d’une application de vingt ans ? Que Baruch renfermoit l’explication de tous les noms ineffables, qu’ils s’appliquoient à Jesus-Christ sans exception, & que ces quatre lettres J, E, S, V étoient le grand tétragramme pythagorien. Reuchlin n’est pas le centieme d’entre les philosophes qui se sont livrés à des travaux incroya-

bles pour illustrer un certain genre de folie. Celui-ci

étudia la doctrine chaldaïque, égyptienne, thrace, hermétique, orphique & hébraique ; mais l’école d’Alexandrie avoit tout corrompu. Reuchlin s’en rapporta au témoignage de Pic, & Pic ne distinguant rien, s’étoit confié indistinctement, & aux livres des anciens auteurs, & à ceux qui leur avoient été supposés. Qu’est-ce qu’il y avoit après cela de surprenant, lorsqu’il découvroit de tout côté des vestiges du christianisme, que son imagination excitée multiplia ensuite à l’infini ? d’où il arriva qu’il ne connut bien, ni le pythagorisme, ni le platonisme, ni la cabale, ni le christianisme.

François George le vénitien vivoit encore en 1532 ; ce fut un philosophe très-subtil, mais dont l’imagination égaroit le jugement. Il a laissé deux ouvrages : l’un, sur l’harmonie du monde : l’autre, sur des problèmes relatifs à l’intelligence de quelques points de l’Ecriture. C’est un mélange de doctrine chrétienne & d’opinions rabbiniques, qui fut proscrit. Voici quelques-uns de ses principes.

Les nombres sont la cause de l’ordre universel ; ils s’élevent de la terre aux cieux, & redescendent des cieux à la terre, formant une chaîne d’émanations, par laquelle des natures diverses & des accidens opposés sont liés.

C’est aux hommes que Dieu a éclairés de son esprit, à nous instruire sur le monde. Entre ces hommes, il faut s’attacher particuliere ment aux hébreux, à ceux des autres nations qui ont connu le messie, Paul, Jean, Origene, d’un côté ; de l’autre, Platon, Pythagore, &c.

Il est un Dieu. La fécondité des êtres nous démontre la fécondité de Dieu : un Dieu réfléchisseur sur lui-même, a produit son fils ; le Saint Esprit, ou l’amour qui unit le pere & le fils, a procédé de l’un & de l’autre ; & le monde est émané de tous les trois.

Il y avoit si peu d’hommes purs & saints, dignes de connoître la vérité toute nue, qu’il a fallu la voiler d’énigmes, de symboles & d’emblèmes.

Quelque diversité d’opinions qu’il y ait entre les philosophes, on peut rapprocher d’un même système tous ceux qui admettront l’existence & la liberté d’un être seul créateur.

Les sages s’accordent à mesurer le tems de la création, & le renfermer dans l’espace de six jours, auquel on a ajouté un septiame jour de repos. En effet, le nombre six est très-parfait. Six fois un font six, trois fois deux font six, un, deux, trois font six, &c.

Je n’ai pas le courage de suivre cet auteur dans le détail de ses extravagances ; c’est une arithmétique corrompue, des propriétés de nombre imaginaires & mal vûes, appliquées au système des émanations.

Ce que j’y trouve de plus singulier, c’est que le méchant est animé de deux esprits, son ame & un mauvais génie qui est entré dans son corps au moment de la dépravation. Voilà de quoi étendre le système du P. Bougeant. Les mauvais anges ne seront pas seulement occupés à animer les animaux, mais encore à doubler, tripler, quadrupler les ames des méchans. On trouvera même dans l’Ecriture des passages favorables à cette opinion. Ainsi les Guignards, les Oldecorn, les Malagrida, les Damiens, & tous ceux qui ont été coupables ou qui sont suspects de monarchomachie, sont possédés d’une légion de mauvais génies qui se sont associés à leurs ames à mesure que leur dépravation s’accroissoit ; ensorte qu’on peut les regarder comme des sortes d’enfers ambulans. Les diables sont établis dans les corps des hommes ; ils y entrent, ils en sortent, selon qu’on amande ou qu’on empire.

Agrippa naquit à Nettesheym, dans le territoire de Cologne, à-peu-près en 1463. Il professa toutes