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qui n’en étoit pas le véritable propriétaire, & qu’on l’avoit possédée pendant un an si c’étoit un meuble, & pendant deux ans si c’étoit un immeuble.

Telle étoit la disposition de la loi des douze tables, & cette façon d’acquérir par l’usage ou possession, est ce que l’on appelloit usucapion, terme formé de ces deux-ci, usu capere ; les anciens Romains ne connoissoient la prescription que sous ce nom d’usucapion.

Pour acquérir cette sorte de prescription, il falloit un titre légal, qu’il y eût tradition, & la possession pendant un certain tems.

Elle n’avoit lieu qu’en faveur des citoyens romains, & de ceux auxquels ils avoient communiqué leurs droits, & ne servoit que pour les choses dont les particuliers pouvoient avoir la pleine propriété ; aussi produisoit-elle le même effet que la mancipation.

Le peuple romain ayant étendu ses conquêtes, & les particuliers leurs possessions bien au-delà de l’Italie, il parut aussi nécessaire d’y étendre un moyen si propre à assurer la tranquillité des familles.

Pour cet effet les anciens jurisconsultes introduisirent une nouvelle jurisprudence, qui fut d’accorder aux possesseurs de dix ans des fonds situés hors l’Italie, le droit de s’y maintenir par une exception tirée du laps de tems, & qu’ils appellerent prescription. Cette jurisprudence fut ensuite autorisée par les empereurs qui précéderent Justinien. Cod. vij. tit. 33. & 39.

Mais il y avoit encore cette différence entre l’usucapion & la prescription, que la premiere donnoit le domaine civil & naturel, au lieu que la prescription ne communiquoit que le domaine naturel seulement.

Justinien rejetta toutes ces distinctions & ces subtilités ; il supprima la distinction des choses appellées mancipi & nec mancipi des biens situés en Italie, & de ceux qui étoient hors de cette province ; & déclara que l’exception tirée de la possession auroit lieu pour les uns comme pour les autres ; savoir, pour les meubles après trois ans de possession, & pour les immeubles par dix ans entre présens, & vingt ans entre absens, & par ce moyen l’usucapion & la prescription furent confondues, si ce n’est que dans le droit on emploie plus volontiers le terme d’usucapion pour les choses corporelles, & celui de prescription pour les immeubles & pour les droits incorporels.

La prescription de trente ans qui s’acquiert sans titre fut introduite par Théodose le Grand.

Celle de quarante ans fut établie par l’empereur Anastase ; elle est nécessaire contre l’Eglise, & aussi quand l’action personnelle concourt avec l’hypotécaire.

La prescription de cent a été introduite à ce terme en faveur de certains lieux ou de certaines personnes privilégiées ; par exemple, l’Eglise romaine n’est sujette qu’à cette prescription pour les fonds qui lui ont appartenu.

La prescription qui s’acquiert par un tems immémorial, est la source de toutes les autres ; aussi est-elle dérivée du droit des gens ; le droit romain n’a fait que l’adopter & la modifier en établissant d’autres prescriptions d’un moindre espace de tems.

Les conditions nécessaires pour acquérir la prescription en général, sont la bonne foi, un juste titre, une possession continuée sans interruption pendant le tems requis par la loi, & que la chose soit prescriptible.

La bonne foi en matiere de prescription consiste à ignorer le droit qui appartient à autrui dans ce que l’on possede ; la mauvaise foi est la connoissance de ce droit d’autrui à la chose.

Suivant le droit civil, la bonne foi est requise dans

les prescriptions qui exigent un titre, comme sont celles de trois ans pour les meubles, & de 10 & 20 ans pour les immeubles ; mais il suffit d’avoir été de bonne foi en commençant à posséder ; la mauvaise foi qui survient par la suite n’empêche pas la prescription.

Ainsi, comme suivant ce même droit civil, les prescriptions de trente & quarante ans, & par un tems immémorial, ont lieu sans titre, la mauvaise foi qui seroit dans le possesseur même au commencement de sa possession, ne l’empêche pas de prescrire.

Au contraire, suivant le droit canon, que nous suivons en cette partie, la bonne foi est nécessaire dans toutes les prescriptions, & pendant tout le tems de la possession.

Mais il faut observer que la bonne foi se présume toujours, à moins qu’il n’y ait preuve du contraire, & que c’est à celui qui oppose la mauvaise foi à en rapporter la preuve.

Le juste titre requis pour prescrire est toute cause légitime propre à transférer au possesseur la propriété de la chose, comme une vente, un échange, un legs, une donation ; à la différence de certains titres qui n’ont pas pour objet de transférer la propriété, tels que le bail, le gage, le prêt, & en vertu desquels on ne peut prescrire.

Il n’est pourtant pas nécessaire que le titre soit valable ; autrement on n’auroit pas besoin de la prescription, il suffit que le titre soit coloré.

La possession nécessaire pour acquérir la prescription, est celle où le possesseur jouit animo domini, comme quelqu’un qui se croit propriétaire. Celui qui ne jouit que comme fermier, sequestre ou dépositaire, ou à quelqu’autre titre précaire, ne peut prescrire.

Il faut aussi que la possession n’ait point été acquise par violence, ni clandestinement, mais qu’elle ait été paisible, & non interrompue de fait ni de droit.

Quand la prescription est interrompue, la possession qui a précédé l’interruption ne peut servir pour acquérir dans la suite la prescription.

Mais quand la prescription est seulement suspendue, la possession qui a précédé & celle qui a suivi la suspension, se joignent pour former le tems nécessaire pour prescrire ; on déduit seulement le tems intermédiaire pendant lequel la prescription a été suspendue.

Suivant le droit romain, la prescription de trente ans ne court pas contre les pupilles ; la plupart des coutumes ont étendu cela aux mineurs, & en général la prescription est suspendue à l’égard de tous ceux qui sont hors d’état d’agir, tels qu’une femme en puissance de mari, un fils de famille en la puissance de son pere.

C’est par ce principe que le droit canon suspend la prescription pendant la vacance des bénéfices & pendant la guerre ; les docteurs y ajoutent le tems de peste, & les autres calamités publiques qui empêchent d’agir.

La prescription de trente ans, & les autres dont le terme est encore plus long, courent contre ceux qui sont absens, de même que contre ceux qui sont présens ; il n’en est pas de même de celle de dix ans, il faut, suivant la plûpart des coutumes, doubler le tems de cette prescription à l’égard des absens, c’est-à-dire de ceux qui demeurent dans un autre bailliage ou sénéchaussée.

Ceux qui sont absens pour le service de l’état sont à couvert pendant ce tems de toute prescription.

L’ignorance de ce qui se passe n’est point un moyen pour interrompre ni pour suspendre la prescription, cette circonstance n’est même pas capable d’opérer la restitution de celui contre qui on a prescrit.

Il y a des choses qui sont imprescriptibles de leur