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une seule proportion dans toutes ses figures ; & suivant l’exemple qu’en donne surtout Raphaël, il assortit, à chaque âge, la proportion & le caractere qui lui conviennent.

Différence de proportions occasionnée par la différence du sexe. Les variétés dans les proportions sont encore occasionnées par la différence du sexe.

Indépendamment de la hauteur totale qui est moindre dans les femmes, elles ont le col plus alongé, les cuisses plus courtes, les épaules & le sein plus serrés, les hanches plus larges, les bras plus gros, les jambes plus fortes, les piés plus étroits : leurs muscles moins apparens rendent les contours plus égaux, plus coulans, & les mouvemens plus doux.

Les jeunes filles ont la tête petite, le col alongé, les épaules abaissées, le corps menu, les hanches un peu grosses & les piés petits.

Les anciens donnent sept têtes & trois parties de hauteur à Vénus : telle est la statue de Vénus Médicis, & la proportion de la déesse Beauté.

La statue qu’on connoit sous le nom de la Bergere greque, qui peut-être est Diane, ou une de ses nymphes sortant du bain, a dans la proportion de sept têtes, trois parties & six modules, un caractere qu’elle doit sans doute à l’exercice de la chasse, & aux danses qui devoient rendre la taille des nymphes svelte & agile.

Peut-être trouveroit-on aussi dans les proportions des Minerves, des Junons, & des Cybeles, ces petites différences, qui, lorsque les arts sont arrivés à leur perfection, établissent des nuances moins sensibles à l’œil qui calcule, qu’au sentiment qui saisit, & au goût qui discerne.

L’âge & le sexe n’ont pas le droit exclusif de caractériser les proportions du corps humain. Le rang, la condition, la fortune, le climat & le tempérament contribuent à causer, dans les développement des proportions, des différences sensibles.

Il n’est pas nécessaire que les artistes s’appesantissent sur les effets de toutes ces causes, mais il ne peut être qu’agréable pour eux, & avantageux pour leur art, de faire des réflexions, & surtout des observations, dont les occasions se présentent continuellement dans la vie civile.

Ils remarqueront, par exemple, qu’il est des hommes dont la constitution & le tempérament occasionnent une proportion pesante. Leurs muscles paroissent peu distincts les uns des autres : ils ont la tête grosse, le cou court, les épaules hautes, l’estomac petit, les cuisses & les genoux gros, les piés épais. Et c’est ainsi que l’artiste grec, en ne faisant qu’effleurer toutes ces particularités, a caractérisé le jeune faune. Ils verront qu’il en est d’autres, d’après lesquels sans doute les anciens caractérisoient leurs héros & leurs demi-dieux, qui dans une conformation toute différente, ont les articulations des membres bien nouées, serrées, peu couvertes de chair, la tête petite, le col nerveux, les épaules larges & hautes, la poitrine élevée, les hanches & le ventre petits, les cuisses musclées, les principaux muscles relevés & détachés, les jambes seches par en-bas, les piés minces, & la plante des piés creuse.

Il n’est que trop vraissemblable que les mœurs occasionnent insensiblement des variétés physiques dans la constitution & dans le développement de la forme du corps. Les délicatesses qui président à l’enfance distinguée ou opulente, l’aversion des exercices du corps, qui détermine la jeunesse voluptueuse à partager les délices & la nonchalance des femmes, l’engourdissement prématuré, qui, dans l’âge viril, succede à l’abus excessif des plaisirs ; enfin la caducité précoce qui se fait sentir par une influence plus prompte & plus pesante dans les villes capitales des

nations florissantes que partout ailleurs, doit de génération en génération, abatardir les races, & changer peut-être les proportions des corps.

Je ne parle pas des extravagances des modes, parce qu’elles n’ont point d’empire réel sur les dimensions que la nature a fixées : cependant elles en imposent trop souvent aux artistes assez foibles pour s’y prêter, & rendre plus vagues les idées de proportion, qu’il seroit à souhaiter, pour le progrès des arts, qu’on eût incessamment présentes dans leur plus grande exactitude.

On a considéré jusqu’ici, en parlant des proportions, le corps en repos ; ajoutons que le mouvement y occasionne des changemens très-distincts & très apparens.

Un membre étendu pour donner & recevoir, éprouve, par exemple, un accroissement ; & l’on observe une infinité de ces anomalies ou irrégularités dans les actions de compression, de relachement, d’extension, de fléchissement, de contraction & de raccourcissement.

Un homme assis à terre, qui se presse & fait effort pour ajuster à sa jambe une chaussure étroite, éprouve un raccourcissement d’un sixieme dans la partie antérieure du corps ; tandis que par un effet contraire, son bras en se courbant, s’alonge d’une huitieme partie, parce que la tête de l’os du coude se développe, & se montre pour ainsi dire hors de son articulation. On peut observer la même extension dans le calcaneum ou talon, lorsqu’on plie le coudepié.

Il est évident, par ces exemples, que les passions dont les mouvemens sont violens, doivent occasionner des différences sensibles dans les proportions : s’il est possible de les appercevoir, il est bien difficile de les réduire en calculs.

Toutes ces variétés de proportion sont principalement l’ouvrage de la nature ; mais l’art qui est son émule, ne pourroit-il pas prétendre aussi au droit d’en opérer, lorsqu’il les croit favorables à ses illusions ? Ne pourroit-on pas établir une théorie des rapports qui s’exerçât sur la diversité des positions, & des lieux où l’on place les ouvrages des arts ? Le vague de l’air, les oppositions des fabriques ou des arbres, les lieux vastes ou renfermés, élevés ou profonds, les expositions aux différens aspects du soleil, le voisinage des montagnes, des rochers, ou l’isolement dans une plaine ; voilà quels seroient les points de différences à établir, & peut-être de changemens à se permettre dans quelques-unes des dimensions reçues. Mais si l’art doit être flatté de pouvoir, pour ainsi dire, ajouter quelquefois à la nature, il doit être intimidé des risques qu’il court, lorsqu’il ose regarder les licences comme des sources particulieres de beauté.

Après tout, il ne faut jamais oublier que la justesse des proportions, autrement la correction du dessein, est pour les parties d’une seule figure, ce qu’est l’ordonnance pour les figures prises dans la totalité. Parrhasius fut le premier qui en donna les regles & la méthode pour la peinture, & Euphranor les appliqua le premier à la peinture encaustique. Pline avertit pourtant que le même Parrhasius donnoit trop peu d’étendue, en comparaison du reste, aux parties du milieu des figures, & ce qui revient au même, qu’Euphranor donnoit trop d’étendue à ses têtes & aux emmanchemens des membres. Asclépiodore ne méritoit ni l’un ni l’autre reproche, puisqu’Apelle convenoit lui-même de la supériorité de cet artiste sur tous les autres, pour la justesse des proportions. (D. J.)

PROPORTIONALITÉ, s. f. (Math.) terme dont on se sert pour signifier la proportion qui est entre des quantités. Voyez Proportion. (E)