Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/621

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perpétuelles de la matiere s’y opposoient ; que les premiers principes étoient de petits corps individuels, dont la grandeur, la forme & la puissance constituoient les différences ; que le nombre en étoit infini ; qu’il y avoit du vuide ; que les corps n’y descendirent ni par leur nature, ni par leur poids, ni par une impulsion, mais par un effort divin de l’esprit ; que le monde formé d’atomes étoit administré par un être prévoyant ; qu’il étoit animé ; qu’il étoit intelligent ; que la terre étoit au centre ; dent. & qu’il tournoit sur elle-même d’orient en occident.

Hippon de Rhegium regarda le froid ou l’eau & la chaleur ou le feu comme les premiers principes. Selon lui, le feu émana de l’eau & forma le monde ; l’ame fut produite par l’humide, son germe distillant du cerveau ; tout, sans exception, périssoit ; il étoit incertain qu’il y eût quelques natures soustraites à cette loi.

On pourroit ajouter à ces philosophes Xénophane, fondateur de la secte éléatique & instituteur de Telauge, fils de Pythagore. La secte ne dura pas au-delà du tems d’Alexandre le Grand. Alors parurent Xénophile, Phanton, Echecrate, Dioclès & Polymneste, disciples de Phliasius, de Philolaus & d’Euryte, que Platon visita à Tarente. Le Pythagorisme fut professé deux cens ans de suite. La hardiesse de ses principes, l’affectation de législateurs & de réformateurs des peuples dans ses sectateurs, le secret qui se gardoit entr’eux & qui rendit leurs sentimens suspects, le mépris des autres hommes qu’ils appelloient les morts, la haine de ceux qu’on excluoit de leurs assemblées, la jalousie des autres hommes, furent les causes principales de son extinction. Ajoutez la desertion générale, qui se fit au tems de Socrate, de toutes les écoles de Philosophie pour s’attacher à ce trop célebre & trop malheureux philosophe.

Empédocle naquit à Agrigente. Il fleurit dans la lxxxiv. olympiade : il se livra à la philosophie pythagoricienne ; cependant il ne crut pas devoir s’éloigner des affaires publiques. Il détermina ses concitoyens à l’égalité civile : il eût pû se rendre souverain, il dédaigna ce titre. Il employa son patrimoine à marier plusieurs filles qui manquoient de dot : il fut profondément versé dans la Poésie, l’art oratoire, la connoissance de la nature, & la Médecine. Il fit des choses surprenantes en elles-mêmes, auxquelles la tradition & la fiction qui corrompent tout donnerent un caractere merveilleux, tel que celui que les gestes d’Orphée, de Linus, de Musée, de Mélampe, d’Epiménide en avoient reçus. On dit qu’il commandoit aux vents nuisibles, parce que s’étant apperçu que celui qui passoit à-travers les fentes des montagnes & leurs cavernes ouvertes étoit mal-sain pour les contrées qui y étoient exposées, il les fit fermer. On dit qu’il changeoit la nature des eaux, parce qu’ayant conjecturé que la peste qui dévastoit une province, étoit occasionnée par les exhalaisons funestes d’une riviere dormante & bourbeuse, il lui donna de la rapidité & de la limpidité, en y conduisant deux rivieres voisines. On dit qu’il commandoit aux passions des hommes, parce qu’il excelloit dans l’art de la Musique, qui fut si puissant dans ces premiers tems. On dit qu’il ressuscitoit les morts, parce qu’il dissipa la léthargie d’une femme attaquée d’une suffocation utérine. La méchanceté des peuples s’acharne à tourmenter les grands hommes pendant leur vie ; après leur mort, elle croit réparer son injustice en exagérant leurs bienfaits ; & cette sottise ternit leur mémoire tantôt en faisant douter de leur existence, tantôt en les faisant passer pour des imposteurs. Empédocle brûla la plûpart de ses compositions poétiques. On dit qu’il avoit été

enlevé au ciel, parce qu’à l’exemple des philosophes de son tems, il avoit disparu, soit pour se livrer tout entier à la méditation dans quelque lieu desert, soit pour parcourir les contrées éloignées & conférer avec les hommes, qui y jouissoient de quelque réputation. On croit qu’attiré sur le mont Etna par une curiosité dangereuse, mais bien digne d’un naturaliste, il périt dans les flammes qu’il vomissoit. Ce dernier trait de sa vie tant raconté par les anciens, & tant répété par les modernes, n’est peut-être qu’une fable. On prétend, & avec juste raison, que le peuple aime le merveilleux ; je crois cette maxime d’une vérité beaucoup plus générale, & que l’homme aime le merveilleux. Moi-même, je me surprends à tout moment sur le point de m’y livrer. Lorsqu’un fait aggrandit la nature humaine à mes yeux, lorsqu’il m’offre l’occasion de faire un éloge sublime de l’espece dont je suis un individu, je me soucie peu de le discuter ; il semble que j’aie une crainte secrette de le trouver faux ; je ne m’y détermine que quand on s’en sert comme d’une autorité contre ma raison, & ma liberté de penser. Alors je m’indigne, & tombant d’un excès dans un autre, je mets en œuvre tous les ressorts de la dialectique, de la critique & du pyrrhonisme : & trop peu scrupuleux, je frappe à tort & à-travers d’une arme également propre à écarter le mensonge & à blesser la vérité. Aussi pourquoi me révolter ? pourquoi vouloir m’entraîner & me pousser par cette violence à me roidir contre le penchant qui me porte naturellement à croire de mes semblables les choses les plus extraordinaires ? Abandonne-moi à moi même ; laisse-là ta menace, & j’irai tomber sans effort au pié de tes statues. Si tu fais gronder la foudre de Jupiter au-dessus de ma tête, je crierai à tous les peuples que Jupiter fut enterré dans la Crete, & j’indiquerai les tombeaux de ceux que tu places au haut des cieux.

Empédocle disoit qu’il faut juger des choses par la raison & non par les sens ; que c’est à elle à discuter leur témoignage ; qu’il y a deux principes, l’un actif ou la monade, l’autre passif ou la matiere ; que la monade est un feu intelligent ; que tout en émane & s’y résout ; que l’air est habité par des génies ; qu’il y a quelqu’union entre Dieu & nous, & même entre Dieu & les animaux ; qu’il est un esprit un, universel, présent à toutes les particules de l’univers qu’il anime, une ame commune qui les lie ; qu’il faut s’abstenir de la chair des animaux qui ont avec nous une affinité divine ; que le monde est un ; qu’il n’est pas tout ; qu’il n’est qu’une molécule d’une masse énorme, informe & inerte qui se développe sans cesse ; que ce développement a été & sera dans toute l’éternité l’ouvrage de l’esprit universel & un ; qu’il y a quatre élémens ; qu’ils ne sont pas simples, mais des fragmens d’une matiere antérieure ; que leurs qualités premieres sont l’antipathie & la concorde, l’antipathie qui sépare les uns, la concorde qui combine des autres ; que le mouvement qui les agite est de l’esprit universel, de la monade divine ; qu’ils ne sont pas seulement similaires, mais ronds & éternels ; que la nature n’est que l’union & la division des élémens ; qu’il y a quatre élémens, l’eau, la terre, l’air & le feu, ou Jupiter, Junon, Pluton & Nestis ; que la sphere solaire corrompt le monde ; que dans le développement premier l’éther parut d’abord, puis le feu, puis la terre qui bouillit, puis l’eau qui s’éleva, puis l’air qui se sépara de l’eau, puis les êtres particuliers se formerent ; que l’air cédant à l’effort du soleil, il y eut déclinaison dans les contrées septentrionales, élévation dans les contrées voisines, & affaissement dans les contrées australes, & que l’univers entier suivit cette loi ; que le monde a sa droite & sa gauche, sa droite au tropique du cancer, sa