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sentoit les victoires de ce dieu sur les Indiens, & où les danseurs, au lieu d’armes offensives, ne portoient que des thyrses, des roseaux & des flambeaux. C’est sans doute cette seconde espece de pyrrhique dont le même auteur veut parler, lorsqu’il en fait une des trois sortes de danses qui appartenoient à la poésie lyrique. La pyrrhique décrite par Apulée dans le X. livre de ses Milésiades, porte aussi le caractere d’une danse tout-à-fait pacifique.

Néron aimoit beaucoup la pyrrhique ; l’histoire rapporte qu’au sortir d’un spectacle qu’il venoit de donner au peuple, il honora de la bourgeoisie romaine tous les éphebes étrangers qui y avoient dansé cette danse. (D. J.)

PYRRHONIENNE ou SCEPTIQUE Philosophie, (Hist. de la Philosophie.) les Grecs étoient fatigués de tant de disputes sur le vrai & le faux, sur le bien & le mal, sur le beau & sur le laid, lorsqu’il s’éleva parmi eux une secte qui fit en peu de tems beaucoup de prosélytes. Ce fut la pyrrhonienne ou sceptique. Dans les autres écoles, on avoit un système reçu, des principes avoués, on prouvoit tout, on ne doutoit de rien : dans celle-ci, on suivit une méthode de philosopher toute opposée, on prétendit qu’il n’y avoit rien de démontré ni de démontrable ; que la science réelle n’étoit qu’un vain nom ; que ceux qui se l’arrogeoient n’étoient que des hommes ignorans, vains ou menteurs ; que toutes les choses dont un philosophe pouvoit disputer, restoient malgré ses efforts couvertes des ténebres les plus épaisses ; que plus on étudioit, moins on savoit, & que nous étions condamnés à flotter éternellement d’incertitudes en incertitudes, d’opinions en opinions, sans jamais trouver un point fixé d’où nous pussions partir & où nous pussions revenir & nous arrêter. D’où les sceptiques concluoient qu’il étoit ridicule de définir ; qu’il ne falloit rien assûrer ; que le sage suspendroit en tout son jugement ; qu’il ne se laisseroit point leurrer par la chimere de la vérité ; qu’il régleroit sa vie sur la vraissemblance, montrant par sa circonspection que si la nature des choses ne lui étoit pas plus claire qu’aux dogmatiques les plus décidés, du-moins l’imbecillité de la raison humaine lui étoit mieux connue. Le sceptique étoit donc un ennemi commun.

Pyrrhon, disciple d’Anaxarque de la secte éléatique, exerça le premier cette philosophie pusillanime & douteuse, qu’on appelle de son nom Pyrrhonisme, & de sa nature Scepticisme. Si l’on examine la méthode des académiciens, on ne la trouvera pas fort éloignée de celle de Pyrrhon.

Pyrrhon naquit à Elée de parens obscurs. Il fut mauvais peintre avant que d’être philosophe. Il eut pour premier maître Brison, fils de Stilpon, disciple de Clinomaque, qui l’instruisit de cette dialectique épineuse, particuliere aux Eristiques. Il entendit ensuite Anaxarque, disciple de Métrodore de Chio, & s’attacha à ce philosophe. Ils suivirent ensemble Alexandre dans l’Inde, & conférerent avec les Brachmanes & les Gymnosophistes. Il ne retint de la doctrine de ses maîtres que les principes qui favorisoient son penchant naturel à ce doute. Il débuta d’une maniere qui ne dut guere moins offenser que surprendre : il dit qu’il n’y avoit rien d’honnête ni de déshonnête, rien d’injuste ni de juste, rien de beau ni de laid, rien de vrai ni de faux, & ce furent ses premiers mots. L’éducation, l’usage commun, l’habitude étoient, selon lui, les seuls fondemens des actions & des assertions des hommes. On assûre que sa conduite fut conséquente à sa philosophie ; qu’il ne se précautionnoit contre rien ; qu’il ne se détournoit point ; qu’il alloit droit à un char, à un précipice, à un bucher, à une bête féroce ; qu’il bravoit dans les occasions les plus périlleuses le témoignage évident de ses sens, & que souvent il dut son salut à ses amis qui l’accompa-

gnoient. Si cela est, il faut regarder Pyrrhon comme

une de ces têtes qui naissent étonnées, & pour qui tout est confondu : mais il n’en est rien ; il raisonnoit comme un insensé, & se conduisoit comme tout le monde. On lui remarqua seulement plus d’indifférence, plus d’indulgence & plus de résignation. N’ayant point d’avis, il n’étoit pas difficile de le déterminer ; nulle notion du bien & du mal, comment pouvoit-on l’offenser ? de quoi se seroit plaint un homme qui ne distinguoit pas la peine & le plaisir ? La suprême tranquillité d’ame qu’il avoit acquise étonnoit Epicure. Ses concitoyens le créérent grand-prêtre. Quelle que fût sa philosophie, le bien étoit donc la regle de sa vie. il n’en faut pas douter. L’Acatalepsie de Pyrrhon ne s’étendoit pas au rapport des sens : c’étoit une arme qu’il avoit inventée contre l’orgueil des dogmatiques, & qu’il n’employoit qu’avec eux. Il avoit ses sentimens particuliers dans l’école, & la conduite commune dans la société. Il fleurit dans la cent dixieme olympiade ; il mourut âgé de 90 ans. Les Athéniens lui éleverent une statue auprès du portique : il eut aussi un monument dans sa patrie.

Pyrrhon avoit appris sous Démocrite qu’il n’y avoit rien de réel que les atomes ; que ce que nous regardons comme des qualités propres des corps n’étoient que des affections de notre entendement, des opinions, une disposition, un ordre, une perception ; dans l’école éléatique, que le témoignage des sens étoit trompeur ; sous Stilpon, l’art funeste de disputer pour & contre presqu’avec un même avantage ; c’étoit un homme d’un caractere dur ; il voyoit les philosophes répandus en une infinité d’écoles opposées, & les uns sous le lycée, les autres sous le portique, criant : « C’est moi qui possede la vérité ; c’est ici qu’on apprend à être sage ; venez, messieurs, donnez-vous la peine d’entrer : mon voisin n’est qu’un charlatan qui vous en imposera ». Et ces circonstances concoururent à le conduire au Scepticisme qu’il professa.

Pyrrhon eut beaucoup de sectateurs. Le premier dont on fasse mention est Euriloque : c’étoit un homme violent, dont la conduite rendit de tems en tems ridicule une secte qui prêchoit le doute dans la recherche de la vérité, & l’ataraxie dans l’usage des passions : il avoit gardé pour les sophistes la haine de son maître ; cependant ils le harcelerent tellement en Elide par leurs questions épineuses, que d’impatience Euriloque jetta par terre son manteau & se précipita dans l’Alphée, laissant une fleuve entr’eux & lui.

Il y eut un Pyrrhon d’Athènes, disciple de Pyrrhon d’Elée, aimant la solitude comme son maître, & fuyant aussi les disputes de l’école & le tumulte du monde.

Timon le Phliasien fut danseur avant que d’être sceptique ; mais dégoûté de cet art frivole, il alla à Mégare étudier la dialectique sous Stilpon, & de Mégare en Elide, écouter Pyrrhon. Il aima la table : il se faisoit un honneur de bien boire : ses débauches le réduisirent à la mendicité ; alors il se mit à courir l’Hellespont & la Propontide, professant la Philosophie & prêchant la sobriété. Il se fit de la réputation dans ce voyage ; il rétablit ses affaires, & reparut dans Athènes où il demeura jusqu’à sa mort. Ce fut un homme de grande pénétration ; personne ne saisissoit plus rapidement & plus sûrement le vice d’un raisonnement, ni le foible d’un système. Maître dans l’art de manier l’ironie, il accabloit de ridicule ceux qu’il avoit terrassés : il se plut à écrire des satyres. La calomnie & la médisance n’y étoient pas épargnées : il déchira les plus honnêtes gens, & n’en fut que plus agréable au peuple athénien. Il donna une des plus fortes preuves qu’on puisse exiger de la sincérité de