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La divination regarde le présent & le passé ; la prophétie a pour objet l’avenir.

Un homme bien instruit, & qui connoît le rapport que les moindres signes extérieurs ont avec les mouvemens de l’ame, passe facilement dans le monde pour devin. Un homme sage qui voit les conséquences dans leurs principes, & les effets dans leurs causes, peut se faire regarder du peuple comme un prophete. Traité des synon. (D. J.)

Prophete, (Antiq. grecq.) προφήτης ; c’étoit un ministre chargé d’interpréter, & principalement de rédiger par écrit les oracles des dieux. Les prophetes les plus célebres étoient ceux de Delphes. On les élisoit au sort, & cette dignité étoit affectée aux principaux habitans de la ville. On leur adressoit les demandes que l’on vouloit faire au dieu ; ils conduisoient la pythie au trépié, recevoient la réponse, l’arrangeoient pour la faire mettre en vers par les poëtes. Des marbres de Milet prouvent qu’un prophete étoit attaché au temple d’Apollon Didymien. Nous voyons par une inscription, qu’il y avoit à Rome un prophete du temple de Sérapis. Calcédoine avoit aussi un prophete attaché à un temple de la ville ; il recevoit les oracles des dieux. (D. J.)

Prophete, faux, (Critique sacrée.) Un faux prophete dans l’Ecriture, est quelquefois appelle prophete abusivement, Deuteronome, xiij. 1. Moise donne aux Israélites un moyen de distinguer les prédicateurs du mensonge ; un tel homme, leur dit-il, ne mérite jamais que vous l’écoutiez, s’il entreprend de vous détourner du culte du vrai Dieu, & vous porter à l’idolâtrie. Ces prédicateurs du mensonge, esclaves d’un vil intérêt, n’avoient que des paroles de flatterie & de complaisance pour les grands. Ezéchiel, c. xiij. v. 18. s’éleve contre eux en termes pleins de force, & qui forment un tableau. « Malheur à vous, leur dit-il, qui préparez des coussinets pour les mettre sous les coudes ; qui faites des oreillers pour en appuyer des personnes de tout âge, dans le dessein de gagner les cœurs ; & qui après avoir trompé les ames de mon peuple, leur assurez qu’elles sont vivantes ». (D. J.)

Prophetes de Baal, (Critique sacrée.) c’est ainsi que l’Ecriture nomme les prêtres attachés à Baal, divinité que l’on croit être le soleil.

Achab, roi d’Israël, établit dans ses états le culte de Baal, à la sollicitation de Jezabel qu’il avoit épousée. Il ne projettoit rien de considerable sans l’aveu de ces prêtres ; & c’étoit une coutume généralement répandue dans tout l’orient, de n’entreprendre aucune affaire importante, guerre ou alliance, sans avoir consulté les devins ; politique propre à tenir les peuples dans le respect, & à inspirer au soldat plus de courage. Les Grecs & les Romains adopterent cette politique ; & c’est par-là que les augures répandoient la terreur dans les esprits, ou les remplissoient d’espérance.

Quinte-Curse dit finement que rien n’est si puissant que la superstition, pour tenir en bride une populace. Quelque inconstante & furieuse qu’elle soit, quand elle a une fois l’esprit frappé d’une vaine image de religion, elle obéit bien mieux à des devins qu’à des chefs. Nulla res efficaciùs multitudinem regit, quàm superstitio ; alioquin impotens, sæva, mutabilis, ubi vanâ religione capta est, melius vatibus quam ducibus suis paret. l. IV. c. x.

Achab voulant déclarer la guerre à Benhadad, roi de Syrie, sollicita Josaphat de se liguer avec lui : le roi de Juda y consentit, mais il souhaita que l’on consultât Dieu sur le succès de l’entreprise, indépendamment des quatre cens prophetes de Baal, qui tous annonçoient une heureuse réussite. Michée ayant été consulté, promit d’abord un succès favorable ; mais Achab l’ayant sommé de dire exactement la vérité, il

lui répondit qu’il avoit vu tout Israël épars sur les montagnes, comme un troupeau de brebis qui n’a point de pasteur, & que Dieu avoit permis à un esprit de mensonge d’entrer dans les prophetes de Baal. I. Rois, c. xxij. 23.

Ce passage de l’Ecriture que nos versions traduisent, l’éternel a mis un esprit mensonger en la bouche de tous ces prophetes qui sont à toi ; ce passage, dis-je, embarrasse fort les critiques, parce qu’il répugne aux idées que l’on doit avoir de la divinité. M. Leclerc traduit le passage de cette maniere : nunc autem Jehova passus est esse spiritum mendacii in ore istorum omnium prophetarum. « Dieu a permis qu’un esprit de mensonge soit dans la bouche de tous ces prophetes ». Et il prouve dans divers passages de l’Ecriture, & particulierement par Genèse xx. 6. Exod. xij. 23. & Pseaume xvj. 10. que le terme hébreu nathan signifie très-souvent permettre qu’une chose arrive ou se fasse.

Le même critique observe que pour prévenir les fâcheuses conséquences que l’on pourroit tirer de cette histoire, il faut d’abord faire cette réflexion : c’est que le discours de Michée ne doit pas se prendre à la rigueur & dans un sens absolument littéral ; qu’il ne s’agit que d’une vision symbolique, dans laquelle Dieu lui avoit fait voir comment un si grand nombre de prophetes prophétisoient faussement, parce qu’ils étoient animés, non de l’esprit de vérité, mais par une basse flaterie. Ainsi l’on ne doit pas plus presser les circonstances de cette vision, que celles d’une parabole, dans laquelle on ne fait attention qu’au but de celui qui parle.

Deux raisons principales appuient cette explication ; la premiere est que Dieu est représenté réglant & dirigeant ce qui regardoit le peuple juif, non de la maniere qu’il le faisoit réellement, mais à la maniere des hommes, & selon l’usage ordinaire des rois de la terre. On voit Dieu assis sur son trône, environné de bons & de mauvais anges, qu’il consulte sur les moyens d’inspirer à Achab le dessein d’aller à Ramoth de Galaad. On propose divers expédiens que Dieu desapprouve. Enfin un esprit mensonger se présente & offre son secours ; on l’accepte, parce que c’étoit le moyen le plus sûr de faire réussir le dessein projetté. Pour peu qu’on ait de justes idées de la Providence, il n’y a personne qui s’imagine que Dieu gouverne le monde de cette maniere.

La seconde raison qui prouve que ce n’étoit là qu’une vision symbolique, est prise de la nature même de la chose. La véracité & la sainteté de Dieu ne permettent pas qu’il envoie dans les prophetes un esprit de mensonge auquel ils ne puissent résister : puisqu’il s’ensuivroit de là que Dieu lui-même seroit l’auteur du mensonge, & que les hommes ne seroient en aucune façon criminels ou blâmables ; & si les prophetes dont il s’agit n’étoient pas en état de distinguer entre l’inspiration divine & celle du démon, ils n’étoient nullement coupables.

Ajoutez à cela que si l’on suppose qu’il soit jamais arrivé que les prophetes du vrai Dieu, parlant sincerement & se croyant divinement inspirés, ont cependant été séduits par l’esprit de mensonge ; cela ne pouvoit qu’affoiblir l’autorité de la prophétie, & la décréditer, tant dans l’esprit des prophetes eux-mêmes, desormais hors d’état de distinguer une véritable inspiration d’avec une fausse ; que dans l’esprit du peuple, convaincu par expérience que les vrais prophetes, aussi-bien que les imposteurs, pouvoient se tromper dans leurs prédictions, & se croire inspirés tandis qu’ils ne l’étoient réellement point. Quiconque, dit M. le Clerc, pesera ces raisons & d’autres que l’on pourroit alléguer, ne pourra s’empêcher de conclure que cette vision n’est nullement un récit de ce qui s’étoit passé réellement dans le ciel.