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nommé Piperno. Le fleuve Amazenus est aujourd’hui la Toppie. (D. J.)

PRIVILEGE, s. m. (Gramm.) avantage accordé à un homme sur un autre. Les seuls privileges légitimes, ce sont ceux que la nature accorde. Tous les autres peuvent être regardés comme injustices faites à tous les hommes en faveur d’un seul. La naissance a ses privileges. Il n’y a aucune dignité qui n’ait les siennes ; tout a le privilege de son espece & de sa nature.

Privilege, (Gouv. Comm. polit.) privilege signifie une distinction utile ou honorable, dont jouissent certains membres de la société, & dont les autres ne jouissent point. Il y en a de plusieurs sortes ; 1°. de ceux qu’on peut appeller inhérens à la personne par les droits de sa naissance ou de son état, tel est le privilege dont jouit un pair de France ou un membre du parlement, de ne pouvoir en matiere criminelle être jugé que par le parlement ; l’origine de ces sortes de privileges est d’autant plus respectable qu’elle n’est point connue par aucun titre qui l’ait établie, & qu’elle remonte à la plus haute antiquité : 2°. de ceux qui ont été accordés par les lettres du prince registrées dans les cours où la jouissance de ces privileges pouvoit être contestée. Cette deuxieme espece se subdivise encore en deux autres suivant la différence des motifs qui ont déterminé le prince à les accorder. Les premiers peuvent s’appeller privileges de dignité ; ce sont ceux qui, ou pour services rendus, ou pour faire respecter davantage ceux qui sont à rendre, sont accordés à des particuliers qui ont rendu quelque service important ; tel que le privilege de noblesse accordé gratuitement à un roturier ; & tel aussi que sont toutes les exemptions de taille & autres charges publiques accordées à de certains offices. Entre ceux de cette derniere espece, il faut encore distinguer ceux qui n’ont réellement pour objet que de rendre les fonctions & les personnes de ceux qui en jouissent plus honorables, & ceux qui ont été accordés moyennant des finances payées dans les besoins de l’état ; mais toujours & dans ce dernier cas même, sous l’apparence de l’utilité des services. Enfin la derniere espece de privileges est de ceux qu’on peut appeller de nécessité. J’entends par ceux-ci les exemptions particulieres, qui n’étant point accordées à la dignité des personnes & des fonctions, le sont à la simple nécessité de mettre ces personnes à couvert des vexations auxquelles leurs fonctions même les exposent de la part du public. Tels sont les privileges accordés aux commis des fermes & autres préposés à la perception des impositions. Comme leur devoir les oblige de faire les recouvremens dont ils sont chargés, ils sont exposés à la haine & aux ressentimens de ceux contre qui ils sont obligés de faire des poursuites ; de sorte que s’il étoit à la disposition des habitans des lieux de leur faire porter une partie des charges publiques, ou ils en seroient bientôt surchargés, ou la crainte de cette surcharge les obligeroit à des menagemens qui seroient préjudiciables au bien des affaires dont ils ont l’administration. De la différence des motifs qui ont produit ces différentes especes de privileges, nait aussi dans celui qui en a la manutention, la différence des égards qu’il doit à ceux qui en sont pourvûs. Ainsi lorsqu’un cas de nécessité politique & urgent, & celui-ci fait cesser tous les privileges ; lorsque ce cas, dis-je, exige qu’il soit dérogé à ces privileges, ceux qui par leur nature sont les moins respectables, doivent être aussi les premiers auxquels il soit dérogé ! En général & hors le cas des privileges de la premiere espece, j’entends ceux qui sont inhérens à la personne ou à la fonction, & qui sont en petit nombre ; on ne doit reconnoître aucuns privileges que ceux qui sont accordés par lettres du prince dûement enregistrées dans les cours qui ont à en connoître. Il faut en ce cas même qu’ils soient réduits dans l’usage à leurs justes bor-

nes, c’est-à-dire à ceux qui sont disertement énoncés

dans le titre consécutif, & ne soient point étendus au-delà. Ils ne sont point du tout dans l’esprit de la maxime favores ampliandi, parce qu’autrement, étant déja, & par leur nature une surcharge pour le reste du public, cette surcharge portée à un trop haut point, deviendroit insoutenable ; ce qui n’a jamais été ni pû être l’intention du législateur. Il seroit fort à souhaiter que les besoins de l’état, la nécessité des affaires, ou des vues particulieres n’eussent pas, autant qu’il est arrivé, multiplié les privileges, & que de tems en tems on revînt sur ces motifs, auxquels ils doivent leur origine, qu’on les examinât soigneusement, & qu’ayant bien distingué la différence de ces motifs, on se résolût à ne conserver que les privileges qui auroient des vues utiles au prince & au public. Il est très-juste que la noblesse dont le devoir est de servir l’état dans les armées, ou du-moins d’élever des sujets pour remplir cette obligation ; que des magistrats considérables par l’étendue & l’importance de leurs fonctions, & qui rendent la justice dans les tribunaux supérieurs, jouissent de distinctions honorables, qui en même tems sont la récompense des services qu’ils rendent, & leur procurent le repos d’esprit & la considération dont ils ont besoin pour vaquer utilement à leurs fonctions. La portion des charges publiques dont ils sont exempts retombent à la vérité sur le surplus des citoyens ; mais il est juste aussi que ces citoyens dont les occupations ne sont ni aussi importantes ni aussi difficiles à remplir, concourent à récompenser ceux d’un ordre supérieur. Il est juste & décent pareillement que ceux qui ont l’honneur de servir le roi dans son service domestique, & qui approchent de sa personne, & dont les fonctions exigent de l’assiduité, de l’éducation & des talens, participent en quelque façon à la dignité de leur maître, en ne restant pas confondus avec le bas ordre du peuple. Mais il semble qu’il faudroit encore distinguer dans tous les cas les personnes dont les services sont réels & utiles, soit au prince, soit au public, & ne pas avilir les faveurs dont ceux-ci jouissent légitimement en les confondant avec un grand nombre de gens inutiles à tous égards, & qui n’ont pour titres qu’un morceau de parchemin acquis presque toujours à très-bas prix. Un bourgeois aisé & qui à lui-seul pourroit payer la moitié de la taille de toute une paroisse, s’il étoit imposé à sa dûe proportion, pour le montant d’une année ou de deux de ses impositions, & souvent pour moins, sans naissance, sans éducation & sans talens, achete une charge dans un bureau d’élection ou de grenier à sel, ou une charge inutile & de nul service chez le roi, ou chez un prince qui a une maison, charge dont le titre même est souvent ignoré du maître, & dont il ne fait jamais aucun usage ; ou se fait donner dans les fermes du roi un petit emploi souvent inutile, & dont les produits ne sont autres que les exemptions même attachées à la commission, vient jouir à la vue du public de toutes les exemptions dont jouissent la noblesse & la grande magistrature ; tandis qu’un officier du principal siége de justice de la province, qui n’est point cour supérieure, est pour les impositions & autres charges publiques, confondu avec les moins considérés du peuple. De ces abus de privileges naissent deux inconvéniens fort considérables ; l’un que la partie des citoyens la plus pauvre est toujours surchargée au-delà de ses forces ; or cette partie est cependant la plus véritablement utile à l’état, puisqu’elle est composée de ceux qui cultivent la terre & procurent la subsistance aux ordres supérieurs ; l’autre inconvénient est que les privileges dégoutent les gens qui ont du talent & de l’éducation d’entrer dans les magistratures ou des professions qui exigent du travail & de l’application, & leur font préférer de petites charges & de petits emplois où il