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Christ qu’on doit l’entendre réellement. Or il s’agit premierement dans ce passage d’une vierge, virgo concipiet : l’hébreu porte nalma, c’est-à-dire une fille encore vierge, qui n’a eu aucun commerce avec un homme. Peut-on appliquer ce titre à l’épouse d’Isaïe, qui avoit déja eu un fils ? 2°. Il s’agit d’un enfant qui naîtra postérieurement à la prophétie d’Isaïe : on ne connoît à ce prophete que deux fils, l’un déja né & qu’il tenoit par la main lorsqu’il parloit à Achaz, & qui a nom Jasub. L’autre qui naquit effectivement peu de tems aprés, & auquel ce prophete donna nom Maher-Schalal Chazbaz. Or quelle ressemblance y a-t-il entre cette dénomination & le nom d’Emmanuel, vocabitur nomen ejus Emmanuel, dont Isaïe prédit la naissance ? 3°. L’événement qu’annonce le prophete doit être frappant, merveilleux, extraordinaire ; mais qu’y a-t-il de merveilleux que l’épouse du prophete, qui avoit déja eu un fils, & qui étoit jeune, en eût un second ? 4°. Enfin, le seul nom d’Emmanuel, Dieu avec nous, n’est applicable à aucun des enfans des hommes. Toutes les autres circonstances de la prophétie marquent qu’elle n’a pu s’accomplir littéralement du tems d’Isaïe ; que Grotius & les autres nous montrent donc comment & pourquoi elle ne s’est accomplie dans la personne de Jesus-Christ que dans un sens allégorique ?

Cet auteur, après un pareil essai, n’est donc pas recevable à dire que presque toutes les prophéties de l’ancien Testament citées dans le nouveau, sont prises dans un sens mystique. Encouragés apparemment par cette prétention, Dodwel & Marsham ont avancé que la fameuse prophétie de Daniel sur les soixante-dix semaines, a été accomplie littéralement au tems d’Antiochus Epiphanes ; & que les expressions que Jesus-Christ en tire dans la prédiction de la ruine de Jérusalem par les Romains, ne doivent être prises que dans un sens adoptif, un second sens.

Mais outre les sens forcés que Dodwel & Marsham donnent aux paroles de la prophétie ; outre le calcul faux qu’ils font des soixante-dix semaines d’années, qui composant 490 ans, ne peuvent jamais tomber au regne d’Antiochus Epiphanes : combien de caracteres de cette prophétie qui ne peuvent convenir au tems de ce prince ? Le péché a-t-il fini, & la justice éternelle a-t-elle paru sous son regne ? Quel est le saint des saints qui y a reçu l’onction ? Jérusalem a-t-elle été renversée de fond en comble ? & la désolation de la nation juive a-t-elle été pour lors durable & permanente ? On peut voir l’absurdité de ce sentiment & de plusieurs autres semblables, savamment réfutés par M. Witasse, traité de l’Incarn. part. I. quest. iij. article 1. sect. 2.

Il faut penser de même de ce que disent Grotius, Simon, Stillingfleet, &c. que la fameuse prophétie du Pentateuque, le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophete comme moi de votre nation & d’entre vos freres : c’est lui que vous écouterez, &c. ne contient que la promesse d’une succession de prophetes dans Israël. Mais outre qu’il ne s’agit pas d’une succession de prophetes, mais d’un prophete par exellence, il est clair par toute la suite du texte, que les caracteres que Moïse donne à ce prophete conviennent infiniment mieux à Jesus-Christ qu’à tous ceux qui l’ont précédé dans le ministere prophétique.

Pour donner quelque couleur à ces opinions, on a avancé que les Apôtres avoient des regles pour discerner les prophéties de l’ancien Testament, qui devoient être prises dans un sens littéral, d’avec celles qu’on devoit entendre dans un sens allégorique ; ces regles, ajoute-t-on, sont perdues.

A cela il est aisé de répondre que les Apôtres inspirés par le saint-Esprit, n’avoient pas besoin de ces prétendues regles : la lumiere divine qui les éclairoit, étoit bien supérieure à celles qu’on veut qu’ils aient

tiré des écrits des rabbins & des docteurs juifs ; mais si ces regles sont si précieuses & paroissent si essentielles, M. Surrenhusius, professeur en hébreu à Amsterdam, les a toutes retrouvées dans l’ouvrage qu’il a donné sous le titre de Sepher hamechave, ou de ΒΙΒΛΟΣ ΚΑΤΑΛΛΑΤΗΣ, qu’il faut n’avoir pas lu pour dire, comme fait M. Chambers, que ces regles sont forcées & peu naturelles. Voyez ce que nous en avons dit au mot Citations.

Ce sont apparemment ces objections & de semblables raisonnemens qui ayant effrayé M. Whiston, lui ont fait condamner toute explication allégorique des prophéties de l’ancien Testament, comme fausse, foible, fanatique, & ajouter que si l’on soutient qu’il y a un double sens des prophéties, & qu’il n’y a d’autre moyen d’en faire voir l’accomplissement qu’en les appliquant dans un sens allégorique & représentatif à Jesus-Christ, quoiqu’elles ayent été accomplies long-tems auparavant dans leur premier sens, on se prive par-là de l’avantage réel des prophéties, & d’une des plus solides preuves du Christianisme ; car nous montrerons ci-dessous qu’il y a nécessairement des prophéties typiques, mais que cela n’ôte rien à la Religion de la force de ses preuves.

M. Whiston, pour obvier à ce mal, propose un nouveau plan ; car il avoue qu’en prenant le texte de l’ancien Testament tel que nous l’avons maintenant, il est impossible d’interpreter les citations des Apôtres sur les prophéties de l’ancien Testament, autrement que par le sens allégorique ; & pour ôter toute difficulté, il est contraint d’avoir recours à des suppositions contraires au sentiment de tous les auteurs ecclésiastiques, savoir que le texte de l’ancien Testament a été corrompu & altéré par les Juifs depuis le tems des Apôtres. Voyez Texte.

Selon son hypothèse, les Apôtres faisoient leurs citations de l’ancien Testament d’après la version des septante, qui étoit en usage de leur tems, & exactement d’accord avec l’original hébreu ; & comme ils faisoient des citations exactes, ils les prenoient dans le sens littéral telles qu’elles sont dans l’ancien Testament. Mais depuis ce tems l’original hébreu & les copies des septante (de l’ancien Testament) ont été notablement altérées, ce qui, selon cet auteur, occasionne les différences remarquables que l’on trouve entre l’ancien & le nouveau Testament, par rapport aux paroles & au sens de ces citations. Voyez Septante.

A l’égard de la maniere dont a pu se faire cette corruption, Whiston suppose que les Juifs du second siecle altérerent le texte hébreu & les septante, & principalement les prophéties citées par les Apôtres, qu’ils regardoient comme des argumens très-pressans. Ce qu’il prétend prouver, parce que dans le troisiéme siecle on trouve dans les écrits d’Origene une de ces copies altérées des septante, qu’Origene regardant comme vraie, a insérée dans ses exemples ; qu’on s’en servoit dans les églises ; & que sur la fin du jv. siecle les Juifs firent passer dans les mains des Chrétiens, qui ignoroient entierement la langue hébraïque, une copie corrompue du texte hébreu de l’ancien Testament. Whiston soutient donc que toutes les différences qui se trouvent entre le vieux & le nouveau Testament quant aux citations en question, n’appartiennent point au vrai texte de l’ancien Testament, qui n’existe plus, mais seulement au texte corrompu que nous avons. C’est pourquoi pour justifier les discours des Apôtres, il propose de rétablir le texte de l’ancien Testament comme il étoit avant le tems d’Origene & au tems des Apôtres ; & pour lors, dit-il, on prouvera que les Apôtres ont cité exactement & raisonné juste d’après l’ancien Testament.

Mais en bonne foi n’est-ce pas là trahir la cause de la Religion sous ombre de la défendre ? & sur quels